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l'Empire, & qui n'avoient point pris une affiette affurée fur leurs Conquêtes, furent fans doute les principales caufes de leurs progrès.

Le mépris n'eft fouvent qu'une fuite de la haine; celui que nous avons pour les Turcs eft mal fondé, & l'on s'en convaincra en jettant les yeux fur les Mémoires d'un des plus grands Capitaines du fiecle paffé. Si une Difcipline fage & vigilante rend aujourd'hui les Mahométans fi redoutables, & contrebalance avec tant de fuccès, les mœurs lâches & efféminées de l'Afie, & les vices d'un Gouvernement qui annonce leur ruine, que ne dûtce pas être dans les beaux jours du Mahométifme, quand le fanatifme qui les échauffoit, ne laiffoit à ce Gouvernement defpotique que ce qu'il peut avoir d'utile?

Mahomet qui avoit établi fa Religion par les Armes, ordonna à ses Sectateurs de l'étendre par la même voye. Il promit des récompenfes éternelles à ceux qui perdroient la vie dans les combats, & il menaça de l'Enfer ceux qui refteroient oififs dans leurs Maifons; à moins que par un tribut, que la gloire ou l'amour

de la Nation ne leur eût peut-être pas arraché, ils ne contribuaffent aux frais de la Guerre. Ce Légiflateur qui connoiffoit tous les refforts du cœur humain, fe fervit de la Religion dont le joug n'est jamais trop pefant, pour rendre plus léger celui de fon Gouvernement politique. Il unit en effet les deux Puiffances, & ne diftingua point les Loix Divines des Loix Civiles. Il fonda un Empire guerrier en profcrivant le commerce & l'induftrie. Toutes fes inftitutions tendoient à faire un Peuple de Soldats. Il deffendit l'ufage du vin & de quelques alimens particuliers, & il permit la Poligamie, afin que fes Sectateurs confervaffent plus longtems leurs premieres mœurs que le luxe & la volup té auroient pû altérer, & qu'au milieu de plufieurs femmes, leur cœur fût plus libre, ou du moins plus à couvert de ces paffions fortes & dangereufes que le fexe a fouvent fait naître.

Les Mahométans dans leur naiffance déteftoient avec fureur toutes les autres Religions; & leur Prophete leur avoit f fouvent recommandé d'exterminer les Infideles par le fer,

qu'il faut attribuer à ces préceptes la brutalité farouche avec laquelle ils firent la Guerre. Une cruauté inoüie fuivoit toujours leurs victoires, ou plûtôt leurs incendies. Un Peuple attaqué commençoit toûjours par trembler à la vue des ravages qu'il prévoyoit, & il étoit à demi vaincu par la crainte.

Cette conduite répandit dans les Provinces qu'ils menaçoient, la même confternation où la fierté des Romains jettoit leurs Ennemis. L'appareil avec lequel la République. Romaine commençoit la Guerre; fes propofitions ambitieufes; fon opiniâtreté à poursuivre une affaire fans jamais fe relâcher quel que fût d'abord le fort de fes Armes; les honneurs du Triomphe qu'elle accordoit à fes Capitaines, & qui étoient le dernier affront pour les Vaincus qu'elle faifoit même quelquefois périr après avoir joüi du fpectacle de leurs malheurs; tout cela lui foumit autant de Peuples que les Mahometans en vainquirent par leur cruauté. La conduite que tintent ceux-ci, affermit en effet leur domination fur les Provinces fubjuguées, mais peut-être influe-t-elle

encore aujourd'hui fur l'Empire de leurs Succeffeurs.

Après avoir tout détruit pour conferver, ils ne trouverent point les mêmes reffources que les Peuples du Nord pour affermir leur Empire & réparer les maux de leurs Victoires. Leur Religion ennemie des Arts, du commerce & de toute cette induftrie qui fait fleurir un Etat, laiffa regner les Vainqueurs dans des Provinces dévaftées, & fur les débris des puiffances qu'ils avoient ruinées. Cette foibleffe & cette flupidité où tous les Voyageurs nous repréfentent aujourd'hui les Etats Mahometans, les arrêterent enfin dans leurs progrès; tandis que d'un autre côté l'Europe dont les Peuples fe poliçoient, réparoit fes pertes, & leur oppofa enfin une barriere plus redoutable.

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Les Sarrazins ne fentoient pas encore le contrecoup des maux qu'ils faifoient aux Vaincus. Ils avoient enlevé l'Afrique aux Vandales, & détruit dans l'Espagne l'Empire des Vifigots. Du haut des Pyrénées, ils fe répandirent dans la France, animés par un plus grand intérêt que les Gaulois qui entrerent dans Rome. Ils traî

noient à leur fuite une multitude de femmes & d'enfans qu'ils devoient établir dans leur Conquête, & qui rendant leur retraite plus difficile, devoient leur donner un courage invincible. Charles Martel diffipa cette Armée, ou plûtôt ce Peuple nombreux, & fauva avec la France toute la Chrétienneté.

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Que Camille aît chaffé ou non les Gaulois de Rome; qu'il foit vrai ou faux qu'il ait lavé la honte des Romains par une Victoire complette & remportée dans les lieux mêmes où ils avoient été défaits; aucun Citoyen de la République n'étoit alors du moins plus digne de la Dictature & plus capable de ces exploits. Ainfi que Charles Martel, Camille étoit le plus grand homme de fa Nation. Charles avoit les qualités d'un homme ambitieux qui fe fraye un chemin au Trône, Camille avoit les vertus folides, mais moins brillantes, d'un Citoyen qui vit dans une République où une extrême pauvreté n'a pas encore laiffé pénétrer le vice.

Charles Martel faifoit la Guerre avec cette fcience & cette profondeur de génie qu'on a depuis encore plus

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