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Que le fimple nous conduife au compofé par une gradation infenfible. Que chaque maxime amenée par la précédente en foit une fuite néceffaire, & devienne la fource de celle qui la fuit. Que des Elémens, en un mot, s'offrent à nous comme un arbre généalogique. La propofition la plus élevée ne nous étonnera point, parce que nous l'aurons prévue. Nous croirons même partager avec les plus grands hommes le mérite de leurs découvertes les plus précieufes. Enfin, l'évidence nous perfuade, la fublimité nous transporte, mais l'ordre nous invite. L'attrait infurmontable qu'on trouve aux bons ouvrages en ce genre fournit à cet égard la preuve la plus complette. Mais en même tems ces chefs-d'œuvre de l'art, bien loin d'être à la portée de tout le monde, ne peuvent la plupart être entendus que par ceux qui fe font déja initiés dans ces Sciences aux rifques de l'ennui qu'ils ont effuïé dans une foule d'ouvrages médiocres, & du travail immenfe que des préceptes mal digérés ont dû leur occafionner.

En effet parmi les plus célebres Auteurs qui ont travaillé fur cette matiere, les uns déterminés par des circonftances particulieres, n'ont donné que ce qui étoit relatif à leur but principal, & font par conféquent reftés fort au-deffous de ce qu'ils auroient pû faire. Les autres fatisfaits d'avoir découvert & développé ce que ces Sciences ont de plus abftrait & de plus profond, ont prefque tous fuppofé la connoiffance des Principes Elémentaires. De-là vient que leurs Ecrits, objet du plus vif empreffement des Savans, ne peuvent être qu'admirés par ceux qui font privés de ces connoiffances. Des Commençans que le travail effraie, ne manquent pas de s'effaroucher, fouvent même de fe rebuter à l'infpection d'une définition qu'ils trouveront abftraite, d'une propofition dont l'intelligence exigera quelque attention de leur part, d'une conféquence qu'ils ne croiront pas immédiate, d'une opération qui leur paroîtra peu détaillée, d'une démonftration qui les convaincra fans les

éclairer.

Bien au-deffous de ces illuftres Ecrivains, je ne forme point le deffein de les égaler. Mon projet moins vafte, plus mesuré plus utile eft de multiplier leurs partifans, d'étendre l'empire de la vérité. Pénétré de l'excellence des modeles que nous avons fur les parties les plus importantes des Mathématiques,

je

je n'ai d'autre objet que de conduire mes Lecteurs à ces fources toujours abondantes du vrai, du grand, du folide, & de les mettre en état d'y puifer eux-mêmes. Heureux fi je réuffis à leur en inspirer le défir.

Dans cette vue je me fuis fixé aux parties élémentaires. Je me fuis propofé de les rendre intelligibles à tout lecteur attentif fans connoiffances préliminaires & fans fecours étrangers. Après une introduction fommaire, je commence par le Calcul. J'entre dans les derniers détails au fujet des opérations du premier dégré fur les grandeurs entiéres foit arithmétiques foit algébriques; & je ne fupprime dans la fuite ces détails qu'à mesure qu'ils deviennent inutiles & que le lecteur, muni de ce qui précede, eft en état d'y fuppléer. De-là paffant aux opérations de même nature fur les quantités rompues, j'en fais l'application fur toutes fortes de fractions. Enfuite examinant comment fe compofent les puiffances, j'en tire le principe de l'extraction des racines, & les différens moïens d'approcher des racines impoffibles des puiffances imparfaites; ce qui me conduit naturellement au calcul des radicaux, & celui des puiffanccs par leurs expofans termine ce premier volume.

La réfolution des équations compofera le fecond volume. Toute équation peut donner une proportion. Reciproquement toute proportion fournit une équation. L'Analogie & l'Analyse ont donc enfemble un rapport trop intime pour que je doive les féparer. Je traiterai conjointement de ces deux fciences fans les confondre. On les trouvera réduites aux principes les plus fimples, & cependant j'y fais entrer tout ce qui eft néceffaire pour entendre les ouvrages les plus fublimes que nous aïons fur cetre matiere.

Les propriétés de la ligne droite, du cercle & de ce qui en eft compofé, c'est-à-dire la Géometrie élémentaire théorique & pratique, la Trigonométrie rectiligne, la Géodefie & le Nivellement feront dans le troifieme volume. J'ai tâché de rendre cette partie intereffante par l'enchainement, & la clarté des principes & par les applications que j'y joins autant qu'il eft poffible.

Enfin dans le quatriéme volume nous expliquerons la Méchanique tant des corps folides que des corps liquides. Nous y examinerons d'abord les loix du mouvement, de la projection

Tome I.

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& de la percuffion des corps folides, c'eft-à-dire la Dynamique, la Balliftique & le choc des corps à reffort & fans reffort. De-là nous pafferons aux principes de l'équilibre, nous examinerons dans la Statique la conftruction & l'usage des machines fimples & compofées. La feconde partie comprendra l'Hydraulique & l'Hydroftatique. Nous y développerons les principes du mouvement & ceux de l'équilibre des corps fluides.

Il me reste à parler du Stile. On ne s'attend pas fans doute à le trouver fleuri. On a raison. Cependant j'ai tâché de rendre mes Effais lifibles par l'uniformité de la méthode, la clarté & la pureté de la diction. Ce font ordinairement les feules qualités qu'on défire & qu'on doive défirer dans les fujets que je traite. Encore ne s'y rencontrent-elles pas toujours. Le favant Tribunal aux lumiéres duquel je me fuis foumis, a jugé que j'avois rempli mon projet. J'ai donc lieu d'efperer que le public fera fatisfait à cet égard. En effet les figures de Rhétorique font deftinées à émouvoir l'ame. Par conféquent elles ne simpatifent point avec des principes qui exigent de notre part une entiere & tranquille application. La matiere eft par elle-même trop imde portante pour nous permettre Po partager notre attention entre le corps & le vêtement. On ne pare de fleurs que les mets délicats. Ces ornemens étrangers font incompatibles avec les viandes folides. Sans altérer l'ordre, fans m'écarter de l'exactitude, la fimplicité fait le principal objet de cet ouvrage. Plus curieux d'éclairer que d'ébloüir, j'ai immolé, ou au moins je me fuis propofé d'immoler par tout l'amour propre de l'auteur à l'utilité du lecteur.

Guidé par de pareils motifs, je devrois peut-être ne point vanter l'utilité des Mathématiques. Leur mérite eft affez généralement reconnu, je le fais. D'ailleurs ceux qui liront mes Effais feront d'avance perfuadés de l'importance des fujets qui y font traités; & s'il eft quelqu'un qui regarde cette matiere comme peu intéreffante, je ne dois je ne dois pas préfumer qu'il choififfe mes Elémens pour se détromper. J'en conviens également. Cependant par un ufage bon ou mauvais, il femble qu'on ne puiffe faire une préface fans y préconifer le fujet qu'on a choisi. Peut-être auffi le but de cet ufage eft-il de faire retomber fur le panégirifte une partie des louanges qu'il prodigue à

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l'objet du panégirique. On eft rarement modefte en faisant l'éloge de ce qu'on aime. On eft encore plus rarement défintéreffé. Ufons donc du privilége & tâchons de n'en pas abufer.

Les Mathématiques font utiles à tout homme en particulier. Nous leur devons la naiffance & le progrés des arts. Elles font la défense & la fureté des empires les plus puiffans. Les avantages qu'on en retire font de tous les tems & de tous les lieux. Qu'on nomme, s'il est possible, quelque art, quelque fcience digne de porter ce nom, qui ne leur foit redevable d'aucun fecours. Je dis plus. Qu'on examine depuis le courtifan jufqu'au laboureur. Qu'on paffe du cabinet du politique à l'attelier de l'artifan, on connoîtra que de tous les différens états, il n'en eft point qui ne foit aidé par les Mathématiques, ou qui ne gagnât à l'être.

Mais un intérêt bien plus grand doit nous porter à les cultiver. Oublions, s'il fe peut, toutes les commodités qu'elles nous procurent foit en fatisfaifant nos goûts, foit en prévenant nos befoins. Si la reconnoiffance eft pour nous un fardeau trop pefant, oublions encore que nous ne pourrions fans leur fecours braver les injures de l'air, accroître notre fortune, affurer notre repos; leur prix n'en fera pas moins grand. Notre efprit, ce raïon émané de la Divinité, cette portion la plus noble de nous-mêmes n'appercevant les objets qu'à travers d'or ganes plus ou moins bien conformés, n'eft que trop fouvent fufceptible des impreffions les plus fauffes & des illusions les plus groffieres, fi nous ne l'affujetiffons à des préceptes qui reglent fa marche & qui déterminent tous fes mouvemens.

En effet un même principe nous conduit tous. Nous évaluons du plus au moins, nous comparons, nous combinons, nous mefurons, nous comptons, nous pefons, (pour ainfi dire) toutes nos démarches. Nous calculons les avantages & les inconvéniens qui peuvent résulter de chacune. Cette comparaison feule nous engage dans une entreprise, on nous la fait abandonner felon que nous la jugeons plus ou moins favorable. Sans cet exameu préliminaire, nous reffemblons à des pilotes imprudens qui vogueroient au hazard fans gouvernail, fans bouffole, & qui par conféquent feroient expofés à toutes fortes de dangers. Or quel guide plus sûr dans ces opérations de notre efprit que la fcience de la grandeur? C'eft-à-dire, que l'art de

calculer, de comparer, de combiner, de mesurer, de pefer? La Science des Mathématiques eft donc fans contredit la plus capable d'éclairer & de diriger notre raison, de la délivrer des préjugés honteux qui l'obfcurciffent. C'eft cette science fublime, ou (comme les Anciens l'ont nommée ) cette science par excellence qui rend à l'efprit toute la jufteffe & toute l'étendue dont il eft capable. Le Géometre lui doit cette heureuse facilité de diftinguer le vrai du faux, cette fagacité de jugement, cette aptitude à tout qui le caractérisent. C'eft elle qui lui fournit les moïens de convaincre le plus outré Pyrrhonien par les argumens les plus forts, les plus vifs, les plus concis. C'eft elle qui lui donne cette méthode claire & précise de découvrir la vérité; de l'expofer, de la faire connoître aux autres. C'eft elle enfin qui nous rapproche de notre Auteur en ranimant en nous ce goût de la vérité, qui fait le plus noble appanage de l'homme & qui devroit être l'objet de tous nos foins.

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