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On l'a vû, la coignée ou la bêche à la main,
Déraciner le chêne, applanir un terrein:
Le Soleil l'a noirci des feux de fa lumière,
Il fe traîne; & courbé rentre dans fa chaumière,
Le poignard dans le cœur, les larmes dans les yeux!
Va-t-il y quereller, y maudire les Dieux ?
Non; c'eft-là qu'il rejoint une Époufe fidèle.
Elle vient dans fes bras, il vole au-devant d'elle:
Un fourire enchanteur, un tendre embrassement,
Une careffe, enfin, le plaifir d'un moment,
Redonnent à fon âme éteinte, anéantie,
Un fentiment plus vif & l'amour & la vie :
Sous le poids qui l'accable il eft plus affermi.
Mais que ce malheureux aille voir fon Ami;
Infortunés tous deux, tous deux dans la misère,
Leur douleur deviendra plus fombre, plus amère;
Leurs malheurs & les maux fur eux appefantis,
Détaillés l'un par l'autre, en feront plus fentis.

O Déeffe, à préfent des Mortels ignorée, Amitié! tu régnas dans les beaux jours de Rhéc: L'Homme heureux & content, à l'abri des revers, N'alloit point confier des maux qu'il eût foufferts:

Sur le front des Amis l'allégreffe étoit peinte,
Leur bouche n'étoit point l'organe de la plainte;
Mais, dans ces jours cruels, quels font nos entretiens?
Les maux font partagés & chaque être a les fiens:
Sans ceffe, l'on s'en fait la trifte confidence.
Non; j'aime mieux me plaindre & gémir en filence.
Je n'irai point verfer dans un cœur étranger
Des maux, qu'il sent lui-même & ne peut foulager.
Et l'Amitié, d'ailleurs, dans ce fiecle parjure,
Peut-elle être facrée ? eft-elle toujours fûre?
L'orgueil ou l'intérêt en ont formé les noeuds :
Un malheureux veut-il d'un Ami malheureux ?
Au moins, l'Amour cft vrai: fon charme involontaire
Le rend inaltérable & le rend néceffaire:

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Il tient à l'âme, aux fens; & malgré les erreurs
Dont les vices du jour ont infecté nos mœurs,
L'Amour n'eft point un fonge; il eft vrai que l'on aime :
L'Amour indépendant exifte par lui-même.

Trop coupables Humains, dont les crimes divers
Ont chaffé les vertus de ce trifte Univers:
Vous, qui de l'innocence avez perdu les charmes,
Qui vivez dans le trouble, au milieu des alarmes;

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Vous, tigres dévorans, l'un fur l'autre acharnés,
Sous le poids de vos fcrs cfclaves mutinés
Vous, chez qui l'Amitié n'eft rien qu'une chimère,
Qu'un nœud mal afforti que l'intérêt altère;
Vous, qui vous êtes fait un art de vous trahir;
Vous, que l'ambition oblige à vous hair;
Vous, entre qui les rangs ont mis des intervalles ;
Vous, dont l'orgueil défend ces barrieres fatales,
Qui femblez entre vous, par vos communs mépris,
Oublier le limon dont vous fûtes paîtris...
Ennemis l'un de l'autre, ennemis de vous-même:
Votre infortune, hélas! n'eft pas encor extrême,
Vous n'avez pas du Ciel épuife le courroux,
Triftes Mortels!... l'Amour eft encor parmi vous.

LES

LES SACRIFICES

DE

L'AMOUR,

A MADA ME***.

Qual' io non l'avea vifta infin allora

Mi si scoverse : onde mi nacque un ghiaccio
Nel cuore, ed evvi ancora

E farà fempre, fin ch'i' le fia in braccio.

Petrarca Canz. 24.

J'AI

'AI vû, comme Adéon, les beautés de Diane : Le respect, dans mon cœur, cédoit à mes defirs; Et j'allois, plein de feu, porter un pied prophane Au fanctuaire des Plaifirs.

Déjà, dans l'ardeur qui m'anime,

Je m'avançois vers cet Autel facré,

Où l'Amour feul peut rendre un culte légitime: Mais, ô retour inespéré !

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Pour la Divinité mon hommage eft un crime;
Et fon cœur, contre moi, par la haîne ulcéré
De mes transports m'a rendu la victime.

O toi! qui, malgré tes rigueurs,

Ne peux,

du moins, m'ôter ton image chérie, Tule vois; fous les traits de cette allégorie,

Je peins, en foupirant, mon crime & mes malheurs... Mon crime?... eft-il donc vrai que j'ai pû te déplaire ? Quoi! ce penchant toujours impérieux,

Ce fentiment involontaire,

L'amour, eft un outrage, une offense à tes yeux ?
Mon crime?.. à chaque inftant, mon cœur le renouvelle.
Plus coupable aujourd'hui, même après tes refus,
Je fens, dans mon âme rebelle,
S'accroître encor des defirs fuperflus.

En vain ta bouche me rappelle

Que tu ne m'eftimeras plus:

Je ne puis commander à mes fens trop émus;
Et je ne réfléchis que pour te trouver belle.

Que dis-je ? cette nuit, quand un repos flatteur,
Par une illufion (le charme de mon âme!)

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