Imágenes de páginas
PDF
EPUB
[blocks in formation]

Tu mihi curarum requies, tù noce vel atra
Lumen; & in folis tu mihi turba locis.
T.b. Lib. IV El. 13.

I I I.

QUE je les plains, ces cœurs infenfibles & froids,

A des plaifirs fans goût abandonnés fans choix,
Qui, d'un monde frivole embraffant les fyftêmes,
Savent jouir de tout & non jouir d'eux-mêmes!
Je le fens; les plaifirs de la Société

Ne font que dans Faccord d'un cercle limité.
Au fein de la Nature, & loin d'un vain tumulte,
Il faut que, quelquefois, notre âme fe confulte.
Dans la foule brillante, on eft trop loin de foi:
J'aime à philofopher, à penfer avec moi.
L'Amitié, de l'Amour cette aimable rivale,
Moins vive, & cependant, quelquefois fon égale,

L'Amour & l'Amitié ( je les aime tous deux )
Suffifent au bonheur de qui fçait être heureux.
Une Amante, un Ami, que le penchant nous donne,
Une Amante qui plaît, un Ami qui raisonne,
Différemment aimés, mais également chers,
Nous tiennent lieu de tout & font notre univers.
Qu'ai-je befoin d'aller adorer la fortune,

Chez un grand qui m'ennuie ou bien que j'importune?
L'humiliant appui dont il croit m'honorer,

La faveur qu'il me vend & qu'il faudra pleurer,
Son coup-d'œil dédaigneux, l'orgueil de fon fourire
Scroient-ils plus pour moi qu'un regard de Zelmire?

Non, Zelmire; mon cœur met dans l'égalité
Son fuprême plaifir & fa félicité.

C'est dans l'heureux féjour, d'où l'hyver nous exile,
Que j'ai joui d'un ciel toujours pur & tranquille.
Là, mes jours, commencés & finis près de toi,
N'étoient qu'un court cfpace & qu'un moment pour moi.
Les ris en partageoient les heures fortunées,
Que de fi doux momens ne font-ils des années!
Là, les nuits, mille fois plus belles que les jours,
Dans le fein des Plaifirs appelloient les Amours:

J'aurois voulu, cent fois, les prolonger encore.
Quel Amant ne craint point le retour de l'Aurore?
Couvert de tes baisers, embrâfé de tes feux,
Après de telles nuits, eft-il un jour heureux ?
Dui, fans doute, il en eft; la Beauté que l'on aime
Pourroit donner un charme à l'infortune même.

Le matin, quand l'yvoire affemblant tes cheveux,
Sur ton front calme & pur en difpofoit les noeuds,
Tes traits, dans le miroir, réfléchis à ma vue
Infpiroient à mon âme une joye inconnue :
La glace, en répétant les rayons de tes yeux,
Augmentoit mes plaifirs, multipliés comme eux.

Je crois me voir encor auprès de mon Amante, Écouter les leçons de fa bouche charmante, Tracer fur le papier le lointain d'un côteau; Sur les plans avancés deffiner un hamcau, D'arbres & de buiffons ombrager les terraffes, Des rochers inégaux varier les furfaces; Et d'un cadre fans luxe entourant le deffein, Me préfenter à toi, mon ouvrage à la main. La tienne alors, la tienne intelligente & fûre De mes arbres trop ronds découpe la verdure,

A

Divife les rameaux,

fait jouer au travers

Et les maffes de l'ombre & les brillans des éclairs,
C'eft ainfi que Zeuxis fut enseigné peut-être :

Tous les talens, je crois, ont eû l'Amour pour maître.

Ah! quand viendra le tems où ton maître,à mon tour, J'affocirai pour toi les Mufes à l'Amour;

Où, formant ton oreille aux accords de la Lyre,
Dans l'art brillant des Vers ma voix pourra t'inftruire?
Zelmire, tu le fais; cet Art eft l'art du cœur:
Il donne la penfée, & l'efprit la couleur.
L'aimable fiction eft le fruit du Génie ;
Et l'oreille, en un mot, cadence l'harmonie.
Puiffe de tes effais l'Amour être l'objet !
Il anime les vers dont il eft le fujet.
Nous aurons deux talens pour peindre la Nature.
La touche de la plume eft également fûre:
Elle ne cède point à l'effort des pinceaux,
Et fçait tracer auffi d'agréables tableaux.
Elle offre à nos regards la clarté matinale
Que répand, dans les Cieux, l'Amante de Céphale;
Elle peint ce jour doux, qui fuit un plus beau jour,
Le lever du Soleil, fon coucher, son retour,

La nuit s'enveloppant de l'ombre de fes voiles,
La lampe de Diane & le feu des étoiles:

Elle peint les forêts, les fleurs, les prés, les champs,
Les couleurs des oifeaux, feurs amours & leurs chants,
Qu'on fe plaît à tracer ces brillantes images!
L'Univers fut toujours le fpectacle des Sages.
Trop heureux, quand je puis, par quelques fentimens,
Donner encore une âme à ces tableaux charmans,
Chanter les doux plaifirs que l'Amour me procure;
Et parler de Zelmire, en peignant la Nature!
L'art de vivre n'eft point celui de végéter:
Contempler l'Univers & le repréfenter,

Savoir, en t'aimant bien, dire bien que je t'aime,
Voilà, pour ton Amant, la volupté fuprême.
Trop content quand il peut, dans le fein du bonheur,
N'occuper que de toi fon efprit & fon cœur,

« AnteriorContinuar »