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Marquife du Châtelet que l'Europe favante regrette avec nous, excite plus d'émulation que de furprise. Nous lui trouvons dans les nations voisines auffi bien que dans la nôtre, plus d'une rivale qui joint aux graces de fon fexe les vertus du nôtre,&les talens des deux. Nous en verrions fans doute un bien plus grand nombre, si tous les chefs de famille, auffi judicieux que quelques-uns que j'ai l'avantage de connoître, faifoient donner à leurs enfans des deux fexes une égale éducation, avec autant d'exactitude qu'ils en apportent à partager également entre eux leur tendreffe & leur fortune.

Mais rien ne prouve mieux combien l'Etude des Mathématiques eft attraïante & facile; que les progrès que font dans cette Science les enfans à qui (pour ainfi dire) on en fait fuccer les Elemens avec le lait. Exemts des préjugés qui font des fruits malheureux d'un âge plus avancé, il reçoivent avec avidité ces premieres impreffions qu'ils retiennent toute leur vie. Entrainés par les charmes de la vérité, ils deviennent des hommes avant d'arriver à l'adolescence.

Entre les exemples qui m'ont frappé davantage, qu'il me foit permis d'en rapporter un. J'ai vû il y a quelques années une jeune enfant, émule de deux freres à peu près de fon âge, leur difputer la gloire d'exceller dans l'Etude de la Géométrie. J'ai vu ces aimables rivaux, à peine au fortir du berceau, préférer le craïon, la regle & le compas aux premiers colifichets dont on amufe ordinairement leurs femblables; & bégaïer les vérités géométriques avec des témoignages de fatisfaction qui ne laiffoient aucun doute fur leur intelligence. J'ai vu (j'ofe le dire) ces enfans fe faire un amusement d'une étude qu'on croit n'appartenir qu'à des hommes déja formés; dans le tems même où la moitié des François s'occupoit à des jeux d'enfant.

Nous conclurrons donc que l'étude des Mathématiques est fimple, agréable, intéreffante, & que les principes de cette Science expofés avec ordre & developpés avec foin, font intelligibles à tous. Mais aux preuves de fa facilité, joignons celles de fon utilité qui vont faire l'objet de ma feconde partie.

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Gdoute

RACES à la divifion qui régne parmi les hommes on ne doute point de la néceffité d'apprendre l'Arithmetique & les proportions. On fait que le commerce, le change & toutes les négociations particuliéres ne roulent que fur ces deux pivots. On en fait la partie effentielle de l'éducation la plus commune. Ceux qui négligent le plus les fciences capables de former, de nourrir & d'orner l'efprit, font ordinairement les plus attachés à leurs intérêts; par conféquent rien de mieux prouvé à leur égard que l'utilité du calcul numérique : mais les plus defintéreffés des hommes, les plus Philofophes font perfuadés que l'Arithmétique eft l'introduction aux Mathématiques,& que l'Analogie eft l'ame des Sciences & des Arts, ainsi tout le monde est également convaincu de leurs avantages.

Il n'en eft pas de même de l'Algébre. Cependant on fe tromperoit en me croïant plus embarraffé à prouver l'utilité de ce Calcul, qu'à faire voir fa facilité. Je puis affurer avec confiance que cette feconde preuve me fera plus aifée encore quela précédente. L'Arithmétique est trop bornée pour réfoudre la plupart des queftions qu'on peut faire fur les Mathématiques. L'Algébre au contraire fatisfait également à toutes par fa proprieté finguliére d'exprimer toutes fortes de quantités qu'on ne pourroit pas toujours représenter par les nombres.

Qu'on me permette ici de prévenir ce qu'on pourroit m'objecter. Vous nous avez fait entendre il n'y a qu'un moment, me diroit-on, que chaque lettre doit être prife comme une note qui renvoie à P'explication qu'en donne la préparation du calcul. Actuellement vous avancez que ces mêmes lettres repréfentent des quantités que les nombres ne pourroient pas exprimer. Accordez-vous donc avec vous-même. Ne vous voit-on pas le plus fouvent à la fin d'un calcul substituer des nombres aux lettres? chacune de ces lettres que vous remplacez par un nombre avoit donc dans votre hipothèse la valeur de ce nombre qui lui fuccéde. La bigarrure dont vous chargez votre calcul eft donc une pure affectation de votre part. Bien plus, vous faites deux calculs pour un. Car après avoir fini vos opérations fur les lettres, vous les repérez fur les nombres; à quoi donc vous fert l'Algébre? Est-ce ainfi que vous abregez?

Je conviens, MESSIEURS, que les lettres dont fe fert l'Algébre expriment toujours des quantités, mais elles ne représentent pas toujours des nombres. Dans les cas même où il ne s'agit que

de nombres, il y en a toujours quelques-uns d'inconnus, & la question eft de les trouver. Par conféquent on ne peut pas les exprimer en nombres. Il faut donc choifir quelques caractéres qui les repréfentent, qui en tiennent la place & par le moïen defquels on puiffe découvrir ce qu'on cherche.

Mais, répondra-t'on, exprimez tant qu'il vous plaira les quan tités inconnues par des lettres, & n'augmentez pas l'obfcurité d'un Problême en fupprimant les quantités connues & les repréfentant aussi par des fignes de même espéce.

A cela je repliquerai qu'on n'obfcurcit point les queftions propofées; car on diftingue tellement ce qui eft connu d'avec ce qui ne l'eft pas, qu'il eft impoffible de s'y tromper. Au contraire on diminue le travail, puifque d'une part on évite tous les calculs particuliers dans lefquels ces nombres connus jetteroient nécellairement, & que de l'autre on découvre & l'on fuit, pour ainsi dire, pas à pas, tous les changemens fucceffifs qui furviennent à chacune des quantités qui entrent dans un calcul algébrique. Ces grandeurs font toujours diftinctes les unes des autres, elles ne fouffrent aucun mélange, & les nombres ne pourroient manquer de fe confondre.

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L'Arithméticien ne reffemble pas mal à un voïageur qui s'approche de l'objet auquel il tend & qu'il apperçoit de loin, » mais qui ne remarquant pas le chemin qu'il a pris, ne peut plus le reconnoître quand il s'agit de retourner fur ses pas; au » lieu que l'Algébrifte en allant à fon but marque par des traces ineffaçables la route qu'il fuit, enforte qu'il ne lui eft pas poffi» ble de la méconnoître. L'Algébre eft, pour ainsi dire, à fon égard un char commode qui le conduit où la foibleffe de fes jambes ne lui permettroit pas d'arriver. Mais en même-tems les roues de ce char gravant de profondes traces de leur passage, lui défignent la voie qu'il a fuivie, & par laquelle il peut

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>> revenir. »

Mais la plus importante propriété de l'Algébre, celle qui caractérise le génie de ce Calcul eft de tout généralifer. La réfolution algébrique d'un Problême, renferme la folution de l'infinité de Problêmes de la même espéce. Tâchons de rendre ceci plus fenfible par un exemple.

Le commerce épiftolaire quelque varié qu'il foit peut être réduit à certaines regles. En général il fert à inftruire un abfent des évenemens qui regardent celui qui écrit,ou celui auquel on

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écrit,ou qui les concernent tous deux, ou enfin qui n'intéressent ni l'un ni l'autre. Mais les évenemens finguliers font rares. Ceux dont nous fommes témoins différent peu de ceux qui font arrivés du tems de nos peres:& nous pouvons préfumer que notre poftérité verra revenir à peu près les mêmes incidens. Quoique le cours de la Fortune fuive un ordre moins reglé que celui de la Nature, quoique peut-être il n'en fuive aucun : ce cours, tout impénétrable qu'il foit pour nous, n'en eft pas moins certain.

Suppofons donc que dans la vue de réferver pour d'autres occupations le tems qu'on emploie au commerce épistolaire, on fut dans l'usage d'imprimer des modéles de toutes fortes de lettres. Imaginons encore que l'on pût réduire la quantité de ces modéles à un certain nombre déterminé, faufà faire imprimer un nouveau modéle pour un évenement qui n'auroit pas été prévû. Il eft évident que le nombre réel de lettres feroit réduit au nombre de modéles, parce que le même fonds feroit commun à des milliers de lettres particuliéres qui différeroient peu les unes des autres. On choifiroit donc pour chaque affaire différente un imprimé convenable, & au lieu d'écrire une lettre entiére, on ne feroit autre chofe que de remplir à la main les places refervées pour mettre les noms, les dates & quelques autres circonftances qui ne dépendroient que du plus où du moins. Par ce moïen un même homme pourroit envoïer cent lettres circulaires à autant de perfonnes différentes, en moins de tems qu'il n'en met à tracer une lettre feule.

que

L'Algèbre réalife par rapport aux quantités, la fuppofition que je viens de faire relativement au commerce épiftolaire. Tous les jours on repéte les mêmes queftions en changeant feulement les quantités connues : & fi l'on exprimoit ces quantités par les nombres, il faudroit auffi repéter les mêmes opérations, dès que, fans changer les conditions d'un Problême, on en changeroit feulement les quantités connues. Mais au contraire chaque folution algébrique eft un modéle pour réfoudre toutes les questions qui peuvent y être rapportées. Faifons une nouvelle application.

Suppofons qu'on nous demande quels font deux nombres inconnus dont on détermine la fomme & la différence. Si nous faifons entrer dans le calcul les quantités connues telles qu'elles font données, nous trouverons, il est vrai, les nombres demandés, mais nous ne découvrirons rien de plus. Or tous les nom

bres poffibles pris deux à deux, peuvent être fucceffivement propofés pour fomme & pour différence. Faudra-t'il donc repéter une infinité de fois le même calcul, fi l'on propofe une infinité de fois la même queftion? La vie d'un homme ne fuffiroit pas pour réfoudre entiérement la plus fimple de toutes les difficultés! Au contraire fi nous repréfentons les quantités connues par deux notes différentes; par exemple, la fomme par la lettres, & la différence par la lettre d, un calcul très-court nous donnera une folution générale qu'on appelle une formule, qui fervira de modéle pour réfoudre l'infinité de queftions du même ordre; en forte que dans un très-petit nombre de caracteres algébriques, nous lirons diftinctement cette propofition. De deux quantités inégales, la plus grande est toujours égale à la moitié de leur fomme plus la moitié de leur différence, & la plus petite eft toujours égale à la moitié de leur fomme moins la moitié de leur différence. Il en eft de même de toutes les autres queftions poffibles. Peut-on après cela douter de l'utilité de l'Algébre? Quelle obligation n'avons-nous pas au Pere de la faine Philofophie, au célébre Defcartes, qui est le reftaurateur de ce Calcul, & qui s'en eft fervi pour nous fraïer une route nouvelle vers la Géométrie.

Gardez-vous bien, MESSIEURS, de borner l'utilité de cette derniere Science à l'idée que préfente fon étimologie. Les deux mots Grecs dont elle eft compofée fignifient mesure de la terre ou mefure de terrain. Jamais figne n'eut moins de rapport à la chofe fignifiée. Un Pâtre groffier pourroit dire auffi juftement que la Mufique eft Part de jouer de la mufette.

L'objet de la Géométrie eft bien plus vaste que fon étimologie ne l'annonce. Le titre qu'elle porte ne convient qu'à ce que nous appellons arpentage; art, ou si vous voulez, métier, dépendant à la vérité de la Géométrie, dont il eft, pour ainfi dire, la partie la plus matérielle; mais qui de la manière dont l'exercent ordinairement la plupart de ceux qui fe bornent à ce travail, peut, fans rifque, être defavoué par la Géométrie.

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. Entre toutes les Sciences qui compofent les Mathémati ques, la Géométrie tient le premier rang. Semblable à cet aftre » lumineux, dont les autres Planetes empruntent leur éclat, elle » répand fur les autres parties de cette fcience fublime des clartés qu'aucune ne peut lui rendre, & fans lesquelles d'épaiffes ténébres nous les déroberoient & les enfeveliroient pour toujours.

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