A MADAME

DE TRUDAINE.

MADAME,

CEUX qui connoiffent votre ame favent combien il eft flatteur de l'intéreffer, & c'est un avantage qui me rendra mon FABRICANT

toujours cher. Cette piece vous a plu: j'ai donc réuffi, & ce fuccès ne m'en laisse pas defirer

un autre.

Je fuis avec un profond respect, &c.

QUAN

PREFACE

UAND nous fortons du Spectacle, après la représentation d'une belle Tragédie, nous rencontrons rarement des Princes fugitifs, des Rois détrônés, qui puiffent profiter de l'attendriffement que nous venons d'éprouver. Mais nous voyons chaque jour enlever & vendre les effets de Citoyens malheureux, qui auroient besoin de notre commisération, auxquels nous pourrions accorder d'utiles fecours, & dont une pitié généreuse préviendroit la ruine.

On fe rappelle encore avec plaifir ce que fit, il y a quelques années, un Prince connu par fa bienfaisance & fon humanité. Sa voiture fe trouvant arrêtée par des meubles qu'on enlevoit pour les transporter sur la place, il fut touché de ce fpectacle. Inftruit

de la probité des infortunés qu'on dépouilloit, il fit appeller l'huiffier, acquitta la dette, quoiqu'elle fût confidérable, & ordonna le filence à ceux qui furent témoins de cet acte de bonté ; mais il ne put être obéi. De pareilles actions font malheureusement trop rares parmi nous, pour qu'on ne s'empreffe pas à les publier (1).

C'eft dans la vue de faire naître l'envie d'imiter cet exemple, c'est afin de voir, s'il eft poffible, des traits femblables se répéter plus fouvent dans la fociété, que j'ai voulu mettre fur la scene une famille bourgeoife, tombante dans cet état d'infortune, & que je me fuis proposé d'en présenter un tableau fimple, naturel & tout-à-fait vrai. Je me fuis dit: Je commencerai par peindre l'intérieur de la maison de mon FABRICANT; je tâcherai de faire aimer ceux qui l'habitent;

(1) Voyez Lettres variées de Mademoiselle de SaintFilts: l'Avant Coureur, no. 15, année 1770.

& quand j'aurai bien familiarisé mon spec-
tateur avec tous mes perfonnages, qu'il aura,

pour
ainfi dire, vécu quelque tems avec eux
dans l'intimité domestique, je lui montrerai
le défaftre de cette même maifon, & il en
fera plus vivement affecté. Voilà pourquoi
j'ai mis beaucoup de détails dans les deux
premiers actes; & j'ai hasardé, dans les fui-
vans, des tableaux que j'ai cru auffi touchans
que terribles.

Cependant, à la représentation, ce Drame n'a point produit l'effet que j'en avois attendu; & fi ceux qui le liront n'en font pas plus touchés que n'ont paru l'être la plupart de ceux qui l'ont vu, j'avouerai franchement que j'aurai été trompé par ma propre fenfibilité. Je n'ai fait que lui abandonner ma plume, & cette piece eft fortie toute entiere de mon ame, fans même que je fongeaffe à faire une piece. J'imaginois n'avoir tracé qu'un plan, n'avoir écrit qu'un cannevas, que je me pro