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Marcel Cervin étoit l'unique auteur de cette entreprise, il fe répandit en menaces contre ce cardinal. Le nonce lui ayant repliqué qu'on avoit été obligé de prendre ce parti pour ne pas diffoudre le concile, & qu'il étoit plus à propos qu'il fût à Boulogne, que de n'être en aucun endroit; l'empereur rejetta ces raifons, & dit qu'il fçavoit très-certainement combien elles étoient fauffes & frivoles, que pape n'agiffoit qu'à fa tête, qu'il ne fuivoit que fa fantaifie & fon entêtement, & que ceux qui avoient promis obéiffance au concile affemblé à Trente, avoient un jufte fujet de ne pas obéir à celui qu'on vouloit tenir à Boulogne.

le

Le nonce répartit, qu'il prioit fa majefté de faire réflexion qu'on ne pouvoit qualifier d'opiniâtre un pape, qui tant de fois & en tant d'occafions importantes lui avoit donné des preuves de fon zèle & de fon attachement, qui, quoiqu'avancé en âge, marquoit toujours une conduite trèsfage, & qui, tant qu'il vivroit, ne permettroit jamais la ruine de l'églife. Il ajouta, que les évêques qui étoient à Boulogne, s'y étoient rendus volontairement; mais que ceux qui demeuroient à Trente, y étoient retenus par les ordres mêmes de l'empereur: d'où il s'enfuivoit que ceux-là jouiffoient d'une liberté entiére, & non pas ceux-ci, ce qui augmenta encore l'aigreur de ce prince. Sur ce que la lettre difoit de la fûreté qu'il y avoit pour les peres à Boulogne, Charles V répondit encore avec émotion, que le pape n'avoit que des paroles, & que Dieu renverfoit fes deffeins; voulant parler de la mort de François I. Enfin fur ce qu'il y avoit dans la même lettre, qu'on avoit tenu plufieurs conciles à Rome, & que l'empereur étoit invité à s'unir au pape pour le bien commun de la religion: « J'irai à Rome, dit ce prince, & j'y tiendrai le concile » quand il me plaira ». Après quoi le nonce fe retira. Les évêques Espagnols reftés à Trente délibérérent entr'eux s'ils feroient quelque action fynodale; mais, craignant de caufer un fchifme, ils ne firent rien, & s'appliquérent feulement à étudier les matiéres qu'on devoit traiter dans les feffions fuivantes, fuppofé qu'on continuât le concile.

Cependant le pape, dans la crainte d'être foupçonné d'avoir trop confulté fes propres intérêts dans la tranflation du concile à Boulogne, parce qu'il étoit maître abfolu de cette ville, depuis que Jules II l'avoit ôtée aux Bentivoglio:

AN. 1547.

XL. Le pape invite les évêques à fe

rendre à Boulo gne,

AN. 1547.

'Pallav.hift. conc.

Trid. lib. 9. cap. 20. n. 1. & feq.

ce pontife fit expédier le vingt-neuviéme de Mars une bulle, dans laquelle, après avoir expofé les juftes raifons pour lefquelles il prétendoit que le concile avoit dû être transféré à Boulogne, il invitoit les prélats à s'y rendre pour le continuer, leur promettant en fon nom toute fûreté, une demeure commode, une liberté entiére de s'en retourner quand ils voudroient, & un féjour tranquille pour eux & pour leurs domeftiques. Il ordonna auffi à fes légats d'employer tous leurs foins pour faire revenir au plutôt ceux qui étoient auparavant à Trente. Ils gagnérent facilement tous ceux que la crainte de la maladie en avoit déja fait partir, ou qui, favorables à la tranflation, s'étoient retirés dans les états de la république de Venise, pour célébrer l'office de la femaine - fainte dans leurs églises, ou pour d'autres raifons; mais ceux qui étoient arrêtés par leurs fouverains, comme l'évêque d'Agde qui étoit à Ferrare, un Portugais, & tous les évêques du parti de l'empereur, ne fe rendirent point. Ceux qui étoient demeurés à Trente, furent encore plus inébranlables. Aucuns ne voulurent répondre aux lettres des légats, & plufieurs même refuférent de les ouvrir, fans la permiffion de Mendoza, ambaffadeur de l'empereur, qui avoit quitté Rome dès le tems de la tranflation du concile, & s'étoit rendu à Trente par ordre de fon maître, pour fignifier aux peres de ne point fuivre les évêques Italiens, & de demeurer dans cette ville. Il n'y eut que Galéas Florimond, évêque d'Aquin, qui fe laiffa gagner, & qui alla trouver ceux qui étoient à Boulogne, où il affifta à la feffion fuivante. Les théologiens continuérent l'examen des queftions qui concernoient les facremens d'euchariftie & de pénitence: & pendant ce tems-là le pape fit écrire aux deux préfidens, qu'il confentoit à la tranflation du concile; qu'il approuvoit leur deffein de surfeoir les définitions quant aux dogmes, en s'appliquant feulement à la réformation; que le nouveau roi de France, Henri II, appréhendant le concile ne porque tât quelque préjudice aux priviléges de l'églife Gallicane, paroiffoit fort porté à la fufpenfion, à laquelle le légat Cervin étoit fort contraire, dans la crainte que les Allemands ne faisîffent auffi-tôt cette occafion pour convoquer un fynode de leur nation. Peu après le pape étant informé Le pape défend qu'il n'y avoit à Boulogne ni évêques, ni ambaffadeurs

XLI.

d'aucuns

Pallav. ubi fu

'd'aucuns princes catholiques, hors ceux d'Italie; & craignant AN. 1547. que le concile qu'on y tiendroit ne paffât pour particu- cret dans la feflier plutôt que pour général : il fut d'avis de faire fufpendre fion fuivante. les décrets, afin qu'ils fuffent publiés dans la fuite avec plus prà, cap. 20. n. 34 de folemnité. Il envoya donc un courier aux prélats, pour leur ordonner de ne rien faire & de proroger feulement la feffion.

Suivant cet ordre, elle ne fe tint que le vingt-uniéme d'Avril dans l'églife de faint Pétrone. Sébastien Leccavela, évêque de Naxe ou Naxia, dans l'Archipel, y célébra folemnellement la meffe; & Ambroise Catarin de l'ordre de faint Dominique, évêque de Minorque, y prêcha. Outre les légats, il y avoit fix archevêques & trente-deux évêques, un abbé du Mont-Caffin, & quatre généraux d'ordres de religieux mendians. Philippe Archinto, évêque de Saluces, & Camille Mantuare, évêque de Campagna, dans le royaume de Naples, retenus par la maladie, envoyérent leurs fuffrages. Après les priéres accoutumées, l'archevêque de Naxia monta dans la tribune & lut le décret fuivant.

« Le faint concile œcuménique & général, qui fe te» noit depuis quelque tems en la ville de Trente, & qui » maintenant fe trouve légitimement affemblé, fous la con» duite du faint-Efprit, en celle de Boulogne: Les mê»mes légats apoftoliques à latere, les feigneurs Jean-Ma» rie de Monté, évêque de Palestrine, & Marcel, du titre » de fainte Croix en Jérufalem, prêtres cardinaux de la » fainte église Romaine, y préfidant, au nom du très-faint » Pere en Jefus-Chrift Paul III, pape par la providence » de Dieu. Confidérant que l'onzième jour de Mars de la

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préfente année, dans la feffion publique & générale, te» nue dans ladite ville de Trente, au lieu accoutumé, avec » toutes les obfervations & formalités ordinaires, pour cau» fes preffantes, urgentes & légitimes, & fous l'autorité » du fiége apoftolique, par pouvoir fpécial accordé aux susdits révérendiffimes préfidens, il auroit été ordonné & délibéré que le concile feroit transféré dudit lieu de Trente » dans cette ville, comme en effet il y étoit transféré; & » que la feffion affignée à Trente, à ce préfent jour vingt» uniéme d'Avril, pour y prononcer & publier les canons, » touchant les facremens, & diyerfes matiéres de réformaTome XX. G

XLII. Neuviém fef

fion du conc de
Trente à Blo

gne.
Diario conc. Trid.

MS. arch. Vatica
Pag. 229

A&t. conc.Boron

MS. card. Frenc
Barber, por Mala

pag. 6.

XLIII. Décret pour la

prorogation de la feffion.

Labbe collect. conc.

tom. 14. pag. 787 Raynald. ad hunc ann. . 63.

AN. 1547.

XLIV.

L'empereur de fait & prend pri

fonnier l'électeur de Saxe.

De Thou, hift. lib.

4. n. 3.

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» tion dont il s'étoit propofé de traiter, fe tiendroit le » même jour dans cette ville de Boulogne. Et confidé»rant de plus que quelques-uns des peres qui ont affifté jufqu'ici à ce concile, les uns occupés dans leurs pro» pres églifes pendant ces derniers jours de la femaine fainte » & des fêtes de Pâques, les autres retenus par d'autres » empêchemens, n'ont pu encore fe rendre ici, où néan» moins il est à espérer qu'ils fe rendront bientôt; & que » pour cela il eft arrivé que lesdites matiéres des facre» mens & de la réformation n'ont pu être examinées & » discutées dans une affemblée de prélats auffi nombreuse » que le faint concile le defiroit: A ces caufes, afin que >> toutes choses fe faffent avec poids, dignité & mûre dé» libération, il a jugé & juge à propos & expédient, que » la feffion qui devoit fe tenir en ce jour, ainsi qu'il a » été dit, soit remise & différée, comme il la remet & la » différe, jusqu'au jeudi dans l'octave de la prochaine Pen» tecôte, pour y régler les mêmes matiéres qui ont été défignées; le faint concile jugeant ce jour très-propre » pour cela, & très-commode, particuliérement pour les » peres abfens avec cette réserve néanmoins, que le faint >> concile pourra, felon fon bon plaifir & volonté, & fui»vant qu'il le trouvera expédient aux affaires de l'affemblée, reftreindre & abréger ce terme, même dans une congrégation particuliére, fans qu'il foit befoin d'une » générale. »

:

Dans le même mois qu'on tint cette neuviéme feffion Charles V ayant fait paffer l'Elbe à fon armée, pour atteindre l'électeur de Saxe qui fuyoit de ville en ville, il le furprit lorfque cet électeur le comptoit encore fort éloigné; & quoiqu'il eût de bonnes troupes, & que lu-imême Sleidan in com. fût très courageux, comme il n'avoit pas eu tout le tems ment. lib. 19. pag. convenable pour fe difpofer au combat, & que d'ailleurs 664. & feq. les Impériaux agirent avec une valeur extraordinaire, fon armée ne tarda pas à être mife en déroute, & lui-même fut fait prifonnier avec Erneft duc de Brunswick, & amené à l'empereur. C'étoit le vingt-quatrième d'Avril 1547. Comme l'électeur étoit à cheval, dès qu'il apperçut Charles V, il voulut defcendre & ôter fon gant, pour toucher la main du victorieux, fuivant la coutume de la nation : mais l'empereur ne voulut pas qu'il defcendit, parce qu'il étoit bleffé,

Ant.de Vera, hift. de Charles V. pag. 257. & feq.

L'électeur fe contenta donc d'ôter fon chapeau, & de faire AN 1547. une profonde révérence en prononçant ces paroles: Puifque la fortune le veut ainsi, puiffant & clément empereur, je me rends votre prifonnier, & je vous prie de me donner une garde digne d'un prince. A quoi les hiftoriens rapportent que l'empereur répondit: Maintenant vous me traitez donc d'empepereur, & moi je vous traiterai felon vos mérites; lui reprochant par-là le nom qu'il lui avoit donné dans plufieurs écrits, ne l'appellant que Charles de Gand, foi difant empereur. L'électeur & le duc de Brunswick furent mis en la garde d'Alphonfe Vivès, meftre de camp des Espagnols, qui les conduifit dans un lieu fûr, affez proche de l'Elbe, jusqu'à nouvel ordre.

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Après cette victoire l'empereur marcha vers Wittemberg, où Jean Frédéric, fils aîné de l'électeur, s'étoit sauvé avec plufieurs autres ; & quand il fut arrivé devant cette ville, il la fit fommer de fe rendre; & fur le refus qu'elle en fit il commanda à fon armée de l'inveftir, & de la tenir fi bien bloquée qu'elle ne pût avoir aucune communication au dehors. Cependant comme ce blocus pouvoit durer longtems, & que Charles vouloit terminer promptement, il réfolut de faire condamner à mort l'électeur de Saxe, afin que Sybille fa femme, & fes enfans, qui étoient auffi dans Wittemberg, effrayés d'une telle févérité, euffent recours à fa clémence & lui livraffent la place.

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On affembla donc le confeil de guerre, & tous ayant été de l'avis de l'empereur, la fentence de mort fut prononcée le huitiéme ou le douziéme de Mai, en ces termes : « Nous Charles, empereur, &c. Avons ordonné & ordon » nons, que Jean Frédéric, autrefois électeur de Saxe » aura la tête coupée, pour le crime de félonie & rébellion contenue dans le ban de l'empire publié contre lui: » peine qu'il a encourue & méritée, & afin que fa mort » foit un exemple de terreur à tous les méchans ». Le même jour à trois heures après midi, le fecrétaire du confeil de guerre vint prononcer cette fentence au prifonnier, qui étoit affis dans fa tente avec Albert duc de Brunswick, & lui déclara qu'elle feroit exécutée le lendemain.

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L'électeur écouta la lecture de cette fentence, fans paroître ému; & regardant le fecrétaire du confeil avec un visage tranquille : « A quoi bon tout cela, lui dit-il, s'il

XLV.
L'empereur for?
me le fiége de
Wittemberg.
De Thou, hift.l.4
Sleid.lib.19.p.666

XLVI.
L'électeur de Sa

xe eft condamné
à mort.
De Thou, ubi fup

Sleid. ibidem.

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