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dans une étrange erreur. On peut être un excellent juge en fait de poéfie, fans en avoir fait, & par un contrafte qui ne paroîtroit presque point vraisemblable, fi l'on n'en avoit pas des preuves, il y a eu de grands poètes dont les jugemens ont été fujets à revifion; par ce qu'ils poffédoient peu la théorie & fe livroient dans la compofition de leurs poèmes à un genie heureux qui fupléoit par de vraies beautez à ce qui leur manquoit du côté de la régularité.

On prendra une excellente teinture de la Poétique dans les livres fuivans; la Poétique d'Ariftote avec les favantes notes de Monfieur Dacier, l'Art Poétique d'Horace avec les notes du même critique. L'Art Poétique de Defpréaux, les Réflexions du P. Rapin fur la Poëtique; les Réflexions Critiques fur la Poéfie & fur la Peinture; font

des

des lectures qu'il eft bon de faire, avant que d'en venir aux diverfes efpéces de poéfies. Je voudrois qu'on lût auffi entierement & avec reflexion ce que Mr. de Fénelon Archevefque de Cambrai a écrit fur ce fujet dans fa lettre à l'Académie Françoife fur l'Eloquence, la Poélie, l'Hiftoire, &c.

§. XIII.

Sur la POESIE FRANCOISE.

M

ILLE gens fe piquent de lire les vers François & d'en porter un jugement décifif & même d'en faire, quoique la plupart foient encore à favoir en quoi confifte le Génie poétique. Horace fe plaignoit que de fon temps les doctes & les ignorans fe mêloient également de compofer des poémes. Ce même défordre dure encore.

La

La plupart des poéfies pêchent par l'un de ces deux défauts. Les unes molles, énervées, n'ont rien qui les diftingue de la profe, que des rimes affez négligées; du refte même tour, & un certain air de pareffe que l'on honore du beau nom de Style aifé & naturel. Dans les autres à force de vouloir être ingénieux, on fort de la Nature & on tombe dans une affectation vicieufe. Il n'y en a point qui foit plus rebutante que celle de certains auteurs qui veulent mettre de l'efprit & de la délicateffe par tout. Géneralement parlant, l'efprit eft un défaut dans la plupart des ouvrage en vers, où il ne faut que du fentiment.

Part. II.

L S. XIV.

§. XIV.

De ce qu'on appelle ESPRIT dans les ouvrages de poefie.

ON

N ne me croiroit peut-être pas, fi je n'appuiois cette vérité fur le témoignage d'un des plus fages & des plus ingénieux écrivains de France. Grand poéte, quoi qu'il n'ait point verfifiè, il a pratiqué lui même la doctrine qu'il débite. Ecoutons ce qu'il enfeigne fur cette forte d'efprit dont nous parlons.

UN HOMME qui penfe beaucoup, veut beaucoup dire; il ne peut fe réfoudre à rien perdre; il fent le prix de tout ce qu'il a trouvé ; il fait de grands efforts, pour renfermer tout dans les bornes étroites d'un vers. On veut même trop de délicateffe. Elle dégenere en fubtilité. On yeut trop éblouir &

fur

furprendre. On veut avoir plus d'efprit que fon Lecteur, & le lui faire fentir, pour lui enlever son admiration; au lieu qu'il faudroic n'en avoir jamais plus que lui & lui en donner même, fans paroître en avoir. On ne fe contente pas de la fimple raison des graces naïves, du fentiment le plus vif, qui font la perfection réelle. On va un peu au de là du but par amour propre. On ne fait pas être fobre dans la recherche du beau. On ignore l'art de s'arrêter tout court en deçà des ornemens ambitieux. Le mieux auquel on afpire, fait qu'on gáte le bien. On tombe dans le défaut de répandre un peu trop de fel, & de vouloir donner un goût trop relevé à ce qu'on affaifonne. On fait comme ceux qui chargent une étoffe de trop de broderie. Le goût exquis craint le trop en tout, fans en excepter l'efprit même. L 2 L'ES

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