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gnoit & s'appliquant continuellement en fecret aux AN. 13K exercices de pieté. Quand la vieilleffe lui eût ôté la force de travailler, il fe dóna tout entier à la vie contem. plative; & vêcut d'aumônes, n'en prenant que le pur néceffaire pour chaque jour, & donant le refte à d'autres pauvres. Un notaire nommé Jaques de Castegnoles en afant compaffion le retira dans fa maison & lui dona une petite chambre au fonds de fa cour, où le bon homme mena encore long-temps une vie cachée dans l'abstinence & la pénitence; quand les aumônes qu'il recevoit n'étoient pas fuffifantes, le notaire fon hôte y fupléoit. Quelque foin que prit Henri de fe cacher, il devint fort connu, principalement par fa charité envers les autres pauvres; on le nommoit frere Rigo abregé d'Arrigo, qui eft Henri en Italien.

Sa parole étoit douce & agréable ; & fi des enfans ou d'autres par malice ou par fotife le maltraitoient de paroles ou autrement, il le foufroit avec une patience & une humilité parfaite; & loin d'en témoigner aucun reffentiment, il donoit des benedictions à ceux qui lui infultoient. Il affiftoit tres-devotement aux offices divins principalement à la messe, portant toûjours à la main un chapelet: car il ne favoit pas lire. Il couroit à tous les fermons, foit à l'église cathedrale foit chés les religieux, & eût voulu n'en manquer aucun s'il eût été poffible: retenant fidélement tout ce qu'il en pouvoit comprendre. Il avoit la confcience fi délicate qu'il fe confeffoit tous les jours, & comptoit pour fautes les moindres imperfections, comme d'avoir vû voler un oiseau avec plaifir ou curiofité.

Il mourut l'an 1315. le mardi dixiéme de Juin; &

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auffi-tôt le peuple accourut en foule à la maifon dur notaire qui le logeoit en criant: Il eft mort un faint. Les meubles que l'on trouva dans fa petite chambre étoient des inftrumens de penitence: trois lits, un de farment, un de groffes cordes, un de paille pour repofer plus doucement: un billot de bois qui fervoit de chevet, un cilice de cordes tortillées qu'il portoit jour & nuit, une difcipline dont il fe fuftigeoit rudement, & un caillou rond dont il fe frapoit la poitrine. Le tout fut porté dans la facriftie de la grande église pour y être gardé : mais plufieurs particuliers en prirent des morceaux. Le concours fut fi grand à fon convoi qu'à peine put-on porter le corps jufqu'à l'églife cathedrale; & on fut obligé de l'y laiffer expofé jufqu'au huitiéme jour, où il fut mis dans un cercueil de pierre. Il s'y fit tant de miracles, que le magiftrat députa trois notaires pour les écrire, & depuis le douziểme de Juin jusqu'au dix-huitième, ils en recueillirent deux cens foixante & feize. La vie du bienheu

reux Henri fut écrite peu de temps aprés par Dominique de Baono évêque de Trevile, témoin oculaire de fes vertus.

Cette année fut auffi la derniere de Raimond Lulle. Aprés le concile de Vienne, pendant lequel il demeura quelque temps en cette ville à folliciter l'exécution de fes deffeins, il revint à Paris : puis il alla à Meffine, delà à Palma capitale de Maïorque en 1314. & enfin il paffa en Afrique & vint pour la feconde fois à Bougie. Là il fe cacha d'abord entre des marchands Chrétiens, & commença à parler fecretement à des Mufulmans qu'il avoit déja inftruits & qui lui étoient affectionés. Les aiant affermis dans la foi, il ne put fe con

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tenir plus long-temps, mais il alla dans la place pu- AN. 1315. blier à haute voix les louanges de la religion Chrétiene: ajoûtant qu'il admiroit la folie de ceux qui mettoient leur confiance en la doctrine infâme de Mahomet. Pour moi, difoit-il, je fuis prêt à montrer, soit par des raifons, foit aux dépens de ma vie, que la grace & le falut du genre humain ne fe trouve que dans la foi de J.C. mon feigneur. Souvenés-vous que je fuis celui que vos princes ont ci-devant chaffé de ces quartiers & de Tunis. Se fentant vaincus par mes raifons, ils craignoient que je vous éclairaffe des verités Chrétienes que vous êtiés prêts à écouter: maintenant c'eft le feul defir de votre falut & du martire qui m'a ramené vers vous.

Ces difcours & plufieurs autres qu'il y ajoûta, émurent tellement le peuple qui les écoutoit, qu'ils fe jetterent en furie fur Raimond, lui donérent des foufflets, lui infulterent en diverfes manieres & le trainerent au palais du roi. Ce prince le condamna à mort, & on le mena hors la ville où il fut lapidé le jour de S. Pierre vingt-neuvième de Juin 1315. étant âgé d'environ quatre-vingts ans. Des marchands Chrétiens aïant demandé fon corps l'obtinrent & le porterent avec honeur à un vaiffeau qui devoit partir la nuit fuivante. Ils vouloient le mener à Génes dont ils étoient, mais les vents contraires les poufférent à Maïorque, où tout le peuple vint au devant de ce martir fon compatriote, & enterra fon corps dans un lieu élevé de l'églife de S. François, dont Raimond avoit embraffé le tiers ordre. Depuis ce temps il eft honoré publiquement comme faint à Maïorque,même dans l'église cathedrale; & on a fait plufieurs in

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P.6353

P. 6798

AN. 1315.

P. 705.

P. 691.

XX.

en Autriche. Trith. Chr.

Hirf. edit. 1690. p. 139.

formations pour parvenir à fa canonifation trois cens ans aprés fa mort, c'est-à-dire depuis 1605. jufques 1617. mais l'églife n'a rien encore decidé fur ce fu

jet.

Raimond Lulle a laiffé un fi grand nombre d'écrits qu'on en compte jufqu'à trois cens vingt, outre ceux qu'on prétend lui être fauffement attribués. Sa doctrine a caufé de grandes difputes, principalement entre les deux ordres de S. Dominique & de S. François, dont je pourai parler à mesure que l'occafion s'en préfentera. Sa méthode eft meprifée de la plufpart des favans, comme n'étant propre qu'à faire parler de tout par des propofitions générales, fans defcendre aux conoiffances particulieres qui font les plus utiles. D'ailleurs fon ftile eft du latin le plus barbare, & aucun des scolastiques n'a été fi hardi à forger de

nouveaux mots.

La même année 1315. on trouva plufieurs hérétiHérétiques ques en Autriche à une petite ville nommée Crems du diocéfe de Paffau. Ils furent découverts par les inquifiteurs de l'ordre de S. Dominique ; & demeurant opiniâtres dans leurs erreurs, ils furent condamnés au feu & brûlés hors la même ville de Crems. Leurs erreurs avoient pris leur origine de celles des Fraticelles condamnées au concile de Vienne; & en voici les principaux articles. Ils difoient que Lucifer & les autres démons avoient été chaffés du ciel injuftement & qu'ils y feroient un jour rétablis : au contraire ils foutenoient que S. Michel & les autres anges coupables de cette injustice feroient damnés éternellement, avec tous les hommes qui n'étoient pas de leur fecte. D'où vient que leur falut étoit : Que celui à qui on a fait

tort te faluë: entendant Lucifer. Ils difoient auffi : Si Marie eft demeurée vierge aprés l'enfantement, ce n'eft pas un homme qu'elle a mis au monde, c'est un

ange.

Ils avoient douze hommes choifis d'entre eux qu'ils nommoient apôtres, & qui parcouroient tous les ans l'Allemagne, pour affermir dans leurs erreurs ceux qu'ils avoient féduits. Entre ces douze ils féparoient encore deux vieillards, qu'ils nommoient les miniftrès de la fecte; & ceux-ci feignoient qu'ils entroient tous les ans dans le paradis, où ils recevoient d'Enoch & d'Elie le pouvoir de remettre tous les pechés à ceux de leur fecte; & ils communiquoient ce pouvoir à plufieurs autres dans chaque ville ou bourgade. Ces hérétiques méprifoient tous les facremens, difant : Si le baptême en eft un, tout bain l'eft aufli; & tout baigneur eft Dieu. Ils corrompoient le facrement de penitence ne fe confeffant qu'à des laïques & feulement en général fans rien fpécifier. Ils ne croïoient pas au S. facrement de l'autel, difant que l'hoftie confacrée étoit un Dieu imaginaire & fe moquant de la messe & des prêtres. Ils apelloient communément le mariage une proftitution jurée, & fe moquoient de l'extrême- onction; ils difoient publiquement: Nous croïons que les herbes font d'autant meilleures qu'on y met plus d'huile. Ils comptoient pour rien les ordinations des évêques & des prêtres, les dédicaces des églifes, les benedictions de cimetieres, & de quelque autre chofe que ce foit.

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Ils difoient que Dieu ne puniffoit & même ne conoiffoit pas les pechés qui fe font fous terre. C'eft pourquoi ils s'affemblaient dans des cavernes & des

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