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XV.

Jurifdiction de l'églife Grecque. 4. Difc, n. 8.

partie de leurs revenus confifte dans les émolumens de la juftice. Ce n'é toit pas par ce motif que faint Auguftin, & les autres évêques des premiers fiécles, fe donnoient tant de peine pour terminer les différends des fidèles; auffi ne mettoient-ils pas la gloire de l'épifcopat dans les richeffes & la pompe extérieure. L'archevêque conclud que les droits une fois acquis à l'églife appartiennent à Dieu, comme les autres biens qu'elle pofféde, & ne peuvent plus lui être ôtés fans facrilége.

La difpute de Pierre de Cugniéres contre les prélats ne produifit rien, & augmenta plutôt l'animofité des deux parties, qu'elle ne la diminua: en forte que les entreprifes continuérent de part & d'autre. Or je borne ici mes réflexions fur cette matiére, jufqu'à ce que la fuite de l'histoire m'en fourniffe de nouvelles fur les moyens que les laïques ont employés, particuliérement en France, pour reftreindre la jurifdiction eccléfiaftique, & la refferrer dans les bornes étroites où nous la voyons aujourd'hui.

Je ne vois point de pareilles conteftations dans l'églife Grecque, & j'en trouve deux raifons: l'une, que les évêques n'y ont jamais eu ni feigneuries ni offices, qui leur donnaffent part à la puiffance publique & au gouvernement temporel : l'autre, que l'églife Grecque ne connoiffoit point le droit nouveau qu'avoit reçu l'églife Latine, c'eft-à-dire, les fauffes décrétales & les maximes établies en conféquence, comme j'ai marqué dans un autre difcours. Les Grecs connoiffoient encore moins le décret de Gratien, les décrétales de Grégoire IX, & les autres compilations plus nouvelles que leur fchifme: tout leur droit eccléfiaftique confiftoit au code des canons de l'église universelle, & autres piéces comprifes dans le recueil publié à Paris en 1661 fous le titre de Bibliothè que de l'ancien droit canonique. Leurs évêques ne jugeoient que des matiéres fpirituelles, & n'impofoient que des peines de même nature, c'est-à-dire, des pénitences ou des cenfures eccléfiaftiques.

Il n'en étoit pas de même en Syrie, en Egypte, & aux autres pays de la domination des Mufulmans, Les Chrétiens leurs fujets avoient confervé, non feulement l'exercice de leur religion, mais encore l'observation des loix Romaines auxquelles ils étoient accoutumés depuis plufieurs fiécles; & leurs évêques, comme en étant mieux inftruits que les autres, terminoient fuivant ces loix les différends des particuliers, non feulement en matiére fpirituelle, mais en matiére profane du moins autant que le permettoient les infidèles leurs maîtres,

HUITIEME

HUITIEME DISCOURS

SUR

L'HISTOIRE ECCLÉSIASTIQUE.

RELIGIEUX.

YANT parlé dans tout le cours de cette hiftoire de l'origine & du progrès de la vie religieufe, felon que les occafions s'en font préfentées; j'ai cru devoir raffembler en un difcours mes réflexions fur ce grand fujet, & je l'ai placé au quatorziéme fiècle, où cette fainte inftitution étoit en fa plus grande décadence.

Quiconque connoît l'efprit de l'évangile, ne peut douter que la profeffion religieufe ne foit d'inftitution divine, puifqu'elle confifte effentiel

I. Origine des religieux.

Moines d'Egypte

lement à pratiquer deux confeils de JESUS-CHRIST, en renonçant au Mauh, XIX. 11,21. mariage & aux biens temporels, & embraffant la continence parfaite & la pauvreté. C'est ce que nous voyons exécuté par S. Antoine, S. Pacôme & les autres moines d'Egypte reconnus par l'antiquité pour les plus parfaits de tous; & qui par conféquent doivent fervir de modèles dans tous les fiécles à ceux qui voudront ramener la perfection religieufe.

Hift. liv. xx, n. 3 4

&c,

Outre les vies particulières d'un grand nombre de ces Saints, nous avons dans les œuvres de Caffien, fur-tout dans fes institutions, une defcription exacte de leur maniére de vie, que j'ai rapportée dans l'hiftoire, & qui renferme quatre principaux articles: la folitude, le travail, le jeûne & la priére. Leur folitude, d'où leur vint le nom de Moines ne confiftoit pas feulement à fe féparer des autres hommes, & renoncer à leur fociété; mais à s'éloigner des lieux fréquentés, & habiter des déferts. Or ces déferts n'étoient pas, comme plufieurs s'imaginent, de vastes forêts, ou d'autres terres abandonnées que l'on pût défricher & cultiver ; c'étoit des lieux non feulement inhabités, mais inhabitables : des plaines immen. fes de fables arides, des montagnes ftériles, des rochers & des pierres. Ils s'arrêtoient aux endroits où ils trouvoient de l'eau, & y bâtiffoient leurs cellules de rofeaux, ou d'autres matiéres légéres ; & pour y arriver il falloit fouvent faire plufieurs journées de chemin dans le defert. Là, perfonne ne difputoit le terrein: il ne falloit demander à perfonne la permiffion de s'y établir; & ce ne fut que long-tems après, loríque les moines fe furent approchés jufques dans les villes, que le concile de Hift. liv. xxvi

Tome XIV

C

n. 22. to: conc. p. Calcédoine défendit. de bâtir aucun monaftére fans le confentement de 609. l'évêque.

Hift.liv. xIx. n.25.

Le travail des mains étoit regardé comme effentiel à la vie monaftique; & ce fut principalement l'averfion du travail qui fit condamner les hérétiques Maffaliens. Les vrais Chrétiens confidéroient que, dès l'éGen. 11. 15. 111. 19. tat d'innocence, Dieu avoit mis l'homme dans le paradis terreftre pour y travailler; & qu'après fon péché, il lui donna pour pénitence de cultiver la terre, & gagner fon pain à la fueur de fon vifage: que les plus grands Saints de l'ancien teftament avoient été pâtres & laboureurs : enfin que JESUS-CHRIST même avoit paffé la moitié de fa vie mortelle à un métier férieux & pénible. Car on ne voit pas que, depuis l'âge de douze ans jufqu'à celui de trente, il ait fait autre chofe que travailler avec S. Jofeph d'où vient qu'on le nommoit non feulement fils de charpentier, mais charpentier lui-même. Ainfi il nous a montré, par fon exemple, que la vocation générale de tout le genre humain eft de travailler en filence, à moins que Dieu ne nous appelle à quelque fonction publique pour le fervice du prochain.

Marc VI. 3.

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Le travail de ces premiers moines tendoit principalement à deux fins, d'éviter l'oifiveté & l'ennui inféparables de la folitude, & de gagner de quoi vivre fans être à charge à perfonne. Car ils prenoient à la lettre cette parole de S. Paul: Si quelqu'un ne veut point travailler, qu'il ne mange point non plus. Ils n'y cherchoient ni glofe ni explication. Mais ils choififfoient des travaux faciles & compatibles avec la tranquillité d'efprit, comme de faire des nattes & des corbeilles, qui étoient les ouvrages des moines Egyptiens. Les Syriens, felon faint Ephrem, faifoient auffi de la corde, du papier, ou de la toile. Quelques-uns même ne dédaignoient pas de tourner la meule, comme les plus miférables efclaves. Ceux qui avoient quelques piéces de terre, les cultivoient eux-mêmes mais ils aimoient mieux les métiers que les biens en fonds, qui demandent des foins pour les faire valoir, & attirent des querelles & des procès.

Je reviens aux Egyptiens, les plus parfaits de tous, & les mieux connus par les relations de Caffien. Ils jeûnoient toute l'année, hors les dimanches & le tems Pafcal; & foit qu'ils jeûnaffent ou non, toute leur nourriture étoit du pain & de l'eau, à quoi ils s'étoient fixés après de longues expériences. Ils avoient auffi réglé la quantité de pain à une livre Romaine par jour, c'est-à-dire douze onces, qu'ils mangeoient en deux petits repas, l'un à none, l'autre au foir. La différence des jours qui n'étoient pas jeûnes, n'étoit que d'avancer le premier repas jufqu'à midi, fans rien ajouter à leur pain; mais ils vouloient que l'on prît chaque jour de la nourriture.

C'étoit là toute leur auftérité: ils ne portoient ni cilices, ni chaînes, ou carcans de fer, comme faifoient quelques moines Syriens; car pour les difciplines ou flagellations il n'en étoit pas encore fait mention. L'austérité des Egyptiens confiftoit dans la perfévérance conftante en une vie parfaitement uniforme; ce qui eft plus dur à la nature, que l'alternative des pénitences les plus rudes, avec quelque relâchement à

proportion comme à la guerre, le foldat fouffre toutes fortes de fatigues, dans l'efpérance d'un jour de repos & de plaifir.

La prière des moines Egyptiens étoit réglée avec la même fageffe. Ils ne s'affembloient pour prier en commun que deux fois en vingt-quatre heures, le foir & la nuit, à chaque fois ils récitoient douze pleaumes, inférant une oraifon après chacun ; & ajoutant à la fin deux leçons de l'Ecriture. Douze freres tour-à-tour chantoient chacun un pfeaume, étant debout au milieu de l'affemblée ; & tous les autres écoutoient affis, gar dant un profond filence, fans fe fatiguer la poitrine ni le reste du corps, ce que ne permettoit pas leur jeûne ni leur travail continuels: pour appeller à la prière, une corne de boeuf leur tenoit lieu de cloche, & fuffifoit dans le filence de leurs vaftes folitudes; & les étoiles, que l'on voit toujours en Egypte, leur fervoient d'horloge: le tout conformément à leur pauvreté. Le refte du jour ils prioient dans leurs cellules en travaillant; ayant reconnu que rien n'est plus propre à fixer les pentées & empêcher les diftractions, que d'être toujours occupés : c'eft ainfi qu'ils tendoient à la pureté de cœur, dont la récompenfe fera de voir Dieu. Leur Matth. v. 8, dévotion étoit de même goût, fi je l'ofe dire, que les pyramides & les autres ouvrages des anciens Egyptiens, c'eft-à-dire, grande, fimple & foJide. Tels étoient ces moines fi eftimés des plus grands Saints: de faint Bafile, qui entreprit de fi longs voyages pour les connoître par lui-mêHift. lib. xiv. n. me, & qui dit, que vivans comme dans une chair étrangère, ils mon- 1.p. 79. troient par les effets ce que c'eft que d'être voyageurs ici-bas, & citoyens du ciel. Vous avez vu combien faint Jean Chryfoftôme les mettoit au-deffus des philofophes Païens; & comme il prit leur défense con

Liv. 11. c. 14.

n..8.

tre ceux qui blâmoient leur inftitut, par les trois livres qu'il compofa Hift. liv. xIx. n. 4. fur ce fujet. Saint Auguftin fait leur éloge en divers endroits de fes Ouvrages, particuliérement dans le traité des moeurs de l'églife catholique, où il défie les Manichéens de lui contefter les merveilles qu'il De mor. ecclef. c.

en dit.

n. 17.

31.

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Règle de S. Be

noît. Chanoines,

Hift. liv. xxx11, nẻ

14.

La vie monaftique s'étendit bientôt par toute la chrétienté; & le nombre des moines étoit fi grand, que, dans l'Egypte feule où ils étoient fi parfaits, on en comptoit dès la fin du quatrième fiécle plus de foixante-feize mille, fans ceux dont nous n'avons pas le dénombrement. La règle de faint Benoît, écrite vers l'an 530, nous fait voir diftinctement l'état de la vie monaftique en occident; & il eft remarquable que ce grand faint ne la donne pas comme un modèle de perfection, mais feulement comme un petit commencement, bien éloigné de la perfection des fiécles précédens. Ce qui montre combien la ferveur s'eft rallentie depuis, quand on a regardé cette règle comme trop &c. ult. févére; & combien ceux qui y ont apporté tant de mitigations, étoient éloignés de l'efprit de leur vocation.

Reg. S. B. prolog

Saint Benoît croyoit avoir usé d'une grande condescendance en accordant aux moines un peu de vin, & deux mets outre le pain, fans les obliger à jeûner toute l'année; & faint Grégoire pape, qui vivoit Dial dans le même fiécle, & qui pratiquoit cette règle, en loue particuliérément la difcrétion; mais la nature corrompue trouve toujours de

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40.

mauvaises raisons pour fe flatter, & autorifer le relâchement. Nous les examinerons enfuite: j'ajoute feulement ici, qu'il vaut mieux demeurer dans l'état d'une vie commune, que de tendre à la perfection par une voie imparfaite.

Cependant s'étoient formées en plufieurs églifes des communautés de clercs, qui menoient une vie approchante de celle des moines, autant Hifl.liv.xIII. n.14. que leurs fonctions le pouvoient permettre. Saint Eufèbe de Verceil Hift. liv.xxiv. n. eft le premier évêque que l'on trouve avoir fait vivre ainfi fon clergé & faint Auguftin fuivit fon exemple, comme on voit par fes deux ferHift.liv.XLHIM.37. mons de la vie commune. On nomma ces clercs chanoines; & vers le milieu du feptiéme fiécle, faint Chrodegang, évêque de Metz, leur donna une règle, qui fut depuis reçue par tous les chanoines, comme celle de faint Benoît par tous les moines. Ainfi voilà deux fortes de religieux, les uns clercs, les autres laïques car les moines l'étoient pour la plupart. L'objet de leur inftitut étoit de travailler à leur falut particulier, foit en confervant l'innocence, foit en réparant les défordres de leur vie paffée par une pénitence férieuse: les clercs vivant en commun, imitoient la vie monaftique, pour se précautionner contre les tentations de la vie active & de la fréquentation avec les féculiers.

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Au commencement du neuviéme fiécle, & près de trois cens ans après faint Benoît, les moines fe trouvérent très éloignés de l'obfervance exacte de la règle; parce que les monaftéres répandus par tout l'Occident étant indépendans les uns des autres, reçurent infenfiblement divers ufages fur ce qui n'eft point écrit dans la règle; comme la couleur & la figure de l'habit, & la qualité de la nourriture; & ces divers ufages furent des prétextes de relâchement. Pour y remédier, fut fait le réglement d'Aix-la-Chapelle en 817 au commencement du règne de Louis le Débonnaire, par les foins de faint Benoît, abbé d'Aniane, avec le confeil de plufieurs autres abbés de tout l'empire François. On y recommande le travail des mains, dont l'abbé même n'étoit pas exempt: & il roît qu'il y avoit encore peu de prêtres entre les moines. L'année précédente 816, plufieurs évêques affemblés au même lieu, donnérent aux chanoines une règle, qui eft comme une extenfion de celle de faint Chrodegang: elle fut envoyée par tout l'empire, & obfervée pendant plufieurs fiécles.

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Mais dans le refte de celui-ci & le commencement du dixième, les ravages des Normands, & les hoftilités univerfelles entre les Chrétiens, ruinérent plufieurs églifes & la plupart des monaftéres, comme on voit par les plaintes du concile de Troflé tenu en 909. L'obfervance monaftique étoit prefque éteinte en Occident, quand Dieu fufcita de faints perfonnages, dont le zèle ardent lui donna comme un nouveau commencement. Dès l'année fuivante 910, Guillaume duc d'Aquitaine fonda le monaftére de Clugni, & en donna la conduite à l'abbé Bernon , qui avec le fecours du moine Hugues, tiré de faint Martin d'Autun, recueillit la tradition de l'obfervance la plus pure de la règle de faint Benoît, qui s'étoit confervée en quelques monaftéres.

Saint Odon, fucceffeur de Bernon, perfectionna l'établissement de Clu

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