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leurs Ancêtres, ils devroient cultiver avec plus de foin cette partie de l'Etat. L'Hiftoire cependant en eft un fûr garant, il n'y a que fort peu de Peuples dans l'Antiquité qui n'ayent pas eû une Police abfolument militaire, & fur quelque Empire au contraire que nous jettions aujourd'hui les yeux, nous voyons que la politique fépare avec adreffe le Soldat Citoyen, & que l'un & l'autre fervent la Patrie dans une claffe différente.

Une différence fi confidérable naît elle-même de la différence qu'il y a entre la fituation préfente des Peuples & celles des anciennes Républiques. Les premiers Romains, par exemple, à qui il n'étoit pas encore permis d'afpirer à une certaine perfection (a), & qui auroient fuccombé fous une Police auffi fage que la nôtre, furent heureux que les circonftances dont je viens de parler, les euffent entierement tournés du côté de la Guerre. Un Etat auffi foible

(a) L'on a vu l'explication de cela dans le Livre précédent, Art. X. Parallele de l'age

du Gouvernement des premiers Romains avec notre âge & le Gouvernement présent de la Monarchie Françoise.

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Citoyens en

claffes.

que leur République eut befoin pendant longtems de tous fes Citoyens pour fe deffendre. Sans cette politique qui ruineroit aujourd'hui la France, comment les Romains auroientils pû, je ne dis pas rompre l'équilibre dans lequel ils étoient avec leurs Voifins, & parvenir enfuite avec leur fecours à la conquête du monde entier, mais même éviter d'être détruits par leurs Ennemis ?

Il faut dif- Depuis que les grands Etats ont tribuer les fuccédé à ces petites Républiques de diferentes l'Antiquité, la politique a dû pourvoir à de nouveaux befoins, & par conféquent y confacrer une partie des Citoyens ; elle a pû réunir dans une même Société tous les avantages de Rome & de Carthage, & elle a compris qu'il feroit dangéreux de ne nourrir que des Soldats. Quand un Peuple comme les premiers Romains, fortoit de fa Ville, combattoit, & y rentroit le même jour victorieux ou défait, c'est-à-dire, quand la Société étoit encore dans fon enfance, des Soldats pouvoient fe fuffire à euxmêmes. La Guerre, pour me férvir de l'expreffion de Caton, nourriffoit alors aifément la Guerre, il ne falloit

encore que du courage pour vaincre, & un Etat qui n'étoit point obligé de dédommager par une payé des Citoyens que la Guerre n'enlevoit prefque pas à la culture de leurs terres, pouvoit fubfifter dans fa pauvreté.

Il n'en fut pas de même dans la fuite lorfque les Etats s'étendirent, que les Guerres devinrent plus confidérables, & que l'Art militaire commença à fe perfectionner. La Guerra, felon la remarque d'un des plus grands Capitaines du dernier fiécle, devint un monftre infatiable qui épuifa ceux-même qu'il favorifoit. La Police purement militaire fut alors d'autant plus dangereuse qu'elle ne ruinoit pas feulement les principes du Gouvernement, mais qu'entretenant auffi une Nation dans fa pauvreté, elle la rendoit par conféquent incapable de fournir aux dépenfes de la Guerre.

Un Peuple doit avoir des Armées s'il veut jouir avec fûreté de fa Fortune, mais il doit être riche s'il veut faire la Guerre avec fuccès, & il ne peut l'être que par une fage diftribution de fes Citoyens en différentes claffes, Magiftrats, Soldats, Com

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Vices de la Police Mili

Romains.

merçans, Laboureurs, Artifans toutes ces conditions font liées entre elles par une chaîne qu'on ne peut brifer fans expofer une Société à de grands dangers. Il réfulte au contrai→ re de leur union une force générale qui les affermit toutes. L'une joüit du fuperflu de l'autre, & de même que dans un jour de combat un Général tire fa principale force de la difpofition par laquelle il appuye mutuellement les différens corps de fon Armée les uns par les autres, ainfi le Prince augmente la force réelle de fes Etats par l'art avec lequel il diftribuë fes Sujets en des claffes diffé

rentes.

Le défaut de cet ordre merveil

taire chez les leux, mais impraticable avec la foibleffe des Romains, les mit à des épreuves bien rigoureufes. Si leur pauvreté qui étoit un obftacle à ce qu'ils puflent exécuter de grands projets, n'eût en même tems réparé ce mal par la vigueur qu'elle entretenoit dans la difcipline Militaire, & par l'attachement qu'elle donnoit pour la République ; fi; dis-je, un bon Gouvernement n'eût forcé, pour ainfi dire, les Romains à faire des

chofes que leur pauvreté leur rendoit comme impoffibles, & ne leur eût donné, malgré ce défaut, une grande fupériorité fur des Ennemis qui n'avoient ni le même amour de la Patrie ni la même expérience dans les Armes, ils auroient eux-mêmes fubi

le fort des premiers Peuples qu'ils

foumirent.

Rome à force de fe roidir contre tous ces obftacles, & de réparer par fes vertus les vices de fa fituation trouva dans les vaincus ce qui lui manquoit par la forme de fa Police. Il arriva que les Carthaginois n'avoient fait le commerce le plus flo riffant du monde que pour l'enrichir. La République Romaine recueillit par la victoire le fruit de leurs travaux, fans leurs richesses elle n'eût jamais pû vaincre la Macédoine, avec les tréfors de Philippe elle affujettit la Grece & Antiochus,& les dépoüilles de celui-ci fubjuguerent enfin le refte des Nations.

Le Gouvernement des Romains ne perdit alors un défaut qui leur avoit fait faire lentement leurs premiers progrès, & qui les avoit expofés à des dangers dans lesquels tout autre

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