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Telle eft donc la jurifdiction effentielle à l'églife, comme elle l'a reçuë de J. C. fe foutenant par elle-même, fans aucun fecours de la puiffance féculiere; & fe contenant dans fes bornes, fans rien entreprendre furde temporel. Elle fe conferva dans cette pureté pendant les trois premiers fiécles fous les empereurs païens; & jamais l'églife ne fut plus forte ni plus heureuse, c'est-àdire plus floriffante en toutes fortes de vertus, qui eft l'unique bien que J.C. lui a promis en cette vie. Les fondemens de cette jurifdiction étoient l'autorité des pafteurs & la foi des peuples. Les pafteurs s'attiroient du respect par leur doctrine & leurs vertus: les peuples ne conoiffoient point de plus grand mal, en cette vie, que d'être retranchés de l'églife & privés de la communion des faints. S'ils n'en étoient pas touchés, rien ne les empêchoit de retourner au paganifme: mais tant qu'ils demeuroient Chrétiens, rien ne leur étoit plus précieux que la grace de Dieu & l'efperance des biens éternels.

Ce fut par cette autorité purement fpirituele, que l'églife combatit & réprima tant d'héréfies qui s'éleverent dans les premiers fiécles : les Nicolaïtes, les Gnoftiques de diverfes fortes, les Ebionites, les Valentiniens, les Encratites, les Marcionites. On n'emploïa contre eux que l'inftruction, les conférences charitables; & une fermeté invincible à n'avoir aucun commerce avec les To incorrigibles, fuivant le précepte de S. Paul.

Or, encore que l'églife n'eût pas befoin de la puiffance temporelle pour l'exercice de fa jurisdiction : toutefois elle n'en refufoit pas le fecours, même de la part des païens. On le voit dans l'affaire de Paul de SamoHift. liv. VIII. fate, qui aprés avoir été dépofé du fiége d'Antioche, ne laiffoit pas d'y demeurer fous la protection de la reine Zenobie: jufqu'à ce que l'empereur Aurelien, à la priere des Chrétiens, le fit chaffer de la maison épiscopale.

2. 4.8.

IV.

Cette protection devint ordinaire fous les empereurs Protection des Chrétiens, & ils prétoient à l'églife leur puiffance coac tive pour l'exécution de fes jugemens. Ainfi aprés qu'A

princes.

rius

rius eut été condamné au concile de Nicée, l'empereur liv. x. n. 24. Conftantin l'envoïa en exil & condamna fes écrits au

feu: défendant à toute perfone de les cacher fous peine liv.xxvI.n.34j de la vie; & Neftorius fut traité de même par l'empe

reur Théodose. C'eft le fecond état de la jurisdiction eccléfiaftique, où elle commença à être appuïée par la féculiere.

Ce fut particulierement pour autorifer les arbitrages des évêques, dont l'utilité étoit reconuë de tout le monde. L'empereur Honorius étant à Milan en 398. décla- Hift. liv. xx. ra, que ceux qui confentiroient de plaider devant l'évê- ». 35. que n'en feroient point empêchés: mais qu'il les juge- 1.7. Cod. de roit comme arbitre volontaire, en matiere civile feule epifc. aud. ment. Et par une autre loi de l'an 408. il ordone que la sentence arbitrale de l'évêque fera executée fans apel, comme celles du préfet du prétoire; & que l'exécution s'en fera par les officiers des juges; preuve que les évêques n'en avoient point de femblables.

1. 8. Cod.

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1.

29 §. 4. de

epifc. aud.

On ne contraignoit perfone de procéder devant l'évêque, même contre les clercs. C'eft ce que porte une loi de l'empereur Marcien datée de 456. où il dit, que 1. 25. de epifc. fi celui qui pourfuit un clerc de CP. ne veut pas fubir le jugement de l'archevêque, il ne pourra pourfuivre ailleurs que devant le préfet du prétoire. En géneral les clercs comme les laïques étoient foumis à la jurifdiction des juges féculiers: feulement il étoit défendu de les tirer du service de leur églife, en les pourfuivant dans une autre province; il faloit s'adreffer aux juges des lieux de leur refidence, fuivant la maxime génerale, que le demandeur fuit la jurisdiction du défendeur. C'eft ce que porte une loi de l'empereur Leon ; & c'est à quoi fe ré- 1. 33. de epife. duifoit le privilege clerical. Dés le milieu du cinquiéme fiécle on fe plaignoit que les évêques vouloient étendre leur jurifdiction. C'eft pourquoi l'empereur Valentinien III, étant à Rome, fit une loi datée du quinziéme $66 Novel. d'Avril 452. qui déclare, que l'évêque n'a pouvoir de valent. tit. 12. juger, même les clercs, que de leur confentement, & Hift.liv.xxv. en vertu d'un compromis. Parce qu'il eft certain que les

í

1. 29. §. I. ep.

and.

Cod. Theod. p.

n. 39.

Νου. 83.

Nou. 123. C. 21.

Hift. l. XXX111.

n.6.

évêques & les prêtres n'ont point de tribunal établi par les loix, & ne peuvent conoître que les caufes de religion, fuivant les conftitutions d'Arcade & d'Honorius. Les clercs font obligés de répondre devant les juges, foit pour le civil, foit pour le criminel: feulement les évêques & les prétres auront le privilege de fe défendre par procureur en matiere criminelle.

L'empereur Juftinien receüillit & confirma dans fon code la pluspart de ces loix, & y en ajoûta de femblables: une entre autres où il dit: Mennas patriarche de CP. nous a prié de doner aux clercs ce privilege; que fi quelqu'un a contre eux une affaire pecuniaire, il s'adreffe d'abord à l'évêque dont ce clerc dépend, fans le traduire aux tribunaux féculiers, fi ce n'eft que la caufe foit trop difficile pour être decidée par l'évêque: en forte toutefois que le clerc ne foit point détourné de fon miniftere. Que file clerc eft pourfuivi pour crime, il faut diftinguer le crime civil & le crime eccléfiaftique. On appelle ici crime civil celui qui eft commis contre les loix civiles, & ne regarde que le temporel, comme on nomme civils tous les juges féculiers. Ce qu'il eft necesfaire d'obferver, parce que felon notre ufage, le civil eft toûjours oppofé au criminel. Si donc, dit la loi, le crime eft civil, le clerc accufé fera poursuivi ici à CP. devant le juge competent, & dans les provinces devant le gouverneur, à condition que le procés fera terminé dans deux mois; & que fi l'accufé eft trouvé coupable, le juge le fera dégrader par l'évêque, avant de le punir felon les loix. Mais fi le crime eft eccléfiaftique l'évêque en jugera fans que les juges civils s'en mêlent: car nous ne voulons point qu'ils prenent aucune conoiffance de ces fortes d'affaires, qui doivent être examinées eccléfiaftiquement & les peines impofées felon les canons, que nos loix ne dédaignent pas de fuivre. Cette conftitution eft de l'an 539.

Dans une autre de l'an 541. Juftinien dit : Si quelqu'un a quelque action contre un clerc, qu'il s'adreffe d'abord à l'évêque; & fi les deux parties acquiefcent à fon juge.

ment, nous voulons que le juge du lieu le faffe exécu-
fasse
ter. Si quelqu'une des parties réclame dans dix jours,
le juge des lieux examinera la caufe; & s'il confirme le
jugement, on ne pourra plus en apeller. Mais fi la fen-
tence du juge eft contraire à celle de l'évêque, alors
l'apel aura lieu & fera jugé felon les loix. En matiere
criminelle, fi un clerc eft accufé devant fon évêque &
qu'il le trouve coupable, il doit le dégrader, aprés quoi
le juge compétent s'en faifira & lui fera fon procés se-
lon les loix. Que fi l'accufateur s'adreffe d'abord au juge
féculier & prouve le crime, il répresentera les actes du
procés à l'évêque du lieu, qui dégradera le coupable,
s'il le trouve convaincu, & le juge le punira felon les
loix. Mais fi l'évêque ne trouve pas la procédure régu-
liere, il pourra différer la dégradation, en forte néan-
moins que l'accufé demeure fous bone garde; & l'affai-
re nous fera renvoïée par l'évêque & par le juge, pour
en ordoner avec conoiffance de caufe. En matiere civi-
le, fi l'évêque differe le jugement, le demandeur aura
la liberté de s'adreffer au juge féculier: mais fi l'affaire
est eccléfiastique, le juge féculier n'en prendra aucune
conoiffance. La fuite du difcours fera voir l'importance
de cette conftitution.

Les empereurs Chrétiens donèrent auffi aux évêques inspection fur la police des incurs & l'honêteté publique. Si les peres ou les maîtres vouloient proftituer leurs 1. 12. Cod. de ep. filles ou leurs efclaves, elles pouvoient implorer la pro- aud. tection de l'évêque, pour conferver leur innocence. Il pouvoit auffi empêcher, comme le magiftrat, qu'on n'en- 1. 14. eod. gageât une femme libre ou efclave à monter fur le théa

tre malgré elle. Il devoit conjointement avec le magif- 1.24. cod 1.3. trat conferver la liberté aux enfans expofés. L'évêque de inf. expos intervenoit encore à la création, & la préftation de ferment des curateurs, foit pour les infenfes, foit pour les mineurs. Il étoit ordoné aux évêques de vifiter les pri- 1.27. 28.30. de fons une fois la femaine, favoir le mécredi ou le vendredi. S'informer du fujet de la détention des prifoniers efclaves ou libres, pour dettes ou pour crimes: avertir

ep. aud.

1.22. Eod.

V.

tionaux.

les magiftrats d'en faire leur devoir, & en cas de négligence en doner avis à l'empereur. Enfin les évêques avoient inspection fur l'administration & l'emploi des revenus & des deniers communs des villes, & la conftruction ou réparation des ouvrages publics. Tel fut le fecond état de la jurifdiction ecclefiaftique, pendant lequel les empereurs devenus Chrétiens, foutenoient de leur autorité celle des évêques & leur donoient quelque inspection fur les affaires temporeles, par l'eftime & la confiance qu'ils avoient en eux; & les évêques de leur côté infpiroient au peuple la foumiffion & l'obéiffance aux fouverains, par principe de confcience, comme faifant partie de la religion. Ainfi les deux puitfances, la fpirituele, & la temporele, s'aidoient & s'apuïoient mutuellement.

La chute de l'empire d'Occident, & la domination Conciles na- des barbares commença, fi je ne me trompe, à alterer cette union. Les Romains n'avoient que du mépris & de l'averfion pour ces nouveaux maîtres, qui outre leur groffiereté & leur ferocité naturele étoient tous païens ou hérétiques. Au contraire le refpect & la confiance des peuples augmenta pour les évêques qui étoient tous Romains, & fouvent des plus nobles & des plus riches. Mais avec le temps les barbares devenus Chrétiens entrerent dans le clergé & y porterent leurs mœurs: en forte que l'on vit des clercs & des évêques mêmes chaffeurs & guerriers. Ils devinrent auffi feigneurs ; & comme 3. difc, n. 8. 9. tels obligés de fe trouver aux affemblées dans lefquelles fe régloient les affaires de l'état, & qui étoient en même temps parlemens & conciles nationaux.

Or je regarde ces affemblées comme la principale fource de l'extenfion de la jurifdiction eccléfiaftique hors de fes bornes, & des entreprifes fur la temporele. Nous en voïons un terrible exemple dés la fin du feptiéme fiécle au douzième concile de Toléde, qui déclara le roi Hift. l.XL.n.29. Vamba déchu de la courone & fes fujets déchargés de leur ferment. Cette opinion que les évêques pouvoient dépofer les rois, fit un tel progrés pendant les deux fié

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