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Je n'y dois mes vertus qu'à ta funefte absence,
Et j'y maudis cent fois ma pénible innocence.

Moi! dompter mon amour, quand j'aime avec fureur! Ah! ce cruel effort eft-il fait pour mon cœur?

Avant que

le repos puiffe entrer dans mon âme,
Avant que ma raison puiffe étouffer ma flamme,
Combien faut-il encor aimer, fe repentir,
Defirer, efpérer, défefpérer, fentir,

Embraffer, repouffer, m'arracher à moi-même,
Faire tout; excepté d'oublier ce que j'aime!
O funefte afcendant! ô joug impérieux!

Quels font donc mes devoirs & qui fuis-je en ces lieux?
Perfide!... de quel nom veux-tu que l'on te nomme ?
Toi, l'Epouse d'un Dieu, tu brûles pour un homme!
Dieu cruel! prends pitié du trouble où tu me vois:
A mes fens mutinés ofe impofer tes loix.

Tu tiras du cahos le Monde & la lumiére ;
Eh bien! il faut t'armer de ta puiffance entiére.
Il ne faut plus créer... il faut plus en ce jour;
Il faut dans Héloïfe anéantir l'amour.

Le pourras-tu, grand Dieu ? mon défespoir, mes larmes
Contre un cher ennemi te demandent des armes;
Et cependant, livrée à de contraires vœux,
Je crains plus tes bienfaits que l'excès de mes feux.

Tome II,

C

Chères fœurs, de mes fers compagnes innocentes,
Sous ces portiques faints, colombes gémiffantes,
Vous, qui ne connoiffez que ces froides vertus,
Que la Religion donne... & que je n'ai plus;
Vous qui, dans les langueurs d'un efprit monastique,
Ignorez de l'Amour l'empire tyrannique;

Vous enfin qui, n'ayant que Dieu feul pour Amant,
Aimez par habitude, & non par fentiment:
Que vos cœurs font heureux,puifqu'ils font infenfibles!
Tous vos jours font fereins, toutes vos nuits paifibles:
Le cri des paffions n'en trouble point le cours.
Ah! qu'Héloïfe envie & vos nuits & vos jours!
Héloïfe aime & brûle au lever de l'Aurore,

Au coucher du Soleil elle aime & brûle encore, (a)
Dans la fraîcheur des nuits elle brûle toujours:
Elle dort, pour rêver dans le fein des amours.

(a) In tantùm illæ, quas pariter exercuimus, amantium voluptates dulces mihi fuerunt, ut nec mihi difplicere, nec vix à memoriâ labi pof fint. Quocumque loco me vertam, femper fe oculis meis cum fuis ingerunt defideriis nec etiam dormienti fuis illufionibus parcunt. Nec folum qua egimus, fed loca pariter & tempora, in quibus hæc egimus ita tecum noftro fixa funt animo, ut in ipfis omnia tecum agam nee dormiens etiam ab iis quiefcam.

Ep. 4 Heloif. ad Ab. p. 59.

A peine le fommeil a fermé mes paupières,
L'Amour me careffant de fes aîles légères,
Me rappelle ces nuits chères à mes defirs,
Douces nuits, qu'au fommeil difputoient les plaifirs!
Abailard, mon vainqueur, vient s'offrir à ma vue,
Je l'entends... je le vois... & mon âme eft émue:
Les fources du plaifir fe r'ouvrent dans mon cœur,
Je l'embraffe, il fe livre à ma plus tendre ardeur,
La douce illufion fe gliffe dans mes veines.
Mais que je jouis peu de ces images vaines!
Sur ces objets flatteurs, offerts par le fommeil,
La raifon vient tirer le rideau du réveil.

Ah! tu n'éprouves plus ces fecouffes cruelles,
Abailard; tu n'as plus de flâmes criminelles:
Dans le funefte état où t'a réduit le fort,
Ta vie eft un long calme, image de la mort.
Ton fang, pareil aux eaux des lacs & des fontaines,
Sans trouble, fans chaleur, circule dans tes veines:
Ton cœur glacé n'eft plus le trône de l'Amour.
Ton œil appefanti s'ouvre avec peine au jour ;
On n'y voit point briller le feu qui me dévore:
Tes regards font plus doux qu'un rayon de l'Aurore.
Vien donc, cher Abailard! que crains-tu près de moi?
Le flambeau de Vénus ne brûle plus pour toi.

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Déformais infenfible aux plus douces careffes.
T'eft-il encor permis de craindre des foibleffes?
Puis-je efpérer encor d'être belle à tes yeux ?
Semblable à ces flambeaux, à ces lugubres feux,
Qui brûlent près des Morts, fans échauffer leur cendre,
Mon amour fur ton cœur n'a plus rien à prétendre:
Ce cœur anéanti ne peut plus s'enflammer;
Héloïfe t'adore, & tu ne peux l'aimer.

Ah faut-il t'envier un deftin fi funefte?
Abailard, ces devoirs, ces loix que je détefte,
L'austérité du Cloître & fa tranquille horreur;
A ton cher fouvenir rien n'arrache mon cœur.
Soit que ton Héloïfe, aux pleurs abandonnée,
Sur la tombe des Morts gémiffe profternée;
Soit qu'au pied des autels elle implore fon Dieu;
Les autels, les tombeaux, la majefté du lieu,
Rien ne peut la diftraire; & fon âme obfédée
Ne refpire que toi, ne voit que ton idée.
Dans nos Cantiques faints, c'eft ta voix que j'entends.
Quand fur le feu facré ma main jette l'encens,
Lorfque de fes parfums s'élève le nuage,

A travers fa vapeur je crois voir ton image:
Vers ce phantôme aimé, mes bras font étendus;
Tous mes vœux font diftraits, égarés & perdus

Le Temple orné de fleurs, nos fêtes & leur pompe,
Tout ce culte impofant n'a plus rien qui me trompe.
(a) Quand, autour de l'autel brûlant de mille feux,
L'Ange courbe lui-même un front refpectueux,
Dans l'inftant redouté des auguftes Myftères,
Au milieu des foupirs, des chants & des prières;
Quand le respect remplit les cœurs d'un faint effroi,
Mon cœur brûlant t'invoque & n'adore que toi.

Mais que dis-je,? ô deftin! ô puffance fuprême!
Quelle main me déchire & m'arrache à moi-même ?
Tremble, cher Abailard! un Dieu parle a mon cœur:
De ce Dieu, ton rival, fois encor le vainqueur,
Vole près d'Héloïfe & fois fûr qu'elle t'aime:
Abailard, dans mes bras, l'emporte fur Dieu-même.
Oui, viens ofe te mettre entre le Ciel & moi,
Dispute lui mon cœur... & ce cœur eft à toi.

(a) Inter ipfa Marum folemnia, ubi purior effe debet oratio, efcana earum voluptatum fantafmata ita fibi penitùs miferam captivant animam, ut turpitudinibus illis magis quàm orationi vacem : quæ cùm ingemifcere debcam de commiffis, fufpiro potiùs de amiffis. Non numquam & ipfo motu corporis animi me cogitationes deprehenduntur, nec à verbis temperant improvifis.

Ibid.

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