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Armée. Comme s'ils avoient crû foüiller leur réputation par cette fagefle qui a fait la gloire des plus grands Hommes de l'Antiquité, & dont les derniers Généraux de l'Empire leur avoient donné des leçons, les Armées ne cherchoient que le combat, & fans confier le foin de leur gloire & de leur falut à cette intelligence qui doit être l'ame de tous leurs mouvemens, elles abandonnoient leur fort à la feule bravoure, en affignant à la fois & le jour & le lieu de la bataille.

Cette conduite a été commune à tous les Peuples qui ont été affés braves & affés peu policés pour regarder le courage comme la qualité la plus eftimable, & à qui de grands revers n'ont pas appris à être prudens. Annibal étoit defcendu en Italie, & les Romains avoient encore le même préjugé que les François. Sempronius, Varron, & Minutius avoient la faveur du Peuple, & Fabius étoit accufé de deshonnorer la République. Annibal le craignoit, Rome le méprifoit. Il falloit combattre, & la fierté Romaine exigeoit qu'on chaffât l'Ennemi par la force; le vaincre fans l'accabler du poids des Légions,

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n'étoit qu'une demi-Victoire pou es Romains dont les yeux encore perçans ne découvroient poin les refforts, d'une Guerre (4) plus fça

vante..

Il est des tems où il faut vaincre par la force, & d'autres où il faut chercher la Victoire en feignant d'y renoncer.. Les Romains toûjours heureux jufques à ce moment, ignoroient le principe le plus fage de la Guerre & de la Politique : ils ne fçavoient pas qu'un Capitaine doit tout tenter avant que d'en venir aux mains. Plus il eft certain que la Fortune a de part au fuccès d'un combat, plus.la prudence doit fonger à la fixer de fon côté en travaillant à ruiner peu à peu les forces ou la confiance de fon Ennemi. Toutes les voyes qui prépar

(4) Voyez la différence que les Romains mettoient entre le Triomphe & l'Ovation. Caufa Ovationis be traduntur Si non penitùs debellati effent hoftes..... Si fufi effent, fugati, percuffi, confternati, non tamen magnis. eladibus affecti . . . . Deniquè fi incruento prælio pugnatum effet. Il falloit que les Ennemis euffent perdu au moins cinq mille Hommes dans un combat pour que le Conful obtint les honneurs du grand Triomphe : quelle. grofiereté!

rent un heureux fuccès, font égales entre elles, & ne font aux yeux des fages plus ou moins glorieuses, que fuivant qu'on les applique avec plus de difcernement aux circonstances présentes..

Ces préjugés des Romains, fi femblables à ceux. des François, fubfifterent longtems parmi eux. Les rufes que Marcius & Attilius employerent pour tromper Perfée, & l'empêcher de commencer la Guerre, avant que la République eûtenvoyé des forces dans la Grece, furent encore condamnées à Rome par une partie du Sénat qui fe piquoit, ainfi que le rapporte TiteLive, de conferver les fentimens de l'ancienne: République, c'est-à-dire, une délicateffe pareille au frivole point d'honneur des premiers François. Rome, difent ces Sénateurs dans l'Hiftorien Latin, dédaigne de fe fervir de ruses, & de tendre des piéges, le jour doit éclairer fes Armes fes Exploits. Elle ne fçait ce que c'est que de donner par une fuite fimulée une fauffe confiance à fes Ennemis, pour fe jetter fur eux & les accabler dans leur Sécurité. Nos Peres aimoient la gloire,

après avoir déclaré la Guerre, ils

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V I. Examen de

affignoient même le lieu du combat. Cette conduite fut infiniment plus funefte aux François qu'aux Romains, ceux-ci devoient moins craindre l'évenement d'une bataille, leur difcipline Militaire leur répondoit en quelque forte du fuccès. Ce n'eft, en effet, dit Vegece, ni la multitude des Soldats, ni même le courage qui donnent la Victoire, mais l'Art & l'exercice. C'eft à cet exercice continuel des Armes, & furtout aux Loix inviolables d'une bonne difcipline les Romains ont dû la conquête de l'Univers. C'est par-là, ajoûtet-il, qu'ils diffiperent les nombreuses Armées des Gaulois, vainquirent les Peuples d'Efpagne dont le tempérament étoit plus propre à la Guerre, les Africains aufquels ils furent toujours inférieurs en rufes & en richeffes, & les Grecs dont les lumieres & la prudence étoient bien fupérieures aux leurs. C'eft au contraire, pourroit-on dire en parlant des François, une difcipline groffiere & relâchée qui trompa fouvent leur courage, & leur arracha la Victoire des mains.

que

La Difcipline Militaire des Rola Difcipline mains mérite donc une confidéra

tion toute particuliere; elle eft fi fage, Militaire des je dis même, fi Philofophique, qu'il Romains. faffiroit peut-être d'entrer dans quelque détail fur la méthode avec laquelle la République Romaine formoit fes Soldats, pour voir d'un coup d'œil tout ce que la politique peut imaginer de plus parfait en cette matiere. Toute Difcipline qui ne met pas le Soldat dans la néceffité de vaincre ou de mourir eft imparfaite. Quelque preflant que fut l'intérêt qui portoit chaque Citoyen Romain à fe facrifier au bien public, la République ne s'en repofa point fur ces vûës générales qui, pour être remarquées, demandent quelques réflexions qu'un danger éminent peut faire oublier.. Elle fembla ne pas faire attention aux principes de fon Gouvernement qui rendoit propres à tous les Citoyens le bonheur & la gloire de l'Etat, il. fnt expreffément ordonné au Soldat de vaincre ou de mourir, & il lui fut impoffible d'éluder la force de cette Loi. Un lâche qui fuit & qui perd fes Armes ne craint que la mort, & c'est par la crainte d'une mort certaine qu'il faut l'attacher à fon devoir, le contraindre à vendre cherement fa

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