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Il eft vrai: quand l'Europe, à nous perdre animée,
Déploya fes drapeaux dans les champs d'Idumée ;
Quand tes lâches Chrétiens, fanatiques cruels,
Vinrent venger leur Dieu dans le fang des mortels;
Tremblante pour nos murs, tremblante pour mon pere,
Je jurai, dans l'ardeur d'une jufte colere,
De purger à jamais nos États opprimés

De ces pieux brigands, au meurtre accoutumés.
En invoquant les Dieux des rives infernales,
Bientôt j'allai femer, dans vos tentes fatales,
Cet efprit de difcorde & de rivalité,
Qu'entre les Héros même excite la beauté.
De vos chefs imprudens les âmes divifées
Offrirent à mes vœux des conquêtes aisées;
Et je traînai captifs, aux prifons de Damas,
Ces fuperbes Chrétiens enchaînés fous mes pas.
Toi feul, cruel Renaud, dans ces jours de ma gloire,
A mon cœur indigné difputas la victoire;
Et jettant fur Armide un coup-d'œil dédaigneux,
Tu préféras la guerre & fes plaifirs affreux.
Tu fis plus: non content d'infulter à mes charmes,
Tu tournas contre moi tes invincibles armes :
Des efclaves Chrétiens ta main brifa les fers.
Ma honte, mon dépit remplirent l'Univers.

Armide, dans ces tems, à la haîne livrée,
Contre un fier ennemi juftement déclarée,
Etoit loin de prévoir que tu devois un jour
Ecrafer fon orgueil fous le joug de l'amour.
Ah! lorfqu'abandonnant le fein de ta patrie,
Tu portois le ravage aux champs de la Syrie,
Quand le foufle infecté de ta noble fureur
D'une furcur égale empoifonnoit mon cœur ;
Aurois-je pû penfer que, pour toi plus humaine,
J'allumerois l'amour aux flambeaux de la haîne ?

J'avois juré ta mort: au gré de mon courroux,
Un fommeil imprudent te livroit à mes coups:
Ah! Dieux! pourquoi ma main, dans cet instant funeste,
N'ofa-t-elle percer un cœur qui me détefte?
J'ai frémi, malheureufe ! & j'ai craint de frapper.
Mon bras, en t'immolant, pouvoit-il fe tromper?
C'étoit Renaud, Renaud, ce guerrier indomptable,
Ce foldat de Dudon, ce Héros redoutable,
Ce deftructeur barbare, armé contre les miens,
L'efiroi des Mufulmans & l'appui des Chrétiens.
Mais Renaud n'avoit point cette armure terrible,
Ce cafque enfanglanté, qui le rend invincible;
Qui, le cachant alors fous fon panache affreux,
Lut enhardi mon bras, en abufant mes yeux.

J'aurois bravé Renaud fous le poids de fes armes;
Mais Renaud défarmé n'eut pour moi que des charmes,
Tant d'attraits brillent-ils au front d'un ennemi ?
Je crois te voir encor fous un myrte endormi,
Les yeux appefantis, fermés à la lumiere,
Mêlant aux doux zéphirs ton haleine légere,
Sur un tapis de fleurs négligemment couché,
(Tel qu'un jeune arbriffeau vers la terre penché)
Le front à découvert, la bouche à demi-close,
Charmant ; femblable, enfin, à l'Amour qui repofc.
Tes blonds cheveux flottoient à l'aventure épars:
Un Dieu fembloit alors s'offrir à mes regards.

Dans mes mains cependant le poignard étincelleg
Je m'élance vers toi... je frémis... je chancelle:
Déjà je ne veux plus ni frapper, ni punir:
J'aime Renaud ; je l'aime !.. Ai-je pû le haïr?
Quelle étoit mon erreur ! Renaud cft tout aimable.
Ce n'eft plus ce Chrétien, ce mortel méprifable,
Ce foldat fanatique & crucl tour-à-tour,
Ce n'eft plus mon tyran: c'eft Renaud, c'eft l'Amour...
Mais que vois-je ? fon front eft couvert de pouffière:
L'ardeur du jour le brûle. O Cicl! que vais-je faire?

(a) Une horrible fueur déjà le fait pâlir...
A..! qu'un baifer l'effuye... (Eit-il fait pour fouffrir')
Reçoi, mon cher Renaud, ce doux baifer d' Armide :
Ce n'eft plus la fureur, c'est l'amour qui la guide.
Il dort!.. Vents, taifez-vous; refpectez fon fommeil.
Dieux! qu'il fera charmant à l'inftant du réveil !
Il va me préférer à l'Europe, à la Terre:
11 eft fait pour l'amour & non pas pour la guerre.
Four l'amour! mais Renaud eft né mon ennemi!
Il est vrai... Mais Renaud, dans fa haîne affermi,
Pourroit-il?.. Je crains tout... Enchaînons ma conquêtę:
Loin du camp des Chrétiens que le plaifir l'arrête.
Que ce tiffu de fleurs, celui de mes cheveux,
Le ferrent, dans mes bras, de mille & mille noeuds.
I artons ; & dans un char traverfant l'Empirée,
Tranfportons mon Amant dans une Ifle ignorée,
Où mon amour jaloux foit certain de fa foi;
Cù je fois toute à lui, comme lui tout à moi.

(a) E quei, ch'ivi forgean, vivi fudori
Accoglie lievemente in un fuo velo:
E, con un dolce ventilar, gli ardori
Gi va temprando dell' eftivo Cielo.

Geruf. Liber. Cant. 14. St. 67.

J'arrive : la Nature, en partageant ma joye,
Sur d'arides rochers s'embellit, fe déploye;
Et fe reproduifant, au gré de mon amour,
Du plus affreux défert fait le plus beau féjour.

Au moment du réveil, quelle fut ta surprise! Aux pieds de fon vainqueur Armide étoit affife. Cette fiere Princeffe, Armide, dont le bras, Quelques inftans plutôt, s'armoit pour ton trépas, Redoutant à fon tour de te voir infléxible, Paroiffoit implorer le Dieu le plus terrible; Et me livrant entiere à de juftes frayeurs, J'embraffois tes genoux arrofés de mes pleurs. » Cher Renaud, t'ai-je dit, tu vois couler mes larmes : >> Puiffent-elles fur toi ce que n'ont pû mes charmes! » Je t'aime, je t'adore ; & mon cœur enflammé, >> Pour prix de fon amour, demande d'être aimé. » Au trône de Solyme en vain ton bras aspire; » Renonce à cet espoir : je t'offre un autre Empire, » Un Empire plus doux & plus digne de toi, » L'empire de mon cœur que je livre à ta foi. Quitte ce fer horrible & cet airain barbare; Laiffe agir le Croiffant, le Sceptre & la Tiare: » Abandonnons au fort ces intérêts divers. » Ce Palais, ces jardins; voilà notre Univers.

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