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térêts. Il n'y a peut-être que la fituation des Romains après la défaite de Varron à Cannes qui fût plus terrible pour un Peuple. Qu'un Maharbal dans cette conjoncture auroit pû dire avec raifon à Edouard que fon fils fçavoit vaincre, mais qu'il ne fçavoit profiter ni des avantages que lui préfentoit la victoire, ni de l'Anarchie où la prifon du Roi Jean avoit jetté les François !

Rien ne prouve mieux l'aveuglement pitoyable de la France fur fon état, que l'impoffibilité où le Dauphin, connu depuis dans nos Hiftoires fous le nom glorieux de Charles le Sage, fe vit deux ans encore après, d'oppofer autre chofe aux Anglois que le Traité de Brétigni. Edouard s'étoit avancé fans réfistance jufqu'aux portes de Paris, & ce Prince n'auroit peut-être pas trouvé affez humiliantes les conditions aufquelles la France fe foumettoit, s'il n'eût été confterné par le même accident qui avoit éloigné Annibal des portes de Rome: il regarda l'orage qui avoit diffipé fon Armée comme une marque infaillible de la protection du Ciel fur les François.

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Autant que les Anciens ont blâmé Annibal de n'être pas allé à Rome d'Annibal après la ba

Conduite

après la bataille de Cannes au taille de Can

tant les Modernes cherchent-ils à le nes, & d'Edouard après jultifier. Les paroles fi connues de la bataille de Maharbal ont fixé le jugement de plu- Maupertuis. fieurs Ecrivains; les uns one cru que Rome anon ouvert fes portes au Vainqueur & des autres ont penfé qu'Annibal avoit trouvé tous les malheurs de Cannes dans les délices de Capone Lorfque ce Capitaine dans le déclin de fa profpérité, & après avoir fait quelques efforts inutiles pour faire lever le fiége de Capouc s'approcha de Rome dans le deffein d'intimider les Confuls, & de les atti rer au combat en divifant leurs forces; Polybe lui-même, quoique consom mé dans les affaires de la Guerre & de la politique croit que cette Capitale ne dût fon falut qu'à un heureux hazard qui permit que dans ce tems-là précifément il s'y trouvâr quelques' Légions.

Une pareille bravade n'étoit pro pre cependant qu'à intimider les Dames Romaines. Etoit-il vraifemblable qu'un Capitaine qui n'avoit pu' forcer les retranchemens des Confuls

devant Capoue, comme Tite-Live le fait dire judicieufement à Fabius, conçût l'efpérance de s'emparer de Rome? Si ce Général s'écria dans cette rencontre que tantôt traversé par la fortunes tantôt combattu par lui-même dans fes propres deffeins, il ne fe croyoit plus refervé à prendre Rome ces paroles doivent moins être regardées comme une preuve qu'il fût venu pour lui livrer l'affaut, ou qu'il crûc que la confternation qui fuivit la défaite de Varron lui en eût ouvert les portes, que comme un mouvement de dépit contre la fortune & la fermeté d'un Peuple que fes pertes rendoient plus opiniâtre. el

Annibal connoiffoit trop bien les Romains pour croire que la craintel étouffât leur courage jufqu'à ce pointlà. Si depuis la journée de Cannes il ne diffimuloit point, Tite-Live nous l'apprend, qu'il n'eut fait une faute en ne s'approchant pas de Rome, ce n'eft point qu'il crût, ainfi que le di-i foit Maharbal, qu'il eût foupé cinq jours après dans le Capitole. Mais il avoit fait fans doute les réfléxions qu'on lira bientôt, & compris qu'il avoit manqué à la fortune, en laif

&

fant échapper l'occafion favorable de ramener toute la Guerre en Italie, d'empêcher toutes les diverfions qui rendirent fes travaux inutiles: Je m'expliquerai bientôt plus claire

ment.

Annibal auroit conduit fon Armée des Champs de Cannes aux portes de Rome, fans avoir le même bonheur que les Gaulois après la bataille d'Allia. Les Romains avoient pris d'autres fentimens en augmentant leurs forces. Rome étoit une Place forte dont l'Armée Carthaginoife n'auroit pû former l'enceinte, & elle n'étoit point vuide d'Habitans, ni par conféquent de Soldats. Annibali manquoit de toutes les machines néceffaires àlunifiége; après la bataille de Trafimene il avoit échoué devant une Place de peu d'importance; en un mot le Sénat qui félicite Varron de n'avoir pas défefpé ré du falut de la République, n'a point perdu lui-même toute efpérance.i

Edouard après la bataille de Maupertais n'avoit pas befoin de faire autant de réfléxions que le Général Carthaginois, pour embraffer le par ti le plus fage. Le Roi Jean prifon nier, les Etats, fans obéillance pour

le Dauphin, le Peuple foulevé con tre la Nobleffe, enfin tous les Ordres du Royaume corrompus par les in trigues, les paffions, & l'éloquence du Roi de Navarre, & défunis entr'eux, ne pouvoient point naturellement lui préfenter les penfées qui dûrent occuper Annibal, & qui l'empêcherent de démêler dans la chaleur de la profpérité, l'occafion qui fe préfentoit de détruire fes ennemis.

Ce furent les vices & l'ignorancedes tems qu'Edouard ne fçut pas vaincre, qui fauverent la France. Les Princes n'étoient pas encore aflez éclairés: pour ne former que des deffeins qu'ils puffent exécuter, l'excès d'une ambition mal entendue, coinme on le verra dans la fuite, no permit pas au Roi d'Angleterre de profiter de fes. premiers fuccès. On commençoit une campagne fans porter fes vûës au-delà, &l'on regardoit prefque le gain d'une bataille comme la fin de la Guerre.. Le Vainqueur après un avantage dont il n'étoit pas en état de profiter, fe trouvoit quelquefois auffi embarraffé que le vaincu auquel il reftoit des reffources dans l'impuiffance defon ennemi. Edouard ignoroit que:

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