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ÉPITRE

AU BARON DE W**

OUI, le plus charmant des Barons,

Nous avons vû, dans tes miffives,
Que du climat des Jagellons

Ton cœur revole vers nos rives.

Errant & toujours incertain

Sur le vafte Océan du monde,
Tu ne favois où le deftin
Porteroit ta Nef vagabonde:
Enfin, le vent de la faveur
Au Nord a terminé ta course;
Et mon Camarade a l'honneur
D'être, à-peu-près, Ambaffadeur
Chez les Peuples voifins de l'Ourse.
Pour moi, je ne cours pas fi loin;
Et la fortune opiniâtre

Me laiffe dans le petit coin,

Qu'elle a marqué pour mon théâtre.

J'y refte en fuis-je moins heureux ?
Non; mon Vaiffeau toujours en rade
Ne craint point les tems orageux.
D'ailleurs, j'entrevois dans tes vœux
Que la plus brillante Ambaffade
N'eft fouvent qu'un exil pompeux;
Et que, dans ce monde, il vaut mieux
Être Cafanier que NOMADE (*).
Laiffons ces objets à l'écart.-

Te fouvient-il de la foirée,
Où plaintive, défefpérée,
Ma Mufe pleura ton départ ?
Dès lors, malheureux Politique,

J'ofai prophétifer l'ennui

Qui te fait languir aujourd'hui,

Dans l'éclat d'un rang tyrannique.

(*) C'est le nom qu'on a donné dans l'Antiquité à différens Peu

ples, dont toute la vie & l'occupation étoient de faire paître

leurs troupeaux; & qui

not vient du Grec vouàs

n'avoient point de demeure fixe. Ce ádos; in pafcuis degens.

Toi, t'enfoncer dans les détours,
Dans l'embarras du miniftère?
N'agir, en agiflant toujours,
Que pour une cause étrangère ;
Et déformais n'ofer rien faire
De ce qui charmoit tes beaux jours ?
Je fais bien qu'une âme élevée
Ne s'endort point dans les loifirs;
Et que l'élan de fes defirs

D'une fcène obfcure & privée
Lui fait dédaigner les plaifirs.
Mais toi, qu'un goût fage & paisible
Appelle à l'amour des beaux Arts;
Toi, que j'ai vû, dans nos remparts,
Moins ambitieux que fenfible;
Se peut-il qu'un trompeur éclat
Ou t'éblouiffe, ou t'en impose:
Et ton orgueil trop délicat
Croit-il, pour être quelque chofe,
Qu'il faille être un homme d'État?
Toute grandeur eft une entrave.
Daigne analyser, avec moi,
Les priviléges de l'emploi

Qui te rend aujourd'hui fi grave.

Malheureux! tu veux faire un Roi?

Mais, en es-tu moins un Efclave?
Ah! fi jamais la liberté,

Avec fa lime bienfaisante,

Brife de ta captivité

La chaîne honorable & pefante;

Revien, dans notre Comité,
Jouir d'une félicité

Auffi pure qu'indépendante.

Je ne fuis qu'un des nourriffons A qui les Mufes, dans leur Temple, Donnent quelquefois des leçons;

Mais au plus chéri des Barons.

J'ofe me citer pour exemple.

Dans des effais affez brillans,

Je fçus captiver le fuffrage

De ces petits, qu'on nomme Grands:
J'allai leur présenter l'hommage
Des prémices de mes talens:
J'obtins des regards careffans,
Des promeffes, felon l'ufage.
J'en euffe obtenu d'avantage,
En proftituant mon encens :
Mais je leur fis ma cour en fage;

Et

Et je fus fier à mes dépens.
Quoi, ma Mufe deshonorée
Auroit donc baffement flatté
Ou la fougue inconfidérée
D'un petit Marquis éventé,
Ou l'impertinence titrée
D'un Duc, dont la ftupidité
Se fût fottement ennyvrée
Du nectar doux & frelaté
D'une louange préparée
Pour abreuver fa vanité?
J'aurois effuyé les caprices,
Le fot orgueil d'un Protecteur
Qui, pour quelques légers fervices,
M'auroit rendu l'adulateur

Et le complaifant de ses vices?
Non, Baron; j'abandonne aux fots
Et ce manége & cette honte:
La fortune en fera moins prompte
A récompenfer mes travaux,
Je le fais; mais le tems la dompte.
Enfin, je chéris mon repos:
J'ai des Amis, non des Héros;

Et je vis pour mon propre compte.

Tome II.

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