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L'ESPOIR de votre indulgence & les bontés dont veulent bien m'honorer des Protecteurs illuftres, m'ont fait concevoir le projet moins généreux peut être que téméraire de fervir mon fiécle & ma Patrie. Animé par le fuffrage d'un Corps également refpectable & favant, j'ofe effaïer de combattre un préjugé aussi contraire à la vérité que nuifible au progrès des Sciences.

J'entreprens d'anéantir le prétexte qui détourne la plupart des hommes de l'Etude des Mathématiques, je me propofe de détruire la prévention des immenfes difficultés qui s'y rencontrent, Eblouï par la nobleffe de l'objet, j'ai pu me flatter envain de

réuffir; mais au moins j'aurai la gloire d'avoir prouvé mon zele; & fi j'ai le malheur de fuccomber, j'efpere que votre équité fera grace aux défauts de l'exécution en faveur du motif de l'entreprife.

Ce projet fembleroit devoir être annoncé par un Difcours préliminaire auffi fublime que les Sciences qu'embraffe le Cours dont nous faifons aujourd'hui l'ouverture. En effet, quel vafte champ pour ces Génies heureux capables de parler des grandes chofes avec la majefté qui leur convient! Mais je me connois & je modere mon effor. Que ferviroient au furplus la pompe & les agrémens du ftile dans les matiéres que je dois traiter? Ceux qui connoiffent déja les Mathématiques ont-ils befoin que leur rappelle ce qu'elles infpirent de grand? Ils le fentent affez fans doute. Eft-il néceffaire d'éblouïr ceux qui fe propofent de les apprendre? Loin de chercher à les étonner par une pompeufe déclamation, je dois feulement les encourager & leur expofer d'une maniere fimple des vérités dont ils aimeront à découvrir eux-mêmes l'importance. Avec plus de capacité j'aurois eu la même retenue, j'aurois facrifié par zele des ornemens que je fupprime par amour propre.

S'il eft avantageux que la vérité ne foit point enfevelie fous des parures étrangeres, il n'eft pas moins utile qu'elle foit of ferte avec tous les charmes, qu'elle foit préfentée dans son plus beau jour. Que ne puis-je, MESSIEURS, remplacer à votre égard cet aimable Philofophe que nous avons vû joindre fi parfaitement les graces de l'éloquence à la folidité du raisonnement! Que ne puis-je, comme lui, femer de fleurs le fentier trop peu connu de la vérité ! Mes foins feroient plus efficaces, leur fuccès moins douteux, & mes travaux plus dignes de vous; mais puifque tous mes vœux à ce fujet feroient fuperflus, excité par les mêmes motifs, fans être pourvû des mêmes talens; je me contenterai, dans le Cours que j'entreprens, d'expofer avec ordre, de développer avec foin les principes de la plus facile & peut être de la plus importante de toutes les fciences humaines.

Déja je m'imagine entendre quelques-uns de mes Auditeurs fe récrier contre un tel début, & traiter d'abfurde une propofition contraire à l'opinion commune. On fait bien, difent-ils, que les Mathématiques ont quelque utilité: mais rien n'est plus fingulier que de nous annoncer comme aifee une étude que de tout tems on a re

connue pour la plus difficile & qu'on a regardée comme le dernier effort de l'efprit humain. Perfonne n'ignore que l'Algebre eft effraïante, la fechereffe de la Géométrie eft paffée en proverbe. Il n'eft point de fcience plus compliquée que la Mécanique. Quelle ardeur, quellediffofitions ne faut-il pas pour franchir tous ces obftacles! Après cela, n'est-ce pas s'aveugler que de prétendre que cette étude immenfe, rebutante, pénible, foit cependant la plus facile de toutes? Voilà, je crois MESSIEURS, les objections qu'on pourroit me faire ; mais je me flatte d'y oppofer des réponses fatisfaifantes.

Je me garderai bien cependant d'imiter le zéle indifcret de ces Ecrivains qui, lorfqu'ils entreprennent un éloge, frondent fans égard tout ce que, raifonnablement ou non, l'on pourroit mettre en paralele avec le fujet qu'ils traitent. Je fuis fort éloigné d'élever les Mathématiques fur les ruines des autres Scien ces. Ce feroit faire tort aux unes & aux autres. Les Mufes font foeurs. Ce titre semble fuppofer de l'union entre elles. Pourquoi s'en trouve-t-il fi peu chez leurs Partifans? Si je fens mon amour propre fe révolter au mépris qu'on affecte pour une Science qui fait mes délices, mon intérêt perfonnel autant que celui de l'humanité ne m'engagent-ils pas à ménager l'amour propre de mes femblables? Je dois l'apprivoifer, fi je crains qu'on effarouche le mien. Je dois refpecter le goût d'autrui, fi je défire que mon penchant foit à l'abri de la critique. J'éviterai donc avec foin toutes ces comparaisons injurieuses, qui, faisant d'une partie des hommes un fpectacle rifible pour l'autre, font ordinairement condamnées de tous. La matiere eft aflez abondante, affez riche de fon propre fonds pour amener la vérité que j'avance à l'évidence la plus caractérisée, fans admettre rien d'étranger à la queftion que je me propofe de traiter.

Au refte, je ne hazarde point un fentimenr isolé; je ne fais qu'adopter celui des plus grands Maîtres. Je pourrois même appuïer ma propofition fur une foule de témoignages des plus graves. Mais pour mettre tout le monde en état de juger de mon éxactitude: je me borne à citer deux Auteurs fort connus. M. Privat de Molieres dit : Que la Science des Mathématiques utile à tout le monde est en effet la plus aifee & la clef de toutes les autres. Il fait plus, il ajoute : Qu'il n'y a perfonne qui ne puiffe & qui ne doive en entreprendre l'étude. L'Auteur des nouvelles inftitutions de Géométrie fait voir: Que de toutes les études, il n'en eft point qui foit fi parfaitement à la portée des enfans, que celle de la Géo

métrie,

On m'objecera fans doute qu'en matieres Géométriques on ne fe foumet qu'à la raison, & qu'on fe refuse à l'autorité. Il s'agit donc moins de favoir fi tels ou tels Auteurs ont avancé telle ou telle opinion, que d'examiner fi cette opinion est fondée. J'en conviens, MESSIEURS, & je vais effaïer de vous prouver : Que l'étude des Mathématiques eft facile, & que cette fcience eft d'une utilité fans bornes. C'eft à quoi fe réduira tout mon Dif

cours.

A

M

ON premier objet, MESSIEURS, doit être de prouver la facilité de l'étude des Mathématiques: pour y parvenir, il faut d'abord écarter les préjugés qui pourroient y être contraires. Le vulgaire ignorant fuppofe que rien n'eft plus difficile que l'étude des Mathématiques, j'avouerai même que cette opinion eft prefque générale; mais en eft elle pour cela plus conftante? Une erreur, fut-elle univerfelle, n'en feroit pas moins une erreur, fon univerfalité même ne fait que la rendre moins tolérable. Plus elle eft répandue, plus elle eft dangereuse, plus il est important de la détruire. Cette prévention, permettez-moi, MESSIEURS, de vous le dire, eft du nombre de ces erreurs accréditées qu'une ignorance préfomptueufe a fait naître & que la pareffe entretient. Elle eft femblable à ces Fables groffiéres par lefquelles des Peuples entiers prétendent expliquer des évenemens naturels qu'ils ne connoiffent pas.

Certain du mouvement uniforme & conftant des Planetes l'Aftronome prédit à coup für les Eclipfes qu'il a calculées. Le plus borné de nos villageois attend de jour en jour celles que fon Almanach lui annonce. Ce dernier même fe riroit de la fraïeur chimérique & des foins ridicules de ces Peuples fauvages qui, perfuadés que la Lune eft dans les douleurs de l'enfantement ou que le Soleil s'apprête à la dévorer, croïent par le bruit & les clameurs procurer à l'Aftre de la nuit une plus promte délivrance ou l'aider à fortir heureusement du combat.

Mais fans chercher aux extrémités de l'Univers des exemples auffi honteux que frappans de l'extravagance humaine; combien de tems, combien de fois, nos Aïeux n'ont-ils pas été aveuglés par des préjugés auffi peu raifonnables! La fureur de l'Aftrologie judiciaire n'a t-elle pas inondé toute la furface de la Terre

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