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té dont elles joüiffoient fous la protection des Romains, & que c'eft furtout à la politique habile, qui fous prétexte de rendre les Républiques plus libres, ne fouffroit point qu'il y eût d'affociation entre elles, que Rome devoit un Empire plus folide.

que

Il eft vrai que fon attention fcrupuleufe à venger fes Alliés, les accou→ tuma à n'être qu'auxiliaires dans leurs propres querelles. Ils laifferent même ufurper d'autant plus aifément aux Romains la fupériorité que cette con duite leur donnoit fur eux, que leurs paffions les plus violentes, telles la haine & la vengeance, étoient fatisfaites, & que leurs Maîtres, fous le nom d'Amis, avoient, felon la remarque de Polybe, une conduite fi adroite, que dans les occafions mêmes où ils ne penfoient qu'à leurs intérêts, on croyoit leur devoir quel que reconnoiffance. Malgré tout cela, ne s'apperçoit-on pas que la puiffance des Romains étoit mal affermie, qu'ils ne méditerent pas affés fur leur fitua tion, & combien ils étoient éloignés de cette fageffe avec laquelle d'autres Etats ont fçû profiter de leurs vic

toires?

Aujourd'hui dès qu'un Prince a conquis une Province, il en lie le fort au fien, il lui laifle fes privileges & fes Loix ; & tandis que le Peuple gagné par des bienfaits s'accoutume à une nouvelle domination, lesMilices qui le gardent, lui font d'autant mieux fentir le prix des graces qu'ils reçoit, qu'en même temps qu'elles le deffendent des infultes étrangeres elles lui font connoître l'impoffibilité où il eft de trahir fon devoir. Ce Peuple ne fait bientôt qu'un même corps avec fes Vainqueurs, les uns & les autres n'ont qu'un même intérêt, & l'Etat eft réellement enrichi d'un plus grand nombre de Citoyens & de leur Fortune.

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S'il avoit été poffible aux Romains d'incorporer ainfi les Peuples d'Italie à leur République pour n'avoir avec eux qu'une même cause à deffendre, jamais Annibal n'auroit ofé former le projet de porter fes Armes dans le fein de l'Italie. Mais ce grand Homme compta fur la haine que quelques Peuples avoient toujours confervée pour les Romains, il comprit que l'habitude d'obéir pourroit céder à l'efpérance de recouvrer

fa liberté, & fa politique fe flattoit avec raifon, de pouvoir faire trouver aux Voisins de la République Romaine, leur avantage particulier à trahir la fidélité qu'ils lui avoient promise. Annibal enfin qui connoiffoit toute la différence qu'il y a entre la fermeté d'un Peuple qui combat pour le falut de fa Patrie, de fes Temples, de fes Sépultures, de fes Maisons, & de fa Famille, & le courage d'un Allié qui ne doit point facrifier des chofes auffi facrées à l'ambition d'une Ville qui le domine; Annibal, dis-je, comprit qu'il ne falloit que s'approcher de Rome pour lui faire connoître fa foibleffe, & lui ôter les forces avec lesquelles elle menaçoit l'Univers. fût en

Quelque chancellante que

core la Monarchie Françoise pendant le regne des premiers Valois, il étoir plus difficile de l'accabler, que de détruire la République Romaine dans le point le plus haut de fa profpérité. Si les François au lieu d'obéir à un Prince, avoient compofé dans Paris une République qui eût dominé fur le refte de la France de la même maniere que Rome regnoit fur l'Italie,

la

la prise de Paris auroit ruiné leur Empire. Il ne falloit que brûler Rome, en vendre ou en difperfer les Citoyens, & la République Romaine étoit détruite. Paris eft pris, la Monarchie fubfifte toûjours. Charles VII. quoique profcrit & fugitif, est Roi; la Bicoque la plus ignorée devient la Capitale dès qu'il s'y trouve, fa perfonne eft comme le centre de réunion; les Anglois auront cent combats à livrer, & la France pourra laffer

leur Fortune.

Après la bataille de Zama & l'abaiffement de Philippe, Annibal fe roidit lui feul contre la fortune de fes Ennemis, & tandis que tout l'Univers en étoit accablé, leur puiffance ne fut qu'un vain épouventail pour fa politique. Il publia que Rome ne regnoit que par une espece de preftige (a) qui cachoit fa foibleffe à tous les Peuples, & que ceux-ci n'étoient vaincus que parce qu'ils n'ofoient pas connoître leurs forces. Il demanda des Vaiffeaux & des Soldats à An

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(a) Voyez ci-après Livre VI. Art. 2. où je fais voir quel danger auroit couru la République Romaine fi ́Antiochus eût fuivi les confeils d'Annibal.

Tome II.

D

tiochus, & il forma cet axiome en politique, qu'on ne triompheroit jamais véritablement de la République Romaine que dans Rome même : auffi la révolte des Alliés & Spartacus la firent-ils trembler, en l'attaquant directement & de plus près que fes au

tres Ennemis.

Quelques Romains en effet, fentirent bientôt fur quels fragiles fondemens la grandeur de leur Républi que étoit appuyée. Le Conful Sulpicius comprit que toutes les forces réelles de Rome étoient renfermées dans une feule Ville; il voyoit avec chagrin que le Peuple fe livroit trop au plaifir de voir Carthage humiliée, & il vouloit qu'on fe hâtâr de tranfporter des Légions dans la Macédoine, & qu'on n'attendît pas que Philippe defcendît en Italie. Nos Voifins, difoit-il, ne nous font attachés (a) qu'autant qu'ils ne trouveront point d'Ennemis chez qui ils puiffent paffer. Si Annibal ne fit pas périr Rome fous fes Armes, il lui porta du moins un coup mortel, lorfqu'il apprit

(a) Nunquam ifti populi, nifi cùm deerit ad quem defcifcant à nobis, non deficient. T.. L. L. 31.

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