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AVERTISSEMENT.

LE

AVÉRTISSEMENT.

E fuccès de la Lettre d'Héloïfe à Abailard m'a déterminé à faire un nouvel effai, fur ce genre de Poéfie prefque inconnu dans notre langue. Ovide en a fixé le caraâère par le nom d'Héroïde qu'il lui a donné. Il prend pour fujet les amours des Héros ou des Perfonnages illuftres ; & il diffère, en cela feulement, de l'Elégie, qui ne chante ordinairement que les amours des Bergers. Cette derniere en gémiffant fur des paffions chimériques & de pure imagination, s'eft décréditée par fa froideur : l'Héroïde a cet avantage fur elle, que s'appuyant fur des faits hiftoriques ou fur une fidion reçue, elle a néceffairement plus de chaleur & plus d'intérêt.

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L'Epifode admirable d'Armide à Renaud, dans la Jérufalem Délivrée, m'a fourni la fable & les fituations. Je n'ai aucun doute fur la bonté de mon fujet, puifqu'il eft celui du chef-d'œuvre de notre Scène Lyrique. On pourroit cependant m'objecer qu'il eft trop connu ; & qu'un Poëme & un Opera doivent l'avoir épuisé. J'ai fuivi l'exemple d'Ovide qui d'après Virgile, a fait fa Lettre de Didon à Enéc Tome II.

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& qui s'eft copié lui-même dans celle de Médée à Jalon: il avoit fait une Tragédie fur ce fujet, qui n'est point parvenue jufqu'à nous. J'ai donc, comme lui, rassemblé dans une feule Lettre & sous un même point de vue, les différentes parties d'un Episode repandues dans un Poëme. Heureux, fi j'ai mis à profit les beautés de mon modèle ; & fi le fuffrage du Public m'enhardit à confacrer quelques veilles à ce genre de Poéfie!

ARMIDE

A

RENAUD,

HÉROÏD E.

FAROUCHE Européen, qui, des rives du Tibre,

Viens, au fein de la paix, troubler un peuple libré;
Et qui, dans tes fureurs, nous préparant des fers,
Veux à tes préjugés foumettre l'Univers;
Déteftable Croifé, Chrétien lâche & perfide,
Tremble, cruel Renaud, connoi les traits d'Armide:
Tremble. Ce ne font plus ces chiffres amoureux,
L'un dans l'autre enlacés & garants de nos feux :
Ce n'eft plus cette Armide à tcs loix enchaînée...
C'est Armide en fureur, Armide abandonnée;
Et, pour te peindre encore un plus preffant danger,
C'eft Armide outragée, & qui veut fe venger.

Doutes-tu que cet Art, dont le pouvoir fuprême
Commande à la Nature, aux Enfers, au Ciel même,
Et qui, par l'ascendant d'un charme impérieux,
Rend un foible Mortel plus puiffant que les Dieux;

Doutes-tu que cet Art, qu'employa ma tendreffe Ne ferve également ma furcur vengereffe?

Quoi! fous le ciel épais des plus affreux climats Sous des monts couronnés par d'éternels frimats; Sous ces pôles glacés où, froide & moins féconde, La Nature languit aux limites du Monde, J'aurai pû, dans des lieux fauvages & déferts, Créer pour mon Amant un nouvel Univers; Et je ne pourrai pas, quand le traître m'outrage, Ainfi que mon Amour, faire éclater ma rage? Non, non contre un ingrat armons les élémens, Effrayons, par fa mort, les volages Amans; Et que percé de coups, fous les murs de Solyme, L'infidèle Renaud expire ma victime...

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Malheureuse! cù m'égare un défefpoir mortel? Tu ris de mon courroux : Ah! tule pcux cruel. Sans doute, tu fais trop qu'une Amante timide Tremblante & défarmée à l'afpect d'un perfide, Foible encor pour l'objet de fon amour trahi, Sent qu'il eft regretté bien plus qu'il n'eft haï. Moi, me venger! de qui? d'un mortel que j'adore, Qui me fuit; mais, hélas! que j'idolâtre encore? Non, Renaud, ne croi pas qu'Armide, en fa fureur Achète la vengeance au prix de fon bonheur.

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