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Cette conduite modérée de la Répu blique à l'égard des vaincus, rejetta fur fes Alliés la haine que fes Ennemis devoient avoir pour elle, en enrichiffant les Etats les uns aux dépens des en protégeant les foibles pour humilier les Grands elle fit naître entre eux des haines & des jaloufies irréconciliables. Ces paffions fermerent les yeux à tous les Peuples fur leurs propres intérêts; il étoit comme impoffible que des Nations qui n'avoient encore aucune liaison entre elles, fortiffent de leur aveuglement, & qu'au lieu de fe réunir avec ftupidité fous les enfeignes des Romains, pour s'effrayer mutuellement, elles formaffent une ligue qui auroit ruiné leurs Maî

tres.

Si la République Romaine en étendant le progrès de fes Armes, fut obligée de porter aux vaincus de plus rudes coups qu'aux Peuples d'Italie, foit parce qu'elle avoit affaire à des Puiffances trop redoutables, foit parce que fes entreprifes exigeoient de plus grandes dépenfes, & que la. Guerre devoit lui fournir les frais né-ceffaires de la Guerre; fi, dis-je, la

République Romaine fut obligée d'agir avec plus de févérité, comme elle ne faifoit pas cependant tout le mal qu'elle pouvoit faire, cette conduite affuroit fa grandeur. Tandis que fa modération lui attachoit la plûpart des Peuples, fa dureté laiffoit fes Ennemis dans une pauvreté accablante qui confirmoit leur fervitude.

Carthage après la bataille de Zama conferve fes Loix & fes Magiftrats, mais on lui enleve la plus grande partie de fes terres. Elle ne peut plus faire la Guerre, elle n'a plus d'Alliés, elle donne des Otages aux Romains, & leur livre tous fes Vaiffeaux. Philippe vaincu ne fut plus, pour ainfi dire, qu'un fimple Citoyen de Macé doine, & Antiochus repouffé au-delà du Mont Taurus, n'eut qu'une Fortune à peu près égale à celle de Philippe. Les vaincus, en un mot, étoient réduits à une telle foibleffe, qu'ils ne pouvoient plus penfer à fe relever, fans voir déja comme préfent l'orage qui devoit achever de les ruiner. Cependant la République Romaine balançoit fi bien leurs intérêts & leurs paffions, par l'apparence de liberté dont elle les laiffoit jouir en les rui

nant, qu'ils étoient retenus dans le devoir. Son joug n'étoit pas affés pefant pour qu'ils fuffent preffés de le fecouer aux dépens de ce refte de fortune que les forces de l'Univers entier menaçoient.

Après que la politique des Romains eut fait embraffer à tous les Peuples cette conduite ruineufe, dont je parlerai avec plus de détail, quand je ferai un parallele de la fituation préfente du Monde avec celle du Monde ancien qu'ils fubjuguerent, il n'étoit plus befoin de toute cette vigilance avec laquelle ils veilloient à leurs intérêts. Sans ambition même, Rome fe feroit vûe contrainte à gouverner enfin par fes Officiers, les Provinces où elle ne regnoit encore que par la terreur & par fes bienfaits, & elle n'avoit qu'à s'abandonner à la conduite même de fes Alliés & de fes Ennemis pour s'agrandir. Leurs pasfions la fervoient auffi utilement que l'auroit pu faire fa Politique. Les divifions inteftines que la crainte & l'intérêt produifoient dans toutes les Nations, étoient un joug qui les afferviffoit. Les Peuples libres étoient accablés par les intrigues & la lâcheté

IX

tes des Ro

de leurs mauvais Citoyens qui facri fioient tout à l'amitié de la République Romaine, & qui devoient, à moins que d'avoir une vertu qui n'a prefque jamais été connue parmi les Hommes, lui vendre leur Patrie pour établir leur fortune particu

liere.

Les Rois n'étoient pas plus en fûreté dans leurs Etats, le Sénat Romain à qui trop de profpérité avoit fait croire que tout devoit concourir à étendre fa domination, ne refpectoit plus le droit des Gens, & fe déclaroit le protecteur de toutes les Provinces qui vouloient se souftraire à l'autorité de leur Prince. Il apprenoit aux Peuples à ne plus refpecter des Princes dont la République Romaine dégradoit la Majefté, en les jugeant pour leurs fautes particulieres.

Au milieu de cette haute élévation Les Conquê- où les Romains maîtres de tous les maius ne for- Soldats & de tout l'or du Monde, ne tifient pas Jeur Républi- régnoient encore que par la crainte

que,

des châtimens & par l'efpérance des récompenfes, leur République ne joüiffoit que d'un Empire bien orageux. Ses Hiftoriens encore moins.

éclairés fur fa vraye fituation que fes Ennemis mêmes, n'ont jamais fait attention que Rome ne devenoit pas. pour ainfi dire, plus forte en étendant fes Conquêtes, & qu'au travers de l'éclat & de la pompe qui l'environnoit, on put entrevoir fa premiere foibleffe, jufques à ce qu'elle établit fes Officiers dans les Provinces.

Quelque intelligence qu'on remarque dans la conduite des Romains, ils ne faifirent jamais cependant le véritable point de vûë de leurs inté rêts. Les Conquêtes les fortifioient moins qu'ils ne penfoient, parce que leur Gouvernement, je l'ai déja dit plufieurs fois, ne leur permettoit pas d'incorporer les Nations vaincues à la victorieuse.

Je fçai que quoique les Peuples d'Italie cuffent confervé une liberté trompeuse fous le nom d'Alliés, ils étoient réellement fujets de la République Romaine. L'on a dit que les Colonies qu'elle diftribuoit dans toute l'Italie, étoient auffi propres à retenir les Peuples dans leur devoir, que les divifions mêmes que faifoit naître dans leurs Villes la fauffe liber

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