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Le retour du printems eft la feule confidération qui me détermine à publier cette Epitre. Elle tient à des circonftances particulières qui, peu connues, affoibliront peut-être l'effet de quelques détails: cependant, comme elle renferme des peintures assez naïves de la vie, des mœurs & des occupations de la campagne, je ne la crois pas fans une forte d'intérêt. Dans ce moment où l'on quitte le fafte & l'ennui de la Ville, pour aller jouir au dehors du fpectacle de la Nature rajeunie; je crois que des images, deffinées avec foin d'après ce modèle, pourront préfenter quelqu'agrément. D'un autre côté, fi je parviens à émouvoir mes Compatriotes en faveur de cette claffe laborieufe de Citoyens qui cultive la terre, fans partager avec nous la jouiffance de fes productions; fi, dis-je, j'attendris pour elle ces âmes compatiffantes, dont il ne faut que réveiller la fenfibilité pour les exciter à la bienfaisance, je me féliciterai d'avoir donné cet Ouvrage, & mon cœur s'enorgueillira du bien qu'il aura pû produire.

Les douceurs de la retraite, les charmes de la campagne, cette mélancolie douce qui fuccède aux agitations d'une vie tumultueufe, cette profordeur de fentiment que l'on doit au calme de fon âme, enfin

des plaisirs purs & tranquilles m'inspirérent autrefois le projet de cette Epitre. Je l'exécutai, il y a dix ans, près du modèle; &, fi je puis m'exprimer ainfi, fous les yeux de la Nature. Cette date n'eft pas inutile à fixer; car il a paru, depuis, des Poéfies de la même couleur & du même ton: agréables au Public, elles jouiffent d'un fuccès auffi flatteur que mérité. Si l'époque de mon Ouvrage n'étoit point connue,je craindrois qu'on ne me foupçonnât d'affectation de concurrence ou de plagiat. Je m'embaraffe peu que les méchans le difent fans le croire; mais il m'importe que les Perfonnes, qui pourroient le préfumer, fans le dire, foient détrompées. Il fera facile d'éclaircir & de conftater cette date par le témoignage des Perfonnes dont les noms font employés dans cette Epitre ce feroit donc par pure rencontre que les images, que j'ai choifies, auroient quelque reffemblance avec celles qu'on a déjà mifes fous les yeux du Public. Le genre bucolique eft néceffairement borné dans fes descriptions: les mêmes objets y reviennent fans ceffe fous le pinceau; & ce n'est que le coloris, la compofition des groupes, leur enchaînement & leur cadre, qui peuvent y jetter quelque variété. Si je ne préfente ici que des vérités communes & des images déjà employées, c'est que je penfe qu'on ne peut trop répéter des vérités utiles,

ni trop fouvent offrir des tableaux toujours agréables, & toujours intéreflans, quand la mal - adreffe de l'Artiste n'en détruit pas la grace & la fraîcheur.

Cependant, fi cette Epitre ne renfermoit que des peintures champêtres & des fcènes purement pastorales, je compterois peu fur fa réulite; car notre langue et médiocrement pittorefque, & le genre defcriptif y a peu d'avantage. S'il m'étoit permis d'efpérer quelque fuccès, je l'attendrois des fentimens d'humanité & de bienfaifance, que j'ai développés & fondus dans les détails de cet Ouvrage. Cette efpèce de Philofophie rurale & pratique ne manque jamais fon effet fur les cœurs fenfibles; &, malgré la corruption de nos mœurs, il en eft encore quelquesuns. Les Grands & les Riches, qui au milieu de la Capitale ne font que perfonnels & durs, perdent leur égoïsme & l'aridité de leur cœur, lorsqu'ils habitent leurs Châteaux. Ne rabaiffons point, ne dénaturons point les actions honnêtes, en les imputant à des motifs d'amour-propre & de hauteur. En général, on fait aujourd'hui le bien dans fes Terres; c'est-là qu'on redevient homme, & qu'on defcend de l'élévation idéale, d'où l'on ne voyoit plus fes femblables & ses égaux : c'est-là que le spectacle de l'indigence & des travaux de nos Cultivateurs ouvre nos âmes à cette pitié généreufe, qui confole les infor

tunés & va au-devant de leurs befoins. Cette métamorphofe fubite eft très-naturelle & très-fimple. Tous ces intérêts de l'orgueil, toutes ces inquiétudes de l'ambition, ce goût effréné du fafte & des plaisirs, nos intrigues, nos folies, nos erreurs, tout ce qui pése sur nous dans le féjour de la Ville; rien de tout cela ne nous fuit à la campagne. On s'y livre fans réserve à l'abandon de foi-même, à l'oubli de ses prétentions, aux douceurs de la tranquillité; & l'on fait des heureux par le defir de l'être. Voilà ce que j'ai vû mille fois avec attendriffement, & ce que j'aurois voulu peindre avec plus de chaleur & d'énergie.

Je croirois encore un autre mérite à cette légère production, fi je ne devois pas attendre le jugement du Public, pour former & déterminer le mien. Il y a quelques vers téchniques, que j'ai tort peut-être de croire bien faits, par le travail & les foins qu'ils m'ont coûté. Ces vers toujours difficiles, mais, pour l'ordinaire, peu brillans, font le plus souvent perdus pour la gloire de l'Auteur: le mérite de la difficulté vaincue n'eft fenti, dans tous les Arts, que par les Connoiffeurs. La claffe la plus nombreuse du Public s'arrête plus volontiers fur les détails de pur agrément, qu'on a coloriés avec moins de peine & d'étude. Mais paffons à un intérêt plus preffant pour moi, qui eft de faire connoître les Perfonnes dont il eft parlé dans cette Epitre.

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