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M. Duhamel du Monceau, de l'Académie des Sciences, eft trop célèbre par ses Ouvrages, pour que j'aye à mettre mes Lecteurs au fait des places qu'il occupe, & des objets fur lefquels je le loue. Cet Ouvrage eft plus particuliérement adreffé à M. Duhamel de Denainvilliers, fon frere. Celui-ci, moins connu, mais également fait pour l'être par fes qualités & l'étendue de ses lumiéres, vit isolé dans une terre, fituée fur les confins du Gâtinois: c'eft-là qu'il s'occupe journellement des expériences néceffaires aux travaux de l'Académicien. Il a naturalifé, dans fon parc, une foule d'arbres & d'arbustes étrangers, que l'on a vûs, depuis, fe multiplier dans nos plantations françoifes, fur nos routes & dans nos avenues. On voit encore, dans fes Serres, une fuite nombreuse de plantes les plus rares & qui piquent le plus la curiofité. La Chymie, l'Aftronomie, l'Agriculture, l'Hiftoire Naturelle, enfin, toutes les parties de la Phyfique font les objets de fes obfervations; mais ces travaux ne prennent rien fur le foin du bonheur de fes Payfans & de fes Vaffaux. Il est leur Juge, leur Protecteur, leur Ami & leur Pere: on ne peut réunir à la fois, plus de connoiffances & de vertus. Les Perfonnes qui l'ont vû de près & dans son intimité, attefteront que je n'ai point surchargé fon éloge: il est le modèle exact du Sage que j'ai

voulu peindre. C'eft fans fon aveu que je donne au Public cette Epitre: fa modeftie s'y feroit oppo fée; & j'ai paffé sur cette formalité, peut-être néceffaire, par un motif que les honnêtes gens approuveront. Depuis quelques années, on a répandu beaucoup de fleurs fur les tombeaux des Hommes illuftres ou bienfaifans, qui ont honoré la Nation & fervi l'Humanité: il faut auffi attacher quelques guirlandes aux portes des Perfonnes vertueufes qui vivent parmi nous; & accoutumer les Hommes, s'il eft poflible, à rendre juftice à leurs contemporains.

EPITRE

A M. DUHAMEL

DE DENAINVILLIERS.

SOLITAIRE vallon où, parmi les roscaux,

L'Effonne lentement laiffe couler fes eaux,
Enfin je te revois; & tes rives fleuries
Vont m'infpirer encor d'utiles rêveries!

Au milieu du tumulte & du bruit des Cités,
Mes efprits, loin de moi dans le vague emportés,
Dociles aux defirs d'une foule infenféc,

A l'intérêt de plaire immoloient ma pensée.
Dans ces foupers, où l'art le plus voluptueux
Aiguillonne nos fens & nos goûts dédaigneux,
Où d'une main, pour nous toujours enchantereffe,
Hébé verse, en riant, le nectar & l'yvreffe;
Quel Mortel, infenfible au charme du poison,
D'un philtre fi flatteur peut fauver sa raison?
L'Anglois, le feul Anglois, inftruit dans l'art de vivre,
Pense & raisonne encore, au moment qu'il s'enyvre:

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Le coude fur la table appuyé gravement,
L'efprit préoccupé d'un Bill du Parlement,
Il contemple fa coupe, en filence vuidée;
Et, plein de fes vapeurs, il creufe fon idée.

Mais nous, Peuple frivole, & qui, dans nos plaifirs,
Sommes plus emportés, avec moins de defirs;
Qui, le cœur toujours vuide & la tête exaltéc,
Ne cherchons que le bruit d'une joye affectée,
Nous goûtons le bonheur, fans l'économifer;
Et notre art d'en jouir eft l'art d'en abuser.
Des boudoirs, des fophas les intrigues fecrettes,
L'anecdote du jour, l'hiftoire des toilettes,
Les jeux d'un vil Bouffon, des brochures, des riens;
Voilà les grands objets de tous nos entretiens!
Lorfqu'enfin, terminant de fi douces orgies,
Le rayon du matin fait pâlir les bougies,
Nos convives légers remontent dans leurs chars.
De ces fous fi brillans les rapides écarts

Ont, fur le goût, les mœurs & les modes nouvelles,
Lancé du bel efprit les froides étincelles :
Mais, d'un objet utile occupant fa raifon,

Un foul d'entr'eux, un feul a-t-il réfléchi?... Non.
J'ai fuivi trop long-tems ce tourbillon rapide:
A travers fon éclat, j'en ai connu le vuide;

Et

Et, de Rome échappé; je reviens dans Tibur
Refpirer les parfums d'un air tranquille & pur:
Je parcours, plus heureux, ces routes ifolées.
Si je fuis les détours que forment ces vallées,
J'aime à voir le Zéphir agiter dans les canx
Les replis ondoyans des joncs & des rofeaux 19
Et ces faules vieillis, de leur mourante écorce,
Pouffer encor des jets pleins de féve & de force.
Ici tout m'intéreffe & plaît à mes regards :
Sur les bords du ruiffeau, cent papillons épars,
Avant que mes efprits démêlent l'imposture,
Me paroiffent des fleurs que foutient la verdure.
Déjà ma main féduite eft prête à les cueillir:
Mais, allarmé du bruit, plus prompt que le Zéphir,
L'infecte, tout-à-coup détaché de la tige,
S'enfuit... & c'eft encore une fleur qui voltige.
Les arbres, le rivage, & la voûte des cieux,
Dans le criftal des eaux, fe peignent à mes yeux?
Chaque objet s'y répète; & l'onde qui vacille
Falance dans fon fein cette image mobile.

TANDIS que du tableau je demeure frappé,
Soudain, vers l'horifon, le ciel enveloppé
Roule un nuage fombre; & déjà le Tonnerre
De fes fléches de feu le fillonne & l'éclaire

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