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SEPTIEM E

DISCOURS

SUR

L'HISTOIRE ECCLÉSIASTIQUE.

1: Jurifdiction el

Es différends entre les eccléfiaftiques & les laïques touchant la
jurifdiction, ont été fi fréquens depuis le douzième fiécle, que
j'ai cru les devoir examiner dans un difcours particulier. Pour fentielle à l'église.

en juger fainement, il faut commencer par bien connoître la jurifdic-
tion propre & effentielle à l'églife, & la diftinguer foigneufement des ac-
ceffoires qu'elle a reçus de tems en tems, foit par les conceffions des
princes, foit par des coutumes introduites infenfiblement. Il faut auffi
convenir de bonne foi, que dans les derniers fiécles la puiflance ecclé-
fiaftique & la féculiére ont fouvent entrepris l'une fur l'autre.

La jurifdiction eflentielle à l'églife eft celle que Jefus-Chrift a donnée à fes apôtres, en leur difant après fa résurrection: Toute puiffance m'a été donnée au ciel & en la terre. Allez donc, inftruisez toutes les nations & les baptifez leur enfeignant d'obferver tout ce que je vous ai ordonné. Vous voyez à quoi il réduit l'exercice de cette toute-puiffance qu'il a reçue de fon Pere, à l'inftruction, & l'administration des facremens la doctrine comprend les myfiéres & les règles des mœurs les facremens font tous défignés par le baptême. Dans ce même intervalle entre la réfurrection & l'afcenfion, il dit à fes apôtres : Comme mon Pere m'a envoyé, je vous envoie auffi; puis il fouffla fur eux & leur dit: Recevez le faint-Efprit: ceux dont vous remettrez les péchés, ils leur font remis, & ceux dont vous les retiendrez, ils leur font retenus; leur donnant ainfi le pouvoir de fier & de délier, qu'il leur avoit déja promis pendant fa vie mortelle. Je ne parle ici que des pouvoirs ordinaires & perpétuels, néceffaires pour conferver l'églife jufqu'à la fin des fiécles: c'eft pourquoi je ne dis rien des dons furnaturels, langues, prophéties, guérisons & autres miracles, fi fréquens pendant les trois premiers fiécles.

Or ces pouvoirs que J. C. a conférés à fon églife, ne regardent que les biens fpirituels, la grace, la fanctification des ames, la vie éternelle. Lui-même étant fur la terre n'en a pas exercé d'autres. Il n'a voulu prendre aucune part au gouvernement des chofes temporelles

Tome XIV.

Matth.

xxvIII. 18,

Jo. XX. 21

Mauh

XVIII. 18

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Luc. XII. 14.

Jo. XVIII, 36.

'De vera relig.

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jufqu'à refufer d'être arbitre entre deux freres pour le partage d'une fucceffion; difant, Qui m'a établi pour vous juger? Il eft vrai qu'il eft roi; mais fon royaume, comme il a dit lui-même n'eft pas de ce monde, il est d'un ordre plus élevé. Il ne veut régner que fur les cœurs, par la crainte filiale de fes sujets, le respect & l'amour qu'ils lui portent. Il ne veut que les rendre meilleurs, il n'exige d'eux autre tribut que des louanges, des actions de graces, l'adoration en efprit & en vérité. Tel eft le royaume de J. C.

Pour l'établir, il n'a employé que des moyens convenables à la no bleffe de fa fin. Il n'a rien fait par force, dit S. Auguftin, mais tout par perfuafion; & pour perfuader, il n'a pas employé, comme les philofophes, de longs raifonnemens dont peu d'hommes font fufceptibles; mais des miracles, qui font à la portée de tout le monde, pro pres à attirer l'attention & à fonder l'autorité. Il a communiqué à fes difciples ce pouvoir de faire des miracles', & d'en communiquer le pouvoir à d'autres autant de tems qu'il a jugé convenable pour établir suffilamment l'autorité de fon églife.

Cette autorité eft le fondement de la jurifdiction eccléfiaftique, qui confifte à conferver la faine doctrine & les bonnes moeurs. La doctrine fe conferve en établissant des docteurs pour la perpétuer dans tous les fiécles, & en réprimant ceux qui la voudroient altérer. Or Téglife a toujours exercé ce droit, enfeignant la doctrine qu'elle a reçue de J. C. & ordonnant des évêques qui en font les principaux docteurs ; & qui pour leur aider ont ordonné, outre les prêtres, des diacres & d'autres miniftres inférieurs tout cela malgré l'oppofition des infi dèles, & pendant les plus cruelles perfécutions. Saint Paul dans fes chaînes ne laiffoit pas d'enfeigner; & la parole de Dieu, comme il dit lui-même, n'étoit pas enchaînée. Il fçavoit auffi réprimer & châtier les faux docteurs, comme Hymenée & Alexandre, qu'il livra à Hier.fcript. in Luc. Satan à caufe de leurs blafphêmes; & l'apôtre faint Jean dépofa le prê. tre qui avoit fabriqué l'histoire des voyages de faint Paul & de fainte Thècle.

Ti Tim. 1. 20.

Comme, dans le gouvernement temporel, le premier acte de jurifdiction eft l'inftitution des magiftrats, des juges & des miniftres de juftice ainfi l'ordination des évêques & des clercs eft le premier acte & le plus important du gouvernement eccléfiaftique. Auffi avez vous vu dans toute cette hiftoire, avec quelle attention & quelle circonfpection on ordonnoit les évêques pendant les neuf ou dix premiers fiécles j'en ai marqué le détail au fecond difcours, où j'ai relevé cette Cypr. epift. 67. parole de faint Cyprien, qu'un évêque ordonné canoniquement eft établi par le jugement de Dieu. L'évêque une fois établi ordonnoit les prêtres & les autres clercs, mais avec le confentement de fon clergé & de fon peuple; & toujours pour un titre certain c'eft-à-dire pour fervir dans une certaine églife d'où eft venue la collation des bénéfices, depuis le partage des revenus eccléfiaftiques.

ad Hifp.

L'autre partie de la jurifdiction, qui tend à la confervation des bonnes mœurs, s'exerce principalement par l'adminiftration de la péniten

ce: où le prêtre prend connoiffance des péchés comme juge, pour fçavoir s'il les doit remettre ou les retenir, lier ou délier le pécheur. Voyez encore ce que j'en ai dit au fecond difcours, où j'ai montré que l'églife n'impofoit que des peines médecinales, & à ceux qui les acceptoient volontairement: fe contentant de prier pour les indociles & les endurcis, qu'elle fe trouvoit quelquefois obligée à retrancher de fon corps, de peuils n'infectaffent les autres. J'ai marqué dans le troifiéme difcours deux abus très - nuifibles à la pénitence, la multiplication exceffive des peines canoniques, & les pénitences forcées. Or je vous renvoie à ces difcours fur l'hiftoire, pour éviter les redites.

Une autre partie de la jurifdiction eccléfiaftique, qu'il falloit peutêtre placer la premiére, c'eft le droit de faire des loix & des réglemens, droit effentiel à toute fociété. Ainfi les apôtres, en fondant les églifes, leur donnérent des règles de difcipline, qui furent long-tems confervées par la fimple tradition, & enfuite écrites fous le nom de canons des apôtres & de conftitutions apoftoliques. Les conciles qui fe tenoient fréquemment, faifoient auffi de tems en tems quelques réglemens; & c'est ce que nous appellons les canons, du mot grec qui fignifie règle.

Comme un des devoirs des évêques étoit de conferver l'union & la charité entre les fidèles, ils avoient grand foin d'appaifer les querelles, de terminer ou prévenir les différends: du moins ils exhortoient ceux qui leur étoient foumis, à les régler entr'eux à l'amiable, fans plaider devant les juges ordinaires qui étoient païens. Saint Paul en fait un grand reproche aux Corinthiens; & dit, que les plus méprifables d'entr'eux ne font que trop bons pour juger leurs affaires temporelles tant ils doivent faire peu de cas de ces fortes d'affaires ; & prendre garde de ne pas fcandalifer les Païens, en plaidant pour de petits intérêts comme les autres hommes. Vous avez déja tort, continue l'Apôtre, d'avoir des procès que ne fouffrez-vous plutôt l'injuftice & la fraude? & làdeffus il leur fait une puiffante exhortation touchant le défintéreffement & l'éloignement de l'avarice. Ainfi quand Jefus-Chrift refufa d'être arbitre entre les deux freres, il en prit occafion d'inftruire le peuple fur le mépris des biens temporels.

Or quoique, felon S. Paul, les moindres des laïques puffent être pris pour arbitres de leurs freres, c'étoit toutefois l'évêque qu'ils choififfoient ordinairement, comme leur pere commun; & l'on voit la forme de ces jugemens charitables dans le livre des conftitutions apoftoliques, écrit avant la fin des perfécutions. L'évêque étoit affis au milieu des prêtres; comme un magiftrat affifté de fes confeillers : les diacres étoient debout, comme fervant d'appariteurs, ou miniftres de juftice: les parties se préfentoient en perfonne, & s'expliquoient par leur bouche, L'affaire étoit examinée fimplement & de bonne foi, fans formalités rigoureuses, & décidée fuivant la loi de Dieu, c'eft-à-dire, les fainLes écritures. Le juge avoit égard à la qualité des parties, principale ment à leurs mœurs, pour ne donner lieu ni à la calomnie ni à la chi

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1. Tim. II, 8.

III.

Conciles;

Ep.19.

Can. 5.

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cane; & non content de juger l'affaire au fonds en déclarant ce qui étoit jufte, il s'efforçoit d'en perfuader les parties, les faire acquiefcer à fon jugement, les réconcilier parfaitement, & les guérir de toute aigreur & de toute animofité. C'est pourquoi l'audience de l'évêque fe tenoit le lundi, afin que les parties euffent le refte de la femaine pour calmer leurs paffions; & que, le dimanche fuivant, ils puflent dans leurs priéres lever à Dieu des mains pures, comme dit l'Apôtre

Les affaires plus importantes, comme les plaintes contre les évêques mêmes, fe jugeoient dans les conciles provinciaux qui fe tenoient réguliérement deux fois l'an, à moins que la perfécution ouverte ne l'empêchât; & au-deffus de ces conciles, il n'y avoit point de tribunal ordinaire. Saint Cyprien, parlant des Chrétiens qui étoient tombés dans la perfécution, dit: Qu'ils attendent la paix publique de l'églife, afin que, dans une affemblée de plufieurs évêques, nous puiffions tout régler d'un commun avis. Le concile de Nicée, tenu au commencement de la liberté de l'églife, ordonne deux conciles par an: ce qui femble montrer que c'étoit déja la coutume de les tenir fréquemment.

Telle eft donc la jurifdiction effentielle à l'églife, comme elle l'a reçue de Jefus-Chrift; le foutenant par elle-même, fans aucun fecours de la puiffance féculiére; & fe contenant dans fes bornes, fans rien entreprendre fur le temporel. Elle fe conferva dans cette pureté pendant les trois premiers fiécles fous les empereurs païens; & jamais l'églife ne fut plus forte ni plus heureuse, c'est-à-dire, plus floriffante en tou •tes fortes de vertus, qui eft l'unique bien que Jefus-Chrift lui a promis en cette vie. Les fondemens de cette jurifdiction étoient l'autorité des pafteurs & la foi des peuples. Les pafteurs s'attiroient du refpect par feur doctrine & leurs vertus: les peuples ne connoiffoient point de plus grand mal en cette vie, que d'être retranchés de l'églife & privés de la communion des faints. S'ils n'en étoient pas touchés rien ne les empêchoit de retourner au paganisme mais tant qu'ils demeuroient chrétiens, rien ne leur étoit plus précieux que la grace de Dieu & l'efpérance des biens éternels.

Ce fut par cette autorité purement fpirituelle, que l'églife combattit & réprima tant d'héréfies, qui s'élevérent dans les premiers fiécles: les Nicolaïtes, les Gnoftiques de diverfes fortes, les Ebionites, les Valentiniens , les Encratites, les Marcionites. On n'employa contr'eux que Finftruction, les conférences charitables ; & une fermeté invincible à n'avoir aucun commerce avec les incorrigibles, fuivant le précepte de S. Paul.

Or, encore que l'églife n'eût pas befoin de la puiffance temporelle pour l'exercice de fa jurifdiction: toutefois elle n'en refufoit pas le fecours, même de la part des Païens. On le voit dans l'affaire de Paul de Samofate, qui, après avoir été dépofé du fiége d'Antioche, ne laifHift. liv. vIII. x. foit pas d'y demeurer fous la protection de la reine Zenobie: jufqu'à ce que l'empereur Aurelien, à la prière des Chrétiens, le fit chaffer de la maison épifcopale,

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