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Abailard, j'ai fenti renaître mes douleurs.

Cher Epoux, cher objet de tendreffe & d'horreurs,
Que l'amour, dans tes bras, avoit pour moi de charmes!
Que l'amour, loin de toi, me fait verfer de larmes!
Tantôt je crois te voir de mirthe couronné,
Heureux & fatisfait, à mes pieds profterné;
Tantôt dans les déferts, farouche & folitaire,
Le front couvert de cendre & le corps fous la haire,
Defléché dans ta fleur, pâle & défiguré,

A l'ombre des Autels, dans le Cloître ignoré.
C'est donc-là qu'Abailard, que fa ficèle Epoufe,
Quand la Religion, de leur bonheur jaloufe,
Brife les noeuds chéris dont ils étoient liés,
Vont vivre indifférens, l'un par l'autre oubliés?
C'eft-là que déteftant & pleurant leur victoire,
Ils fouleront aux pieds & l'amour & la gloire?
Ah! plutôt écri-moi : formons d'autres liens;
Partage mes regrets, je gémirai des tiens.
L'écho répétera nos plaintes mutuelles:
L'écho fuit les Amans malheureux & fidèles.
Le fort, nos ennemis ne peuvent nous ravir
Le plaifir douloureux de pleurer, de gémir:
Nos larmes font à nous, nous pouvons les répandre...
Mais Dieu feul, me dis-tu, Dieu feul doit y prétendre.

Cruel, je t'ai perdu, je perds tout avec toi:
Tour m'arrache des pleurs, tu ne vis plus pour moi;
C'eft pour toi, pour toi feul que couleront mes larmes.
Aux pleurs des malheureux Dieu trouve-t-il des charmes?
Ecri-moi, je le veux (a): ce commerce enchanteur,
Aimable épanchement de l'efprit & du cœur,
Cet art de converfer, fans fe voir, fans s'entendre,
Ce muet entretien, fi charmant & fi tendre;
L'art d'écrire, Abailard, fut fans doute inventé
Par l'Amante captive & l'Amant agité.

Tout vit par la chaleur d'une Lettre éloquente,
Le fentiment s'y peint fous les doigts d'une Amante
Sun cœur s'y développe : elle peut, fans rougir,
Y mettre tout le feu d'un amoureux defir...
Hélas! notre union fut légitime & pure,

On nous en fit un crime, & le Ciel en murmure,

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(a) De quibufcunque nobis scribas non parvum nobis remedium conferes: hoc faltem uno quòd te noftri memorem effe monftrabis. Quàm jucunda verò fint Epiftola amicorum ipfe nos exemplo proprio Seneca docet, fic fcribens ad Licinium nunquam Epiftolam tuam accipio, quin protinùs unà fimus... Si imagines nobis abfentium amicorum jucunda fint, quantò jucundiores funt litteræ, quæ abfentis amici veras notas afferunt,

Epift. 2. Héloiff, ad Ab. p. 42.

A ton cœur vertueux quand mon cœur fut lié
Quand tu m'offris l'Amour fous le nom d'amitié;
Tes yeux brilloient alors d'une douce lumiére;
Mon âme dans ton fein se perdit toute entiére.
Je te croyois un Dieu, je te vis fans effroi :
Je cherchois une erreur qui me trompât pour toi.
Ah! qu'il t'en coûtoit peu pour charmer Héloïfe!
Tu parlois... à ta voix tu me voyois soumise (a).
Tu me peignois l'Amour bienfaisant, enchanteur;
La perfuafion fe gliffoit dans mon cœur.

Hélas! elle

y couloit de ta bouche éloquente,
Tes lèvres la portoient fur celles d'une Amante.
Je t'aimai; je connus, je fuivis le plaifir ;
Je n'eus plus de mon Dieu qu'un foible fouvenir.
Je t'ai tout immolé, devoir, honneur, fageffe:
J'adorois Abailard; &, dans ma douce yvreffe,

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(a) In omni autem Deus fcit, vitæ meæ ftatu, te magis adhuc offendere quam Deum verebar, tibi placere ampliùs quàm ipfi appeto. Me quidem juvenculam ad monaftica converfationis afperitatem non religionis devotio, fed tua tantùm pertraxit jufio. Nulla mili fuper hoc merces expectanda eft à Deo, cujus adhuc amore nil me conftat egiffe. Non enim mecum animus, fed tecum eft; effe verò fine te nequaquam poteft.

Ibid. p. 47. 60.

Le refte de la terre étoit perdu pour moi:

Mon Univers, mon Dieu, je trouvois tout chez toi.

Tu le fais ; quand ton âme, à la mienne enchaînée, Me preffoit de ferrer les noeuds de l'hyménée, Je t'ai dit (a): cher Amant, hélas ! qu'exiges-tu? » L'Amour n'eft pas un crime; il eft une vertu: » Pourquoi donc l'affervir à des loix tyranniques? >> Pourquoi le captiver par des nœuds politiques? » L'Amour n'eft point efclave; & ce pur fentiment » Dans le cœur des humains naît libre, indépendant. » Uniffons nos plaisirs, fans unir nos fortunes: >> Croi-moi ; l'hymen cft fait pour des âmes communes, » Pour des Amans livrés à l'infidélité:

» Je trouve dans l'amour mes biens, ma volupté. Le véritable amour ne craint point le parjure: » Aimons-nous, il fuffit; & fuivons la nature.

(a) Nihil unquam in te, nifi te, requifivi; te pur, non tua concupifcens non matrimonii fadera, non dotes aliquas expedavi, non denique meas voluptates aut voluntates, fed tuas (ficut ipfe nofti) adimplere ftudui; & fi uxoris nomen fandius ac validius videtur, dulcius mihi Semper extitit amica vocabulum; aut fi non indigneris, concubinæ vel

fcorti; amorem conjugio, libertatem vinculo præferebam.

Ibid. p. 45.

» Apprenons l'art d'aimer, de plaire tour-à-tour,
» Ne cherchons en un mot que l'amour dans l'amour.
» Que le plus grand des Rois(a),defcendu de fon Trône,
>> Vienne mettre à mes pieds fon Sceptre & fa Couronne;
» Et
que, m'offrant fa main, pour prix demes attraits,
» Son amour faftueux me place fous le dais;

» Alors on me verra préférer ce que j'aime

» A l'éclat des grandeurs, au Monarque, à moi-même.
» Abailard, tu le fais; mon Trône eft dans ton cœur.
>> Ton cœur fait tout mon bien, mes titres, ma grandeur.
» Méprifant tous ces noms que la fortune invente,

Je porte, avec orgueil, le nom de ton Amante:
S'il en eft un plus tendre & plus digne de moi,

» S'il peint mieux mon amour, je le prendrai pour toi
» Abailard, qu'il eft doux de s'aimer, de fe plaire!
» C'est la premiere loi; le refte eft arbitraire.

D

Quels mortels plus heureux que deux jeunes Amans » Réunis par leurs goûts & par leurs fentimens;

1

(a) Deum teftem invoco; fi me Auguftus, univerfo præserens mundo matrimonii honore dignaretur, totumque mihi orbem confirmaret in perpetuo præfidendum, carius mihi & dignius videretur ta dici meretrix, quàm illius Imperatrix.

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