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toutes les libéralités du Prince ne s'étendoient que fur des Valets & des Concubines, dont le nombre étoit in- L'an 316. Après J. C. fini: les Courtifans furpaffoient en magnificence les Prin- Licouces de fa famille, & il n'écoutoit que leurs mauvais con- tung. feils. Ceux-ci de concert avec Lieou-tçan étoient les ennemis fecrets de Lieou-y frere, & défigné fucceffeur de Lieou-tçung. Le mépris qu'il faifoit de leur perfonne le leur rendoit odieux, & il étoit de leur intérêt de l'éloigner du Thrône pour y placer Lieou-tçan. C'eft dans ce deffein qu'un des courtisans nommé Ki, vint trouver Lieoutçan, & lui dit que Lieou-y, qui haiffoit le Roi & toute fa famille, fongeoit à fe revolter avec le Grand Général des armées, & qu'il n'y avoit point de tems à perdre fi on vouloit y apporter du reméde. Ki ajouta que fi ce qu'il difoit ne paroiffoit pas croyable, deux Officiers attachés au Grand Général pourroient l'inftruire plus à fond de tout ce complot. Lieou-tçan] ordonna auffi-tôt qu'on les fit venir. Ki les alla trouver, les entretint en fecret, & leur fit entendre que le Roi & fon fils étoient informés de cette entreprise de Lieou-y & du Grand Général, qu'ils étoient regardés eux-mêmes comme complices & ne pouvoient obtenir leur pardon qu'en avouant la confpiration. Ces deux Officiers épouvantés & trompés par les difcours de Ki, firent un rapport tel qu'on le voulut à Lieou-tçan. Il ne s'agiffoit plus que de tromper le Roi, on employa tout ce que la calomnie peut imaginer de plus noir, pour faire naître des foupçons dans l'efprit de ce Prince & lui faire croire que fon frere étoit coupable du crime dont on l'accufoit. Quelques Officiers qui ne voulurent point avoir part à ces intrigues furent mis à mort. Ye & Tchin-yuen-ta ne purent garder le filence en cette occasion; ils repréfenterent à Lieou - tçung que les Tein n'étoient point encore détruits, que les Provinces n'étoient point tranquilles, que Che-le vouloit fe rendre maître dans le pays de Tchao (a) & de Goei (6) de même

(a) Dans le territoire de Tchin-tingfou dans le Petcheli,

Tome I.

(b) Dans le territoire de Ta-tum-fou dans le Percheli.

que Tçao-y dans celui de Tci (a), que la conduite & Après J. C. les divifions qui troubloient la Cour pouvoient avoir des

L'an 316.

Licou

tạung.

Kam-mo.

fuites facheufes auxquelles il ne feroit plus tems de remédier, & qu'il falloit dépofer les auteurs de toutes ces trahifons. Les favoris du Prince, fur lefquels les accufations tomboient eurent affez d'empire fur fon efprit pour lui faire croire qu'ils étoient fes plus fidéles Miniftres; ils reçurent même de nouvelles récompenfes & des dignités qu'ils n'avoient point méritées. Ye infifta de nouveau & blama encore plus hardiment la conduite du Prince dans un mémoire qu'il lui préfenta. Lieou-tçong en fut indigné & le déchira. Ye en mourut de défefpoir, & Tchinyuen-ta, après avoir dit au Prince qu'il préféroit la mort au filence qu'on lui impofoit, & que les devoirs de sa charge ne lui permettoient pas de garder, fe retira & se donna la mort. Toute l'intrigue de Lieou-tçan ne réussit point & ne fervit qu'à faire périr plufieurs Miniftres fidéles. Lieou-tçong vit clair, mais trop tard; & fe raccommoda avec fon frere Lieou-y.

Il y eut également dans le même-tems des divifions parmi les Tartares Topa, qui tournerent au défavantage de Lieou-tçong. You-liu leur roi trop attaché au plus jeune de fes enfants nommé Pe-yen, & dans le deffein de priver du Thrône fon fils aîné Lo-fieou, l'avoit relegué à Sin-pim-tching (6), & avoit dépofé fa mere. Dans la fuite pendant un fejour que Lo-fieou fit à la Cour, on voulut le forcer à rendre à Pe-yen des refpects qu'il ne croyoit pas lui devoir; il n'obéit pas, & fe retira. You-liu que cette défobéiffance irrita marcha contre lui; mais il eut le malheur d'être tué dans le combat qu'il livra à fon fils.

Pou-ken attaqua à fon tour Lo-fieou & le tua. Celui-ci fut à peine installé fur le Thrône qu'il mourut, laiffant un fils encore au berceau. Ces changemens firent naître des troubles parmi ces Tartares: un grand nombre d'Ouhuon & de Topa vinrent fe jetter dans le parti des Tcin

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L'an 16

& fe joignirent à Lieou-kuen leur Général; mais ce renfort n'empêcha pas que le Général Lieou-yao n'entrât Après J. C. dans le pays de Pe-ti (a). Kio-yun Général des Tcin vint Licouauffi-tôt au secours. Lieou-yao avoit fait répandre par tung. des Espions le bruit que tout le pays étoit perdu, & que quelques diligences que Kio-yun fit, il ne pourroit arriver à tems. Cette nouvelle découragea fes troupes qui fe débanderent en partie. Lieou - yao les pourfuivit & fe rendit maître de tout le pays de Pe-ti. Il s'avança jufqu'à Kim-yam (b) où il fit prifonnier un Général des Tein, qui donna un exemple fingulier de fon attachement pour l'Empire. Cet Officier dans un feftin auquel Lieou - yao l'invita, touché des défordres dont l'Empire étoit agité & des malheurs qui accabloient les Tcin, dit qu'il préféroit la mort à la vie : on lui préfenta une épée & il se tua fur le champ. Sa femme qui étoit très-belle & Lieou-yao avoit envie d'époufer, ne voulant pas furvivre à fon mari, fuivit fon exemple, & Lieou-yao leur fit des obfeques dignes de leur rang & de leur mérite.

que

Les Chinois, j'entens ici ceux qui ont part au Gouvernement, fe regardent abfolument comme efclaves de leur Prince, ou pour parler plus exactement, de l'Etat & du peuple, & croyent ne devoir jouir de la vie qu'autant qu'ils font utiles. Si l'Empereur accablé par fes ennemis ne peut refifter, un grand nombre de fes Miniftres, plutôt que de reconnoître un nouveau maître, fe donnent eux-mêmes la mort, ou vont la chercher avec une fermeté incroyable. Mais fi au contraire trop livré à fes paffions, le Monarque s'écarte des vrais principes du Gouvernement, & ne veut point écouter les avis de ses Miniftres, loin d'entreprendre fur la vie du Prince pour lequel ils ont une vénération qui fe trouve rarement chez les autres peuples, ne voulant point participer à fes foibleffes & fe regardant comme inutiles, ils fe donnent encore la mort. Sont-ils guidés par vanité, & des vûes de réputation après la mort?C'eft ce qu'il eft difficile de bien condiftrict de Si-gan-fou dans le Chenfi.

(a) Dans le district de Kim-yam fou. (b) Aujourd'hui Kao-lin-hien dans le

·

Après J. C.

L'an 316
Lieou-

tyung.

Kam-mo.
Tein - chou.

noître, tant leurs actions fe trouvent étroitement liées avec la gloire & l'intérêt du Prince & le bonheur du Peuple. Les Romains à qui les Chinois peuvent être comparés pour cette vertu auftere, leur font inférieurs à cet égard. Chaque Romain, par la conftitution de la République étoit Souverain & faifoit partie de l'autorité fouveraine. Il avoit un interêt particulier de la conserver: auffi lorfque cet intérêt eut ceffé & que les Empereurs furent devenus les maîtres de l'Etat, toutes les belles actions fe font évanouies & on n'a plus vû que des crimes. Les Chinois loin d'être Souverains font fous la domination d'un maître abfolu & defpotique. La plus grande partie de la gloire qui refulte des grandes actions que Miniftres font par l'intérêt qu'ils prennent à l'Etat, rejaillit fur ce Prince qui donne le mouvement à tout. Ce n'eft donc que pour la vertu & pour l'obfervation des Loix fondamentales de l'Empire que les Chinois se sacrifient. Ce n'eft point un bien qui leur foit propre qu'ils défendent; c'eft celui d'un Souverain ou vertueux ou tyran en qui ils refpectent ou la vertu ou les ancêtres, & dont ils craignent la ruine à caufe des défordres que ces fortes de changemens entraînent. Sans cette derniere confidération ils regardent comme indifférent par qui ils foient gouvernés, pourvû qu'ils le foient bien.

les

L'hiftoire fournit un grand nombre d'exemples de ce mépris que les Chinois font de la vie, furtout lorfqu'il s'agit de la gloire de leur Prince, Un Miniftre de la Cour des Han nous en donne une nouvelle preuve. Lieoutçong venoit de conférer le titre de Grande Impératrice à la fuivante d'une ancienne Reine; le trop grand credit de toutes ces femmes & les défordres qu'elles occafionnoient alarmerent l'Officier il fit des repréfentations qui ne furent point écoutées ; il étoit continuellement à la porte du palais, gémiffant fur l'aveuglement du Prince & fe laiffa mourir ainfi.

La mort de pareils Sujets étoit une perte pour l'Etat, mais elle ne fut pas la feule qu'il eut à fouffrir: dans le même-tems une grande quantité d'infectes mangerent les

moiffons dans les pays de Ho-tum (a) & de Pym-yam Après J. C. (b): les Peuples accablés de mifére alloient chercher Lan 316. dans d'autres Provinces de quoi conferver leur vie. Le LicouGénéral Che-le envoya un de fes Officiers camper dans tung. la Province de Pim-tcheou pour recevoir tous ces malheureux : il donna retraite à plus de deux cent mille familles. Lieou-tçong qui ne vit dans cette action qu'un deffein prémédité de le faire des Sujets, & qui ne la regarda que comme un attentat à fon autorité, s'en plaignit & donna des ordres que Che-le méprisa. La haine éclatta entre les deux Princes, & Che-le ne s'occupa plus que de fon propre établissement.

La conquête que Lieou-yao venoit de faire du pays de Pe-ti (c) le mit en état de s'approcher plus librement de Si-gan-fou, capitale de l'Empire des Tcin. On ne fut pas plûtôt informé de fa marche, que tous les Gouverneurs des environs qui étoient du parti des Tcin accoururent au fecours, mais la plûpart n'ofoient fe préfenter devant l'armée victorieuse. Il étoit cependant néceffaire de l'arrêter. Le premier Miniftre en chargea un Général, & les Tcin remporterent quelque avantage à Lim-tai dans le Chensi (d). Lieou-yao ne laiffa pas de faire avancer fes troupes & vint camper devant Si-gan-fou. Il emporta en peu de tems les fortifications extérieures, & la Ville fe trouva reduite à la derniere extrêmité. La plupart des habitans & des foldats qui manquoient de vivres déferterent fans qu'il fût poffible de les retenir. Environ quinze mille hommes de Leam - tcheou, qui formoit alors un petit Royaume, furent les feuls qui deffendirent courageufement cette place. Dans cette extrêmité, l'Empereur les larmes aux yeux dit au Général Kio - yun»: Dans un malheur auffi grand que celui où nous fommes, fans efpoir de fecours, il ne me refte d'autre parti à prendre que ce» lui d'aller me livrer entre les mains de mes ennemis pour conferver la vie de mes Sujets.

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(a) Ce pays comprenoit Pim-yam-fou

& les environs de Chanfi.

(b) Elle porte aujourd'hui le même nom dans le Chanfi.

(c) Dans le district de King-yam-fou dans le Chenfi.

(d) Ville dépendante du territoire de King-tcheou dans le diftrict de Pim-leamfou.

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