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pofois de mettre en vers. Mais les différentes perfonnes à qui je le communiquai, crurent que les vers ôteroient la vérité & le naturel qu'ils trouvoient dans ce Drame; & les pleurs que fa lecture faifoit verfer à tous ceux qui l'entendoient, me déterminerent fans peine à le laiffer tel qu'on l'a vu au Théâtre, & que je le fais imprimer aujourd'hui.

LETTRE

DE M. DE WIELANDT, A M. DE FALBAIRE DE QUINGEY.

Vienne, le 20 Janvier 1772.

MONSIEUR,

Vous ferez peut-être furpris de recevoir des remercîmens de la part d'un étranger qui n'a pas l'honneur d'être connu de vous. Raffurez-vous, Monfieur; l'Auteur de l'Honnête-Criminel a des droits à la reconnoiffance de toutes les Nations qui ont des Théâtres, & de tous les hommes qui ont des fentimens. C'est fur-tout aux traducteurs, qui font paffer dans une langue étrangere la beauté de vos Drames, à être les interprêtes des fentimens qu'ils font naître ; & c'eft en cette qualité, Monfieur, que je m'empreffe de vous rendre compte du fuccès extraordinaire qu'a eu votre Fabricant de Londres fur le Théâtre Allemand de Vienne. Ma traduction a été fidelle, & c'est peut-être fon plus grand mérite. Il auroit été auffi ridicule à moi de vouloir vous embellir, qu'il m'est glorieux de vous avoir montré au vrai. Enfin, ma traduction, que j'ai entreprife par goût, m'a valu bien du plaifir dans le travail, & bien des complimens après la représentation. Il eft jufte que je vous en rende la

meilleure partie. Heureux fi par-là je vous dédom mage du peu d'effet qu'a produit cette piece en France: fans vos critiques nous ne l'aurions jamais foupçonné, & nous n'aurions jamais pu le croire fans votre propre aveu. Quoi qu'il en foit, les Allemands l'ont emporté cette fois-ci fur vos compatriotes du côté de la fenfibilité ; & en vous remerciant du plaifir que vous leur avez fait, ils s'en promettent toujours autant de votre part. Avec quel plaifir ne hasarderai-je pas une autre traduction d'un nouveau Drame de votre plume! Sûr d'un fuccès heureux, j'ai l'honneur d'être, &c.

JEAN-ANDRÉ DE WIELANDT,
Conf. de Régence de B. Bar.

RÉPONSE DE M. DE QUINGEY,

A M. DE WIELANDT.

A Paris, le 15 Février 1772.

MONSIEUR,

RIEN ne pouvoit me flatter autant que l'honneur d'être traduit par un Auteur célebre, dont les Quvrages méritent eux-mêmes & ont eu auffi des traducteurs. Mon Fabricant a fûrement gagné beaucoup, entre vos mains ; & s'il a reçu un accueil fi favorable en Allemagne, je le dois fans doute en grande

partie à l'habitude où elle eft d'applaudir à tout ce qui fort de votre plume. Cependant, Monfieur, quoique ce fuccès vous appartienne peut-être plus qu'à moi, je ne l'ai pas appris avec moins de fatisfaction.

J'avois vu, fans en être affligé, ma piece avoir ici un fort moins brillant; je n'ai pas le droit de m'étonner lorfque je ne réuffis pas. Je ne connois point les critiques qui en ont été faites: la foibieffe de ma vue, me permettant de lire fort peu, m'oblige à mettre dès long-tems un grand choix dans mes lectures. Mais je m'eftime heureux de recueillir les fuffrages d'un Peuple qui, par la fimplicité de ses mœurs, par fon goût pour la vie domestique, & par la vérité avec laquelle il fait peindre la nature, eft bien fait pour juger un Drame que j'ai voulu compofer dans un genre fimple, naturel & tout-à-fait vrai. Les détails qui devoient paroître minutieux & puériles à Paris, où les peres voient à peine leurs enfans, ont pu intéreffer à Vienne, où l'on vit davantage dans l'intérieur de fa famille. Enfin, Monfieur, les applaudiffemens que vous m'avez obtenus fi loin de ma patrie, me paient affez du prix de mon travail. J'aurois tort de ne favoir pas me contenter de pareils dédommagemens; je dois en quelque façon y être accoutumé, Jufqu'à préfent le Théâtre de la ville que j'habite refte fermé à l'Honnête - Criminel, quoique, depuis plusieurs années, cette piece foit vue avec intérêt fur la plupart des autres Théâtres de l'Europe.

Voilà du moins, Monfieur, un avantage bien conftaté du genre que j'ai adopté & que plufieurs perfonnes traitent encore ici de barbare, c'est de ne fe trouver étranger chez aucune Nation policée : mon ame me l'a naturellement indiqué, mais l'amourpropre pourroit auffi le faire choifir. Ce qui est trèsplaifant pour un Peuple, ne l'eft fouvent point du tout pour un autre, & ceffe de l'être pour le même Peuple dans un autre moment. La Comédie gaie, du côté de l'effet, a donc néceffairement une fphere plus refferrée que la Comédie attendriffante; celle-ci pénetre dans les cœurs, celle-là ne s'exerce que fur les furfaces, n'a pour objet principal que les ridicules. Or, ce font des formes de la nature humaine, lefquelles varient continuellement felon la différence des tems & des lieux; mais le fond des fentimens demeure toujours à-peu-près le même, & la fenfibilité eft, pour ainsi dire, une corde univerfelle qui ne peut être touchée avec quelque juftesse fans que la vibration s'en communique plus ou moins fortement aux ames douces & tendres de tous les pays & de tous les âges. Vous avez, Monfieur, tranfmis à celles de vos compatriotes l'effet que mon Fabricant a eu le bonheur de produire fur la vôtre; & puifque vous me promettez de me continuer le même fervice, je vais m'efforcer de rendre mon premier Ouvrage digne du traducteur qui l'attend encore. J'ai l'honneur d'être, &c.

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