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LE TEMPLE

DE

GNIDE.

PRÉFA CE.

Lx Temple de Gnide eft du petit nombre de ces

Ouvrages charmans que le Public relit toujours avec un nouveau plaifir. La haute réputation de fon Auteur & la multiplicité des éditions en confacrent le mérite & le fuccès. Ne me ferois-je point rendu coupable d'une espèce de facrilége, en ofant toucher à cette production d'un Homme, dont le génie honore notre fiécle? Le projet d'ajoûter à ses beautés les graces de la verfification ne paroîtra-t-il pas une témérité inexcufable? D'ailleurs, cette entreprise audacieufe n'étoit-elle pas au-deffus de la foibleffe de mes talens? Je ne me fuis point diffimulé ces objections. Je ne me suis point aveuglé, non plus, fur le peu de gloire à recueillir d'un travail auffi facile, en apparence, que celui d'orner de rimes une profe déja poétique. J'ai apprécié ce travail, fans m'exagérer fa valeur; & le jugement de nos Ariftarques n'aura point à détromper mon amour-propre.

Par quel motif me fuis-je donc déterminé à verfifier le Temple de Gnide? Oferai-je le dire? Je n'ai eu en vûe que mon amusement & ma feule fatis

faction. C'eft toujours avec regret, avec une forte d'impatience que je lis en profe des Ouvrages où les idées, les expreffions & les images de la Poéfie font accumulées : j'éprouve alors le fentiment que fait naître l'aspect d'un excellent tableau, dont la toile ne préfente encore que l'efquiffe. On admire la diftribution des grouppes, le contraste & l'ensemble des parties, la pureté du trait, l'exactitude du deffin, la richeffe & le génie de la composition: mais on défire l'effet & le coloris. Combien ne doit-on pas regretter que l'Auteur du Télémaque ait peu cultivé l'Art de notre verfification? Si M. de Fénelon dont l'imagination étoit fi féconde & fi brillante eût été gêné dans le choix de fes détails, & furtout de ses réflexions, par la difficulté de les embellir du langage Poétique, combien fon ouvrage eût acquis de perfection, & de quel Poëme il eût enrichi notre littérature ! La France qui, à d'autres égards, a tant d'avantages fur le refte de l'Europe, auroit encore celui d'avoir, elle feule, deux Poëmes héroïques de la plus grande célèbrité. La Grèce ne nous a laiffé que l'Iliade: l'Odiffée n'eft qu'une continuation foible du même sujet, & l'amas des événemens romanefques

y défigure la majefté de l'Epopée. L'ancienne Rome n'a produit que l'Énéïde: en effet, la Pharfale n'a point de rang à côté de ce chef-d'œuvre du génie & de la raifon. L'Italie moderne, quel que foit le mérite du Dante, de l'Ariofte & de leurs Imitateurs, ne peut s'énorgueillir que de la Jérufalem délivrée. L'Angleterre n'a que le Paradis perdu : Milton, par une fuite finguliere de fa conformité avec le Poéte Grec, fommeilla dans fon Paradis reconquis, & fon génie y dégénéra de lui-même. Enfin, le Portugal n'a que la Lufiade; & fi le Télémaque étoit écrit en Vers, nous aurions le jufte orgueil de pofféder la Henriade & le Télémaque.

Si quelqu'Auteur avoit affez de talent, & étoit affez défintéreffé, fur la gloire perfonnelle, pour tenter de donner à ce dernier Ouvrage le feul mérite qui lui manque, combien de préjugés s'élèveroicnt contre lui! Eût-il perfectionné fon modèle, l'eût-il même surpassé, il feroit encore loin de la réputation dont jouit le Traducteur le plus médiocre d'un Écrivain, foit ancien, foit étranger. Cependant faudroit-il moins de talent pour réuffir dans ce genre de traduction que dans les autres ? Je ne le penfe

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