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L'an 1398.

& que Tamerlan avoit dans fon camp plus de cent mille prifonniers Indiens qui étoient Ghebres ou Idolâtres, fes Apr. J. C. principaux Officiers lui représenterent qu'il étoit à craindre Tamerlan que dans une action, tous ces Indiens ne fe révoltaffent, & ne priffent parti contre les Tartares. Tamerlan ne confulta dans cette occafion que fa cruauté pour remédier à cet inconvénient, & donna ordre que l'on fit périr tous ces malheureux; que celui qui n'obéiroit point, feroit mis à mort, & que fes femmes, fes enfans & tous fes biens feroient remis au dénonciateur. En moins d'une heure plus de cent mille Indiens furent égorgés. Après cette cruelle précaution, il marcha (a) au fiége de Dehli, & alla camper de l'autre côté de la riviere de Jaoun, où fes foldats creuferent un foffé autour de leur camp, ils le garnirent de paliffades ; & pour former un rempart ils lierent par les pieds & par le cou plufieurs gros buffles, derriere lefquels ils drefferent leurs tentes. Tamerlan fe rangea enfuite en bataille, mit à la tête de fon aîle droite fon fils Pir mohammed Dgihanghir; à la gauche, les Mirzas Sulthan houffaïn & Khalil fulthan; donna l'arriere-garde au Mirza Roustem, & fe mit à la tête du corps de bataille. L'aîle droite des affiégés étoit fous les ordres de Tadgikhan & de Mir aly khodgia; Malek moïneddin & Malek hani commandoient la gauche. Le Sulthan des Indes, Mahmoud khan (b), étoit à la tête du centre de bataille avec Mellou khan. Son armée confiftoit

en dix mille maîtres (c) bien montés , en quarante mille hommes de pied, & un grand nombre d'éléphans armés de cuiraffes, ayant à leurs dents de grands poignards empoifonnés, & fur le dos des tours de bois en forme de bastions, fur lefquelles étoient montés plufieurs archers. A côté des éléphans marchoient des tireurs de pots-à-feu, de poix enflammée & de fufées volantes, avec des pointes de fer qui donnoient plusieurs coups de fuite dans le lieu où elles tomboient. Les éléphans effrayoient beaucoup les Tartares qui n'en avoient jamais vû, & qui s'imaginoient que ces ani

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fous eux un certain nombre de foldats,
comme autrefois parmi nous une lance,
lorfque l'on difoit douze cens lances.

maux étoient invulnérables, que leur agitation feule déraApr. J. C. L'an 1398. cinoit les arbres, qu'ils renverfoient les plus grands édiTamerlan. fices en les heurtant, & que dans le combat ils enlevoient en l'air le cheval & le cavalier. Tous étoient épouvantés à l'aspect de ces terribles animaux. Tamerlan prit toutes les précautions néceffaires pour ranimer leur courage. Il fit creufer un foffé, enfuite il forma avec les boucliers un rempart, & fit attacher des buffles à côté les uns des autres, par le cou & par les pieds avec de longs cuirs; il fit lier aux deux côtés & fur la tête de ces animaux des fagots; il fit encore faire des crocs de fer à trois branches, pour jetter par terre lorfque les éléphans fe préfenteroient, en même tems que l'on mettroit le feu aux fagots que les buffles portoient.

que

Lorsque les ennemis furent en préfence, Tamerlan crut devoir tirer du corps de bataille de nouvelles troupes pour fortifier l'aile droite & l'arriere-garde. Cette manœuvre ranima un peu le courage de fes foldats qui allerent attaquer les Indiens; le bruit que ceux ci faifoient avec leurs tymbales, leurs tambours, leurs trompettes, d'autres groffes tymbales portées fur le dos des éléphans, & des cloches, jettoit l'effroi dans le cœur des plus intrépides. Dans le tems l'on en étoit aux mains, l'avant-garde ayant apperçu un corps de cavalerie qui s'avançoit, alla fe pofter derriere l'aîle droite, où elle fe mit en embufcade. Après qu'elle eût laiffé paffer cette avant-garde des ennemis,elle fondit avec beaucoup de valeur fur les Indiens dont elle tua en peu de tems cinq à fix cens hommes. Pir mohammed dgihanghir repouffa l'aîle gauche, qui fut rompue par fes propres éléphans que les Tartares obligerent de retourner. Les autres troupes firent pareillement leur devoir, & les Indiens abandonnerent le champ de bataille qui étoit couvert de corps morts & de trompes d'éléphans, & Mahmoud khan alla se renfermer dans fa capitale. Tamerlan s'approcha de la porte, & vint fe pofter auprès d'un grand baffin nommé Havizcas. Ce baffin qui eft rond, avoit été conftruit par le Sulthan Phirouz schah; il étoit fi grand qu'une fleche lancée par une main très-forte ne pouvoit le traverfer dans fon diametre; dans les inondations il fe remplifsoit d'eau dont les habitans

ap:

L'an 1398.

de Dehli fe fervoient pendant le refte de l'année. Au bord de ce baffin étoit le tombeau du Sulthan Phirouz fchah. Apr. J. C. Mahmoud & le Général Mellou khan voyant qu'il ne Tamerlan leur reftoit plus de reffource, abandonnerent Dehli pendant la nuit, & fe retirerent dans les deferts. Pendant que quelques partis Tartares les poursuivoient, Tamerlan entra dans cette capitale, & s'affit fur l'Aïdgiah qui eft le trône des Empereurs des Indes. Il donna une grande fête à toute fon armée. Ensuite il fit fortir tous les éléphans & les rhinoceros dont il fit présent à différens Princes. Ses Officiers firent un état de ce que chaque habitant devoit donner pour le rachat de fa vie, & d'autres furent chargés de la recette. Pendant que l'armée fe livroit aux plaifirs, une troupe de foldats Tartares s'approcha (a) d'une porte de Dehli, & infulta les habitans du fauxbourg; mais ce premier tumulte étant paifé, les Sulthanes, femmes de Tamerlan, ayant envie de voir cette belle ville & principalement un fuperbe palais qui étoit orné de mille colonnes (b), elles entrerent avec toute leur cour, la porte de la ville fut ouverte, & quinze mille Tartares y pénétrerent fans qu'on s'en apperçût. Un plus grand nombre qui étoit dans une grande place entre Dehli, Seiri & Dgihan penah, ce font les trois villes qui forment ensemble celle de Dehli, infulterent tellement les Ghebres, que ceux-ci réduits au défespoir tomberent fur ces Tartares; d'autres mirent le feu à leurs maisons, où ils fe brûlerent avec leurs femmes & leurs enfans: les Tartares augmenterent ce défordre en pillant, & en faisant entrer de nouvelles troupes qui étoient chargées de chaffer de Dehli les habitans des villes & des villages d'alentour qui s'y étoient retirés. Les Officiers Tartares firent fermer les portes pour empêcher que le refte n'entrât, mais ils ne purent arrêter le défordre caufé par les premiers, & Dehli fut entiérement livrée au pillage. Il fe trouva des foldats qui avoient chacun jufqu'à cent cinquante efclaves, hommes, femmes & enfans. Des goujats même en avoient jufqu'à yingt. Le butin fut immenfe & ne put être évalué, puifque

(a) Le 16 de Rabi elakher.

(b) Il avoit été bâti par Jouna, ancien Roi des Indes.

les femmes & les filles de ce pays étoient chargées de pier Apr. J. C. reries aux pieds & aux mains.

L'an 1398.
Tamerlan.

:

Deux jours après (a) le vieux Dehli éprouva le même fort. Un grand nombre de Ghebres s'étoient retirés dans une mosquée, où ils étoient réfolus de fe défendre; les Tartares y entrerent le fabre à la main & les taillerent en piéces les autres habitans furent chargés de chaînes, & conduits hors de la ville, où chaque Officier Tartare en prenoit une troupe pour fon fervice. Les artifans furent partagés entre les Princes, & les tailleurs de pierre furent conduits à Samarcande pour y bâtir une mosquée. Tel fut le fort de la capitale des Indes qui eft formée de trois villes. Celle de Seiri eft environnée d'une muraille, le vieux Dehli qui eft plus vafte, eft de même, & depuis le mur de Seiri fitué au Nord-Eft jufqu'à celui du vieux Dehli qui eft au SudOuest, on a tiré un mur de chaque côté, & c'eft cet intervalle, plus grand que le vieux Dehli, qui forme la ville de Dgihan penah. Seiri a trois portes qui donnent entrée dans Dgihan penah, & quatre autres qui conduifent dans la campagne. Dgihan penah a treize portes, fix au NordQueft, & fept au Sud-Eft.

Tamerlan laiffa un Gouverneur dans Dehli, & marcha vers Phirouz abad qui n'en eft éloignée que de trois milles. Il s'arrêta pendant une heure pour confidérer les endroits délicieux de ce beau féjour; & en fortant il trouva quelques-uns de fes Officiers qu'il avoit envoyés en qualité d'Ambaffadeurs vers la ville de Coutelé. Ceux-ci lui apprirent que Bahadour nehar qui regnoit dans ces quartiers, devoit venir dans peu baiser la terre devant lui. En effet les Ambaffadeurs de ce Prince lui préfenterent bientôt après deux perroquets blancs qui depuis le regne de Toglouc fchah étoient reftés dans les antichambres des Rois de l'Inde ; plus loin il rencontra Bahadour nehar qui lui apportoit de riches préfens. Il marcha enfuite vers la ville de Mirth qui eft une des plus fameufes places de l'Empire des Indes, où plufieurs Ghebres s'étoient fortifiés. Ils avoient tant de

(4) Le 19 de Rabi elakher.

Tamerlan.

confiance dans cette place, qu'ils répondirent avec fierté Apr. J. C aux fommations de Tamerlan, qu'autrefois Turmeschirin, L'an 1398. Khan du Zagatai, n'avoit pû prendre cette place, & qu'ils efpéroient qu'il en feroit de même dans cette occafion. Tamerlan irrité fit miner les murailles (a). Dès le lendemain les travaux furent tellement avancés que l'on monta à l'affaut. Un jeune homme rempli de courage & de hardieffe, jetta une corde aux créneaux, & monta le premier fur la muraille, on s'empreffa de le fuivre ; les Tartares, maîtres de la muraille, entrerent dans la ville le fabre à la main, & fe faifirent du Gouverneur. Tous les Ghebres de cette ville furent écorchés vifs, leurs femmes & leurs enfans faits esclaves, & la ville réduite en cendres.

Après la réduction de cette place, le Névian Dgihan schah s'embarqua fur la riviere de Jaoun avec des troupes, & alla ravager tous les pays occupés par les Ghebres, pendant que Tamerlan prit fa route vers le Gange. Ce Prince se rendit à Phirouz nour (b), fur le bord occidental de ce L'an 1399. grand fleuve, & après avoir fait trois milles, il arriva au paffage ordinaire qui cependant eft fort difficile & fort dange reux. Plufieurs cavaliers le pafferent à la nâge; malgré le danger qu'ils avoient couru, Tamerlan voulut les fuivre ; mais fes Officiers le fupplierent de ne pas fe rifquer : quelques troupes pafferent, il fe contenta de côtoyer le rivage, & marcha vers Toglouc pour. Il avoit fait à peine quinze milles, qu'on découvrit de l'autre côté du rivage un nombre infini de Ghebres. Tamerlan détacha cinquante mille hommes de cavalerie pour les diffiper, & continua fa route vers Toglouc pour. If lui furvint en chemin une tumeur qui l'incommoda beaucoup, mais qui fe paffa. Une multitude de Ghebres montés fur quarante-huit batteaux, s'avancerent alors fur le Gange pour attaquer les Tartares. Ceux-ci fe jetterent à la nâge, & les accablerent de leurs fleches ; plufieurs même gagnerent jufqu'aux batteaux, dans lesquels ils entrerent, & dont ils fe fervirent, après avoir tué tous les Ghebres, pour aller attaquer dix autres batteaux encore remplis de

(a) Le 29 de Rabi elakher.

(b) Le a de Dgioumadi elaoual.

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