Imágenes de páginas
PDF
EPUB

Apr. J. C.

L'an 12500

qui le tuerent. Deux jours après cette bataille (a) le nouveau Sulthan Touran schah qui étoit parti du château de Kipha, arriva à Manfoura, & le jour fuivant il rangea fes troupes en bataille. Vers le midi les premiers corps commencerent à s'ébranler, il y eut un nouveau combat, où chacun prétendit avoir remporté la victoire. Il paroît certain que les Francs repoufferent les Mufulmans; mais ceux-ci qui avoient en même tems plufieurs vaiffeaux en Mer, en enleverent trente-deux aux Francs, parmi lefquels il y en avoit neuf de la premiere grandeur. Cette perte affoiblit confidérablement les Chrétiens. Tous les Francs de Jérufalem & de la Syrie ayant fait folliciter S. Louis de rendre Damiette aux Mufulmans, on propofa de remettre cette ville au Sulthan, à condition que celui-ci laifferoit en paix le Royaume de Jérufalem & les malades qui étoient dans Damiette, & qu'il feroit permis d'emporter toutes les machines. Le Roi vouloit donner pour ôtage, ou le Comte de Poitiers, ou le Comte d'Anjou; mais le Sulthan exigeant que le Roi lui-même servît d'ôtage, ce Prince ne voulut point y confentir, & fe difpofa à quitter un endroit où il couroit rifque de perdre toute fon armée, par l'infection que caufoient les corps morts, & où d'ailleurs il manquoit de vivres, parce que les Mufulmans avoient coupé toute communication avec Damiette.

S. Louis ordonna que l'on décampât le mardi au foir après l'octave de Pâques, pour retourner dans cette ville (b). Dans le tems qu'il étoit occupé à faire conftruire un pont fur le Nil, les Mufulmans entrerent dans fon camp, & tuerent tous les malades. Le Roi accourut à l'arriere-garde qui étoit le plus en danger; tout malade qu'il étoit, il foutint vaillamment avec Geofroy de Sergines le choc des ennemis, & s'enfonça dans la mêlée, réfolu de périr pour fauver fes troupes. Le brave Sergines qui ne le quittoit pas, & qui s'expofoit aux plus grands dangers pour le défendre, le débarrassa enfin, & le conduisit à Meniat-abouabdallah, où ce Prince accablé de laffitude & de la foibleffe caufée par fa maladie,

(a) Le jeudi.

da le mercredi 3 de Mouharram de l'an 3 (6) Aboulfedha dit la nuit qui précés 648 de l'Hegire.

Aboulma

tomba en défaillance. Là il fut fait prifonnier par les Mufulmans, & après lui tous les François. Ceux même qui L'an 1250. Apr. J. C. étoient fur les vaiffeaux furent pris par les galeres du Sul- Aboulfedha than: un grand nombre fut égorgé, d'autres follicités inuti- Joinville. lement d'embraffer le Mahométifme. S. Louis avoit d'abord hafen. obtenu fûreté de Mouhflin effalehi, Gouverneur de l'endroit où il s'étoit réfugié, mais d'autres troupes Musulmanes qui arriverent le conduifirent à Manfoura. Les Mufulmans avouent eux-mêmes que ce Prince pouvoit fe fauver, & qu'il ne fut pris que parce qu'il s'obstina à défendre fes foldats & à vouloir faciliter leur paffage & leur fuite. On compte qu'il y eut vingt mille prifonniers, & fept mille hommes tant tués que noyés. Le Sulthan d'Egypte fit revêtir de veftes d'honneur S. Louis & tous les grands Seigneurs qui étoient au nombre de cinquante. On rapporte que S. Louis parut furpris de ce traitement, & qu'il dit : Quoi ! celui qui eft maître de mon pays me fait ainsi revêtir d'une robe. Le lendemain le Sulthan donna un grand feftin, auquel S. Louis ne voulut point être préfent. Ce Prince, dit Saadeddin, Auteur Arabe contemporain, cité par Aboulmahafen, avoit beaucoup de prudence, une fermeté inébranlable & beaucoup de religion, des mœurs douces, tous les Chrétiens l'eftimoient à -čaufe de fes vertus. Le Sulthan fit enfuite mettre à les artisans, & ordonna que l'on fit mourir les autres. Saint hafen. Louis fut renfermé à Manfoura, d'autres difent au Caire dans la maifon de Phakhreddin, fils de Locman, & on le confia à la garde d'un Thaouafchi, nommé Sabih, un des Mameluks de Touran fchah, qui le traita avec beaucoup de respect.

[ocr errors]

part tous

Aboulma

Les petits Mameluks, c'eft-à-dire, ceux qui étoient ve- Aboulfa nus du château de Kipha avec Touran fchah, & qui étoient radge. fes Officiers particuliers, faifirent cette occafion pour repréfenter à Touran fchah que Schadjreddor & Azzeddin ibek le Turkoman s'étoient emparés de toute l'autorité, & qu'ils ne lui laiffoient que le titre de Sulthan. « Si vous étiez, lui dirent-ils, dans votre ancien château de Kipha, vous feriez plus tranquille; ici vous n'avez de la royauté què le titre; vos plus grands ennemis ne font pas les Francs,

[ocr errors]

Apr. J. C.

L'an 1250.

S. Louis.

Joinville.

[ocr errors]
[ocr errors]
[ocr errors]
[ocr errors]

mais les grands Mameluks qui ne vous ont mis la couronne fur la tête qu'afin que vous vinffiez battre les Francs. No»tre avis feroit donc que vous fiffiez la paix avec S. Louis, » que vous lui remettiez tous les prifonniers, à condition qu'il vous rendra la ville de Damiette, qu'il payera une » fomme d'argent, & qu'il s'en retournera dans fes Etats. Délivré par ce moyen des ennemis étrangers, vous n'aurez » plus befoin de toute cette milice audacieuse ». Touran schah Lettre de réfolu de fuivre cet avis, fit propofer à S. Louis (a) de remettre Damiette avec tout ce que les Chrétiens y avoient trouvé, & de payer une fomme pour les frais de la guerre. Après plufieurs conteftations on convint d'une tréve de dix ans, que le Sulthan remettroit en liberté tous les prifonniers Chrétiens qui étoient répandus dans fes Etats, ceux qui avoient été pris dans cette guerre, que ceux qui l'avoient été dans les guerres précédentes, & que les Francs conferveroient dans le Royaume de Jérufalem ce qu'ils poffédoient lors de l'arrivée de S. Louis à Damiette. D'un autre côté S. Louis s'engagea de rendre Damiette & de payer huit cens mille bezans farrafinois (b), tant pour les frais de la guerre, que pour la rançon des prifonniers. Le Sulthan promit encore de laiffer aux Chrétiens tout ce qu'ils avoient dans Damiette, avec la liberté ou de le vendre, ou de le faire transporter ailleurs, & accorda aux malades la permiffion de refter dans cette ville jufqu'au rétablissement de leur santé, & aux autres jufqu'à ce qu'ils aient arrangé leurs affaires.

Aboulmamahafen.

[ocr errors]

tant

Le Sulthan avoit fait fçavoir cette grande nouvelle dans tous les Etats, & particuliérement dans la ville de Damas, & avoit écrit cette Lettre à Dgemaleddin (c) qui en étoit le Gouverneur. Louange au grand Dieu qui a éloigné de >> nous toute affliction; la victoire ne vient que de lui feul. Que tous les Musulmans se réjouiffent à l'occasion de celle qu'il vient de nous accorder, car il eft le maître de la » donner à qui il lui plaît, il est tout-puiffant & très-miséricordieux. Nous vous faifons part, & à tous les Muful

[ocr errors]

(a) Tous les Hiftoriens Arabes nomment ce Prince Redefrans, c'est-à-dire, le Roi de France.

(b) Joinville n'en met que 200.
(c) Fils d'Yagmour.

[ocr errors]
[ocr errors]
[ocr errors]

Apr. J. C.

mans de la grande victoire que nous avons remportée fur les ennemis de notre Religion. Au commencement Tan 1250 de cette année Dieu a comblé de bénédictions les Mufulmans. Nous avons ouvert nos magasins, diftribué nos » tréfors & nos armes, raffemblé nos chariots & tous les » braves foldats qui nous font foumis. Des armées, dont Dieu feul fçait le nombre, font venues des vallées pro» fondes & des endroits les plus éloignés. A cette vûe l'en» nemi nous a fait demander la paix fuivant les anciennes » conventions faites avec le Sulthan Adel aboubekr, mais » nous n'avons confentir; alors à la faveur de pas voulu y » la nuit ils ont voulu abandonner leurs tentes & leurs ba»gages pour fe retirer à Damiette, nous les avons poursuivis, → nos fabres n'ont ceffé d'agir fur eux pendant toute la nuit, & ils ont été couverts d'opprobre. Nous en avons tué » trente mille, fans compter ceux qui fe font jettés euxmêmes dans l'abyfme. Le Roi de France s'eft fauvé à Mania, où il a demandé une fauve-garde que nous lui » avons accordée. Il est actuellement notre prifonnier, nous » l'avons comblé d'honneur, & il nous remet Damiette ». Le Sulthan ayant envoyé en même tems le manteau d'écarlate (a) du Roi qui étoit garni d'hermine, ce Gouverneur se montra publiquement dans Damas avec ce manteau.

[ocr errors]
[ocr errors]

Après avoir conclu le traité avec le Roi de France, le Sulthan fit embarquer fur quatre galeres le Roi avec les principaux Seigneurs François, pour les reconduire à Damiette, mais avant il les fit arrêter à Phareskour, où il étoit alors. C'étoit une efpece de maison de campagne fituée fur le bord du fleuve. On avoit élevé une haute tour qui étoit garnie en-dehors de toiles peintes; devant étoit un grand pavillon où les Emirs laiffoient leurs armes lorfqu'ils alloient chez le Prince. Au-delà du pavillon il y avoit une porte qui donnoit entrée dans une falle où mangeoit le Sulthan. Au

(a) M. l'Abbé de Vertot dans une Diflertation que l'on trouve dans le fixieme Volume des Mémoires de l'Académie, dit que S. Louis s'abftenoit de porter l'écarlate, le vair & l'hermiac. L'Hiftorien Aboulmahafen eft con

traire à ce fentiment. Il a même em-
ployé dans fon texte le mot François
d'écarlate, qu'il corrompt en l'écrivant
Afchcarlatha, & il ajoute l'explication
de ce mot en difant que cette étoffe eft
rouge.

Apr. J. C. près de-là on voyoit une autre tour semblable à la premiere, L'an 1250. par laquelle on montoit dans fa chambre. A côté étoit une cour dans laquelle il y avoit une tour plus grande que les deux autres, d'où l'on découvroit tous les lieux circonvoifins; & de cette cour, au bord du fleuve, il y avoit une allée, à l'extrémité de laquelle étoit un pavillon couvert en-dehors de toiles peintes, comme l'étoient les tours ; c'étoit-là que le Sulthan se baignoit. S. Louis, avec les autres Seigneurs François, fut conduit le jeudi (a) à ce palais, convenir avec le Sulthan de lui remettre quelques pour Aboulma- jours après la ville de Damiette. Les chofes étoient en cet hafen. état lorfque le Sulthan fut affaffiné par fes propres Emirs. Joinville. Ce Prince, en parvenant au trône avoit dépouillé de

[ocr errors]

leurs charges plufieurs Officiers de fon pere, & avoit conclu le traité avec S. Louis fans la participation des autres. Depuis ce tems ceux-ci chercherent les moyens de fe venger, & engagerent dans leur parti les chefs de la Halca. Un lundi (b), comme il rentroit dans fon appartement, un des Mameluks de fon père lui porta un coup de fabre, & lui coupa quelques doigts de là main (c). En rentrant dans la la tour ce Prince dit: Ce coup vient certainement des Baharites, mais je m'en vengerai en les faifant tous périr. Alors tous ces Emirs fe raffemblerent & fonnerent des trompettes; à ce bruit la milice prit les armes, les Emirs lui annoncerent que Damiette étoit rendue, & que le Sulthan Aboulfedhá étoit déja en marche, auffi-tôt elle partit. Pendant fon abAboulma- fence les Emirs allerent au palais, & le Sulthan s'étant hafen. Soyouthi. fauvé au plus haut de la tour, ils y mirent le feu & accaAboulfa blerent de fleches ce Prince. Touran fchah se jetta dans radge. Joinville. l'eau en criant, Je ne veux point de votre Royaume, Mu

fulmans, pourquoi m'avez-vous fait venir du château où j'étois? Neuf ou dix cavaliers le poursuivirent dans l'eau, & le tuerent proche de la galere où étoit le Sire de Joinville. Phares octai (d) lui arracha le cœur, & vint le préfenter à S. Louis qui étoit présent à cette fcêne, en lui demandant

(a) Le jeudi d'avant l'Afcenfion.
(b) Le 27 de Mouharram,

Celui qui le frappa le premier eft

Rokhneddin bibars qui fut Sulthan dans la fuite.

(4) Joinville le nomme Pharacatait,

une

« AnteriorContinuar »