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Ménagemens cruels, autant que fuperflus!
J'exifte, pour fentir que je n'existe plus.

O Mort! m'as-tu frappé, fans pouvoir me détruire?
L'Homme eft anéanti dans l'Homme qui rcfpire;

Et de l'humanité ce qui furvit en moi
Fait rougir la Nature & la glace d'effroi.
Image affreuse hélas ! que tu m'as retracée!...
Crains-tu qu'elle n'échappe à ma trifte pensée?
Tu me crois donc heureux par mes propres malheurs?
Va, mes lâches bourreaux & tes perfécuteurs,
En flétriffant les fens de leur foible victime,
N'ont pu dénaturer le cœur qui les anime:
C'eft au fond de ce cœur qu'ils devoient te chercher;
C'est ce cœur, en un mot, qu'il falloit m'arracher.

Depuis l'inftant cruel, où, dans fa rage extrême,
Le fort m'a pour jamais féparé de moi-même,
Toujours enfeveli dans l'ombre des déferts,
J'ai dérobé ma honte aux yeux de l'Univers;
Et toi-même, Héloïfe, abandonnant ce monde,
Tu cachois ta douleur dans une nuit profonde.
J'ai crû que devant Dieu ton cœur humilié
Oublioit un Amant digne d'être oublié ;

Et qu'enfin, ramenée à ton indifférence,

Tu vivois plus tranquille, au fein de l'innocence. Je l'ai crû!... Cette idée, en des tems plus heureux, Auroit livré mon âme à des tourmens affreux; Aujourd'hui, je voudrois qu'elle adoucît ma peine: Mon cœur, à ton amour préféreroit ta haîne... Voi combien cet amour accroît mon défespoir! Déjà docile au joug d'un rigoureux devoir J'embraffois fans effort des vertus mercenaires : Dieu même, plus fenfible à mes larmes amères, Au pied de fes Autels, dans le fein de la paix Sur mon cœur affligé répandoit fes bienfais: Je me flattois, enfin, que fa main confolante Verfoit les mêmes dons fur ma plaintive Amante.... Douce & trompeufe erreur, dont j'ai trop peu joui! Mon bonheur commençoit; il s'eft évanoui. Ta lettre, cette lettre où ton âme exprimée

;

A peint toute l'ardeur dont elle eft confumée
Cette lettre brûlante a porté dans mes fens
Ces defirs, autrefois fi vifs & fi puiflans...
Trop cruelle Héloïfe! ah! pourquoi ta tendreffe
N'a-t-elle pas du moins ménagé ma foibleffe?
Pourquoi montrer encor à mes yeux entr'ouverts
L'image de ces biens qui me furent fi chers;

Et pourquoi rappeller à mon âme fenfible

D'un bonheur, qui n'eft plus, le fouvenir horrible?
Toi-même, tu l'as dit: ton malheureux Amant,
Par fes perfécuteurs privé du sentiment,

N'eft plus qu'un spectre vain,n'eft plus qu'une ombre errante,
Déformais infenfible aux baifers d'une Amante:
Et cependant, en proye à tes brûlans defirs,
Ton cœur à cet Amant demande des plaifirs?
Tu brûles de le voir, quand fa vue importune
Ne peut que te montrer toute fon infortune;
Quand lui-même, preffe par tes embraffemens,
Ne pourroit, dans tes bras, fentir que des tourmens!
Epargne à tous les deux ce fupplice barbare:
L'excès de ton amour & t'abuse & t'égare...

ARMIDE

A

RENA UD, HÉROÏ D E.

Come nemico almeno ascolta: i preghi
D'un nemico talor l'altro riceve.

La Gerufalemme liberata, Cant. 16. St. 44.

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