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un Amalvy, mais j'aurais demandé au Ciel qu'il y en eût deux, et que je fusse le second.

Un avantage plus précieux encore que l'émulation, était, dans ce collége, l'esprit de religion qu'on avait soin d'y entretenir. Quel préservatif salutaire pour les mœurs de l'adolescence, que l'usage et l'obligation d'aller tous les mois à confesse! La pudeur de cet humble aveu de ses fautes les plus cachées en épargnait peut-être un plus grand nombre que tous les motifs les plus saints.

Ce fut donc à Mauriac, depuis onze ans jusques à quinze, que je fis mes humanités, et en rhétorique, je me soutins presqu'habituellement le premier de ma classe. Ma bonne mère en était ravie. Lorsque mes vestes de basin lui étaient renvoyées, elle regardait vîte si la chaîne d'argent qui suspendait la croix avait noirci ma boutonnière; et lorsqu'elle y voyait cette marque de mon triomphe, toutes les mères du voisinage étaient instruites de sa joie ; nos bonnes religieuses en rendaient grâces au Ciel; mon cher abbé Vaissière en était rayonnant de gloire. Le plus doux de mes souvenirs est encore celui du bonheur dont je faisais jouir ma mère ; mais autant j'avais de plaisir à l'instruire de mes succès, autant je prenais soin de lui dissimuler mes peines; car j'en éprouvais quelquefois d'assez vives pour l'affliger, s'il m'en fût échappé la plus légère plainte. Telle fut, en troisième, la querelle que je me fis

avec le P. Bis, le préfet du collége, pour la bourrée d'Auvergne, et tel fut le danger que je courus d'avoir le fouet, en seconde et en rhétorique, une fois pour avoir dicté une bonne amplification, une autre fois pour être allé voir la machine d'une horloge. Heureusement je me tirai de tous ces mauvais pas sans accident, et même avec un peu de gloire.

On sait quelle est à la cour des rois l'envieuse malignité que s'attirent les favoris ; il en est de même au collége. Les soins particuliers qu'avait pris de moi mon régent de quatrième, et mon assiduité à l'aller voir tous les matins m'ayant fait regarder d'abord d'un œil jaloux et méfiant, je me piquai dès-lors de me montrer meilleur et plus fidèle camarade qu'aucun de ceux qui m'accusaient de ne pas l'être et qui se défiaient de moi; lors donc que je parvins à être fréquemment le premier de ma classe, grade auquel était attaché le triste office de censeur, je me fis une loi de mitiger cette censure; et en l'absence du régent, pendant la demi-heure où je présidais seul, je commençai par accorder une liberté raisonnable: on causait, on riait, on s'amusait à petit bruit, et ma note n'en disait rien. Cette indulgence, qui me faisait aimer, devint tous les jours plus facile. A la liberté succéda la licence, et je la souffris; je fis plus, je l'encourageai, tant la faveur publique avait pour moi d'attraits. J'avais ouï dire qu'à Rome les hommes puissants

qui voulaient gagner la multitude, lui donnaient des spectacles: il me prit fantaisie d'imiter ces gens - là. On me citait l'un de nos camarades appelé Toury, comme le plus fort danseur de la bourrée d'Auvergne qui fût dans les montagnes; je lui permis de la danser, et il est vrai qu'en la dansant il faisait des sauts merveilleux. Lorsqu'une fois on eut goûté le plaisir de le voir bondir au milieu de la classe, on ne put s'en passer; et moi, toujours plus complaisant, je redemandais la bourrée. Il faut savoir que les sabots du danseur étaient armés de fer, et que la classe était pavée de dalles d'une pierre retentissante comme l'airain. Le préfet, qui faisait sa ronde, entendait ce bruit effroyable; il accourait, mais dans l'instant le bruit cessait, tout le monde était à sa place; Toury lui-même, dans son coin, les yeux attachés sur son livre, ne présentait plus que l'image d'une lourde immobilité. Le préfet, bouillant de colère, venait à moi, me demandait la note : la note était en blanc. Jugez de son impatience: ne trouvant personne à punir, il me faisait porter la peine des coupables par les pensum qu'il me donnait. Je la subissais sans me plaindre ; mais autant il me trouvait docile et patient pour ce qui m'était personnel, autant il me trouvait rebelle et résolu à ne faire jamais de la peine à mes camarades. Mon courage était soutenu par l'honneur de m'entendre appeler le martyr, et même quelquefois le héros de ma classe. Il est

vrai qu'en seconde la liberté fut moins bruyante, et le ressentiment du préfet parut s'adoucir; mais, au milieu du calme, je me vis assailli par un nouvel orage.

Mon régent de seconde n'était plus ce P. Malosse qui m'avait tant aimé; c'était un P. Cibier, aussi sec, aussi aigre que l'autre était liant et doux. Sans beaucoup d'esprit, ni je crois, beaucoup de savoir, Cibier ne laissait pas de mener assez bien sa classe. Il avait singulièrement l'art d'exciter notre émulation en nous piquant de jalousie. Pour peu qu'un écolier inférieur eût moins mal fait que de coutume, de coutume, il l'exaltait d'un air qui semblait faire craindre aux meilleurs un nouveau rival. Ce fut dans cet esprit que, rappelant un jour certaine amplification qu'un écolier médiocre passait pour avoir faite, il nous défia tous de faire jamais aussi bien. Or on savait de quelle main était cette amplification si excessivement vantée. Le secret en était gardé ; car il était sévèrement défendu dans la classe de faire le devoir d'autrui. Mais l'impatience d'entendre louer à l'excès un mérite emprunté, ne put se contenir : Elle n'est pas de lui, mon père, cette amplification que vous nous vantez tant, s'écria-t-on. Et de qui donc est-elle? demanda-t-il avec colère. On garda le silence. C'est donc à vous à me le dire, poursuivit-il en s'adressant à l'écolier qui était en scène, et celui-ci, en pleurant, me nomma. Il fallut avouer ma faute; mais je

priai le régent de m'entendre, et il m'écouta. « Ce fut, lui dis-je, le jour de S. Pierre, sa fête, que Durif, notre camarade, nous donnait à dîner : tout occupé à bien régaler ses amis, il n'avait pu finir les devoirs de la classe, et l'amplification était ce qui l'inquiétait le plus. Je crus permis et juste de lui en éviter la peine; et je m'offris à travailler pour lui, tandis qu'il travaillait pour

nous. >>

Il y avait au moins deux coupables; le régent n'en voulut voir qu'un, et son dépit tomba sur moi. Confus, étourdi de colère, il fit appeler le correcteur pour me châtier, disait-il, comme je l'avais mérité : au nom du correcteur, je faisais mon paquet de livres et j'allais quitter le collége. Dès-lors plus d'études pour moi, et mon destin changeait de face; mais ce sentiment d'équité naturelle qui, dans le premier âge, est si vif et si prompt, ne permit pas à mes condisciples de me laisser abandonné. Non, s'écria toute la classe ce châtiment serait injuste, et si on l'oblige à s'en aller, nous nous en allons tous. Le régent s'apaisa, et il m'accorda mon pardon, mais au nom de la classe, en s'autorisant de l'exemple du dictateur Papirius.

Tout le collége approuva sa clémence, à l'exception du préfet, qui soutint que c'était un acte de faiblesse, et que, contre la rebellion, jamais il ne fallait mollir. Lui-même, un an après, il voulut exercer sur moi cette rigueur dont il

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