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chofe digne d'être remarquée,que les Hiftoires de toutes les Nations s'arrêtent comme de concert vers les tems qui approchent de cette grande catastrophe. Envain l'orgueil des Egyptiens & des Chaldéens s'eft efforcé de nous dérober la vérité en lui fubftituant des fables & en comptant des milliers d'années : les recherches des Sçavans ont fait évanouir toutes ces vaines prétentions. L'Hiftoire des Chinois, ces peuples fi anciens, ne contredit point le récit de Moyfe. Si nous remontons des fiécles préfens à ceux qui font les plus voisins de leur origine; nous voyons d'abord une fuite non interrompue de Monarques, une chronologie éxacte dans la difpofition des événemens:mais à mesure que nous nous éloignons de notre tems, l'Hiftoire de cette Nation devient moins certaine, & plus mêlée de fables: dans une époque plus reculée nous n'appercevons plus que les noms de quelques Monarques qui ont donné des loix à un peuple naiffant, qui l'ont policé, qui ont inventé les arts les plus néceffaires,& qui ont enfin tiré du milieu des forêts des hommes barbares, pour les con duire dans des plaines qu'il falloit défricher. C'eft - là ce que nous pouvons appeller l'origine & le commencement d'une Nation ; & lorfque l'hiftoire de tous les peuples femble s'arrêter vers une même époque, & nous présenter les hommes comme des barbares qui ne fe font multipliés & qui n'ont été policés que dans la fuite, c'eft nous apprendre qu'il eft arrivé alors une efpéce de renouvellement du genre humain; c'eft confirmer indirectement le récit de Moyfe. Telle eft l'induction que l'on peut tirer de la lecture de l'histoire des différents peuples, & particulierement de l'hiftoire des Chinois, les plus anciens de ceux qui fubfiftent à préfent.

Les Huns ne paroiffent pas moins anciens que ces peuples célébres. Il en eft fait mention dans l'Hiftoire dès les premiers tems de la Monarchie Chinoife: ils font donc du nombre de ces Colonies qui abandonnerent les plaines de Sennaar peu de tems après le déluge. Peut-être feroiton tenté de croire que ces deux Nations viennent de la même peuplade.

Quoique je me fois propofé d'éviter dans cet Ouvrage toutes les recherches qui n'ont pour bafe que des conjectures, on me permettra d'expofer ici en peu de mots ce que l'on peut foupçonner de plus raisonnable fur l'origine des Huns ou Tartares.

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Lorfque les premieres Colonies commencerent à quit➡ ter les plaines de Sennaar, il y a beaucoup d'apparence qu'une partie, après avoir peuplé la Perfe & la Bactriane s'avança jufqu'à cette gorge formée par les montagnes qui font fituées près de l'endroit où l'on a bâti dans la fuite la ville de Kafchgar dans la petite Bukharie. Ce pays eft environné au Nord & au Sud par de grandes chaînes de montagnes. Le milieu eft un vafte défert prefque impratiquable à cause de la quantité des fables & de la stérilité du terrain. En cotoyant le pied des montagnes qui font dans la partie Septentrionale,on trouve une fuite de terres fertiles, où dans les tems poftérieurs on a conftruit plusieurs villes & villages qui forment une route par laquelle on parvient à la Chine. C'eft probablement celle que les premieres Colonies Chinoises ont tenue, celle par laquelle elles font entrées dans la province de Chen-fi, qui, felon le récit des Hiftoriens de la Chine, paroît avoir été la premiere habitée, & où les plus anciens Empereurs faifoient leur réfidence.

Ces Colonies ne semblent avoir rien de commun avec celles de la Tartarie. Ces dernieres, en partant des plaines de Sennaar, ont tourné au Nord & fe font enfoncées dans les vallées étroites que forment les montagnes inacceffibles de l'Arménie & de la Géorgie. De-là elles ont pénétré dans les plaines qui font entre les deux grands fleuves, le Volga & le Tanaïs, d'où elles fe font répandues enfuite à droite & à gauche & ont formé du côté de l'Occident les Nations Européennes, du côté de l'Orient les

Nations Tartares.

Le chemin inpratiquable qu'il falloit tenir à travers les montagnes de la Georgie & du détroit de Derbend, a empêché que ces Colonies ayent été fuivies par une foule d'autres ; & le petit nombre de celles qui s'y font

engagées y ont contracté une humeur féroce, caractere ordinaire de ceux qui vivent dans les montagnes. Ces peuples fe font moins appliqués que les autres à inventer ou à connoître les arts qui avoient été inventés, & ils ont eu moins d'occasion d'être policés par la fréquentation & l'arrivée des nouvelles Colonies. Ceux de la Chine, au contraire, où il étoit facile de pénétrer en fuivant une route prefque toujours fertile & unie, ont reçu plus fouvent & plus facilement les arts inventés ou confervés par les peuples qui étoient reftés aux environs de Babilone. Les Tartares qui n'ont que de vaftes pâturages, garderent dans leurs plaines leur ancienne maniere de vivre. Les Chinois qui trouverent par- tout des rivieres, des champs fertiles en grains & en arbres fruitiers, s'adonnerent à l'agriculture, furent obligés d'arrêter par des digues l'impétuofité des rivieres, de creufer des canaux pour en difperfer les eaux ou les diftribuer plus avantageufement: ils cultiverent les fciences, d'abord les plus néceffaires, & pafferent enfuite à celles qui ne font que d'agrément, pendant que la Tartarie, qui ne fourniffoit que des pâturages pour nourrir des troupeaux, força fes habitans à fe borner à la vie champêtre & à n'être que des Paftres.

Les Tartares ont négligé de tranfmettre à la poslérité l'hiftoire de leurs ancêtres. Plufieurs même n'ont pas connu l'art d'écrire, & nous ne pourrions parvenir à donner quelque chofe d'éxact, fi les Chinois, avec lefquels ils ont eu des guerres prefque continuelles, n'en euffent parlé fréquemment dans leurs Annales ( a ). Il s'eft cependant confervé parmi eux quelques traditions, qui, fuivant les apparences, font l'ouvrage des Ecrivains poftérieurs. Dans une collection générale des événemens qui regardent l'Hiftoire des Huns, je ne puis me difpenfer de les rapporter. Quelle eft en effet la Nation dont l'histoire, fi nous en exceptons les écrits de Moyfe, ne débute pas par

(a) Le principal Hiftorien dont j'em prunte toutes ces traditions eft Aboulgazi Bahadur Khan, Sultan de Kharifme, qui nous a donné une Hiftoire gé

néalogique des Tatars. Mir-kond s'eft auffi fort étendu fur l'Hiftoire de cette Nation. Beidawi en dit peu de chofes, mais il eft plus éxact,

des fables? Comme parmi ces traditions incertaines ou même fabuleufes, il s'en trouve plufieurs qui femblent avoir rapport à quelques événemens dont je parlerai dans la fuite, & qu'elles nous font connoître le fentiment de cette Nation fur fon origine; j'ai crû devoir les réunir toutes à la tête de ce volume, me réfervant à les expliquer à mesure que l'Hiftoire m'en fournira d'elle-même les occasions & les moyens.

Hift. gé

Tatars.

Après que Noé fut forti de l'Arche, il partagea la terre à fes trois enfans. Kham fut envoyé dans les Indes, Sem nalog. des eut l'Yran, c'est-à-dire les pays qui font fitués au Sud de la riviere Oxus, entre l'Indus & le golphe Perfique (a). Japhet habita dans les pays de Kuttup Schamach : c'est ainfi que l'on appelle ces vaftes contrées que l'on voit au Nord, au Nord-Ouest de la mer Cafpienne, & au NordEft des Indes. Il campa aux environs des rivieres Etel ou de Volga & de Jaïk. Après y avoir demeuré pendant deux cent cinquante ans, il mourut laiffant huit fils (b) qui font Turk (c), Chars, Saklab, Ruff (d), Maninach, Zwin

lui

(a) Selon les Orientaux fon pere donna en partage les pays qui font fitués au Nord & à l'Orient de l'Arménie. Avant que de partir pour habiter dans ces Contrées, Noé lui fit préfent d'une pierre que les Turcs Orientaux appellent GioudéTafch ou Giour-Tufch, & les Perfans Senk-Jede, fur laquelle étoit écrit le grand nom de Dieu. Les Arabes la nomment Hajr el Mathar, c'eft-à-dire pierre de la pluye: avec cette pierre on pouvoit faire defcendre la pluye du Ciel quand on le vouloit.

Japhet fut appellé Aboul-Turk, c'està-dire le Pere des Turcs.

(b) D'Herbelot en nomme onze qui font Gin ou Tchin ou Sin, le même que Zwin le pere des Chinois, Seclab celui des Efclavons, Manfchouge le même que Maninack ou Mameluk pere des Gots ou Scithes appellés Yagiouge & Magiouge; Gomari, ou Camari le Gomer de la Genêfe il porte encore le nom de Keimak; Turk le pere des Turcs; Khofar le même que Chars dont

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(c) Le nom de ce Patriarche a été donné à toute fa poftérité. Les Orientaux le donnent aux Tartares, aux Mogols, aur Ygours & aux Khataiens. D'Herbelot dit que fa postérité fut divifée en quatre grandes Tribus qui font Erlat, Gelair, Caouchin & Berlas ou Perlas, qui se partagerent fous Ogouzkhan en vingtquatre peuples.

(d Selon les Orientaux ce perfonnage eft le pere des Ruffes auxquels on a donné encore le nom de Benageca, d'où M. d'Herbelot croit que les Tartares de Budziak tirent leur origine. Rouff, à ce que l'on prétend, étoit d'un naturel inquiet & turbulent. Il fit fouvent la guerre à fon frere Khofar, & l'obligea à lui abandonner les lles qui font dans le Volga. Il fit femer le bled que nous appellons de

(a), Camari (b) & Taridge(c). Il choisit Turk, en qui il avoit reconnu un esprit fupérieur, pour chef de toute la nation. Turk avoit reçu de fon pere le furnom de Japhet-Oglan, c'eft-à-dire fils de Japhet: il inventa quantité de chofes utiles, il fit des tentes, demeure ordinaire de ces peuples. Il pénétra plus avant du côté de l'Orient, & vint habiter dans les pays où fe trouve le lac Iffi-kol (d) près du fleuve Ili & vers Harcas, qui eft aujourd'hui la réfidence du Khan des CalmouKs.

Turk eut quatre fils (e), Taunak,Zakale, Berzazar & Amlak. Le premier lui fuccéda & fut un grand & puiffant Prince, qui inventa le fel (f) & en procura l'ufage à fes fujets. Il vécut deux cent quarante ans, & laiffa le Thrône à fon fils Eltchi-Khan (g). Celui-ci après un regne très

Turquie, & que les Turcs appellent Rouff & Borlgar. Il fit des loix injuftes & tyranniques. Il ôta aux enfans mâles la fucceffion aux biens de leurs peres pour la donner aux filles, & introduifit la coûtume de mettre entre les mains des garçons une épée lorsqu'ils étoient en âge de la porter. C'étoit tout leur héritage.

(a) Ce nom que l'on joint toujours à Magin défigne les Chinois Méridionaux, comme Yagiouge & Magiouge, ou Gog & Magog, défigne dans les Auteurs Orientaux les Chinois Septentrionnaux, quoique quelques-uns mettent les peuples de Yagiouge & Magiouge vers le l'ôle. Mais le voyage d'un Arabe nommé Salam, dans ce pays, fous le Kalif Watheq, nous indique la Chine environnée de cette fameufe muraille, que les Arabes attribuent à Alexandre. Gin ou Tchin ou Sin étoit pere de Magin. Il enfeigna aux Chinois la peinture, la fculpture & l'art de préparer la foye.

(b) Camari ou Gomar, à ce que prétendent les Orientaux, vint habiter près du fleuve Etel ou Volga, où il eut deux enfans nommés Bulgar & Bethas, qui fonderent chacun une ville du même nom. Le premier fut le pere des Bulgares. La ville de Bulgar n'étoit pas loin de Saraï.

(c) Les Ecrivains Orientaux donnent

encore à Japhet un fils nommé Ghaz, qui après avoir été vaincu par Turk, fe retira fur les bords du fleuve Bulgar ou Volga, & s'y établit.

(d) D'Herbelot par une tranfpofition de lettres prononce ce mot Silencai ou Silouck, & il dit que c'eft la premiere ville ou habitation du Turkeftan.

(e) D'Herbelot les nomme, Tontok ou Tontek, Gengthel, Barfegia ou Baregia, Ilak ou Imlak.

(f) D'Herbelot attribue cette invention à Ylak qu'il fait quatriéme fils de Turk, & qui eft le même qu'Amlak. C'eft en laiffant tomber un morceau de viande qu'il mangcoit & qu'il trouva d'un meilleur goût, qu'il découvrit le fel. Les Chinois donnent à cette invention la même origine, & ils l'attribuent à Hoam-ti, un de leurs plus anciens Empereurs.

(g) Il y a deux Traditions fur le Succeffeur de Turk: les uns prétendent que ce fut Taunak, & les autres Ilmengé ou Ilmiouge, que l'on fait auffi fon fils aîné. On dit qu'il eft le pere de Dibbacaoui; en conféquence je crois qu'llmengé eft le même qu'Eltchi - Khan, qu'Aboulgazi nomme Jelza. Ilmengé gouverna fes fujets felon les loix que fon pere lui avoit laiflées : il en ajouta d'autres, & fit regner la juftice dans fes

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