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Le concile de Latran avoit donc très-fagement défendu d'inftituer de nouvelles religions: mais fon décret a été fi mal obfervé, qu'il s'en eft Hift. liv. LXXXV. beaucoup plus établi depuis, que dans tous les fiécles précédens. On s'en 7. 48.

dians.

VIII.

Matth. x. 9.

plaignit dès le concile de Lyon, tenu foixante ans après: on y réitéra la défenfe, & on fupprima quelques nouveaux ordres; mais la multiplication n'a pas laiffé de continuer & d'augmenter toujours depuis.

Si les inventeurs des nouveaux ordres n'étoient pas des faints canoníReligieux men fés pour la plupart, on pourroit les foupçonner de s'être laiffés féduire à l'amour-propre, & d'avoir voulu fe diftinguer & rafiner au-deffus des autres. Mais fans préjudice de leur fainteté, on peut fe défier de leurs lumiéres, & craindre qu'ils n'aient pas fçu tout ce qu'il eût été à propos qu'ils fçuffent. Saint François croyoit que fa règle n'étoit que l'Evangile tout pur, s'attachant particuliérement à ces paroles: Ne pof fédez ni or, ni argent, ni fac pour voyager, ni chauffure, & le refte; & comme le pape Innocent III faifoit difficulté d'approuver cet inftitut fi nouveau, le cardinal de S. Paul, évêque de Sabine, lui dit: Si vous rejettez la demande de ce pauvre homme, prenez garde que vous ne rejettiez l'évangile. Mais ce bon cardinal, ni le faint lui-même, n'avoient pas affez confidéré la fuite du texte. JESUS-CHRIST envoyant prêcher fes douze apôtres, leur dit d'abord: Guérifiez les malades reffufcitez les morts, purifiez les lépreux, chaffez les démons, donnez gratis ce que vous avez reçu gratis. Puis il ajoute: Ne poffédez ni or, ni argent, le refte. Il eft clair qu'il ne veut que les éloigner de l'avarice, & du defir de mettre à profit le don des miracles, à quoi-Judas n'auroit pas manqué; & que n'auroit-on point donné pour la réfurrection d'un mort? Le Sauveur ajoûte: L'ouvrier gagne bien fa nourriture. Comme s'il difoit: Ne craignez pas que rien vous manque, ni que ceux à qui vous rendrez la fanté ou la vie, vous laiffent mourir de faim. Voilà le vrai fens de ce paffage de l'évangile.

'Hift. liv. LXXVI, a. 54.

?

ni

Mais il ne s'enfuivoit pas que l'on fût obligé à nourrir de bonnes gens, qui fansaire de miracles, ni donner des marques de miffion extraordinaire, alloient par le monde prêcher la pénitence, d'autant plus que. les peuples pouvoient dire : Nous fommes affez chargés de la fubfiftance de nos pafteurs ordinaires, à qui nous payons les dîmes & les autres redevances. Il faut donc attribuer aux vertus perfonnelles de S. Fran çois & de fes premiers difciples, la bénédiction que Dieu donna à leurs travaux: ce fut la récompenfe de leur zèle ardent pour le falut des ames, de leur défintéreffement parfait, de leur profonde humilité, de leur patience invincible. Ils vinrent à propos dans un fiécle très-corrompu pour ramener l'idée de la charité & de la fimplicité chrétienne, & pour fuppléer au défaut des pafteurs ordinaires, la plupart ignorans & négli gens, & plufieurs corrompus & fcandaleux.

Il eût été, ce femble, plus utile à l'églife que les évêques & les papes. fe fuffent appliqués férieufement à réformer le clergé féculier, & le rétablir fur le pied des quatre premiers fiécles, fans appeller au fecours ees troupes étrangères; en forte qu'il n'y eût que deux genres de perfonnes confacrées à Dieu, des clercs destinés à l'inftruction & à la con

duite des fidèles & parfaitement foumis aux évêques; & des moines entiérement féparés du monde, & appliqués uniquement à prier & travailler en filence. Au treiziéme fiécle l'idée de cette perfection étoit oubliée, & l'on étoit touché des défordres que l'on avoit devant les yeux: l'avarice du clergé, fon luxe, fa vie molle & voluptueufe, qui avoit auffi gagné les monaftéres rentés.

On crut donc qu'il falloit chercher le remède dans l'extrémité oppofée; & renoncer à la poffeffion des biens temporels, non feulement en particulier, fuivant la règle de S. Benoît, fi févére fur ce point; mais en commun, en forte que le monaftére n'eût aucun revenu fixe. C'étoit l'état des moines d'Egypte; car quel revenu auroient-ils pu tirer des fables arides qu'ils habitoient? Or ceux à qui le revenu manque, n'ont que deux moyens de fubfifter, le travail ou la mendicité. Il étoit impoffible aux moines de mendier dans des déferts où ils vivoient feuls : il falloit donc néceffairement travailler, & c'étoit le parti qu'ils avoient pris.

Mais les freres Mineurs & les autres nouveaux religieux du treiziéme fiécle choifirent la mendicité. Ils n'étoient pas moines, mais deftinés à converfer dans le monde, pour travailler à la converfion des pécheurs : ainfi ils ne manquoient pas de perfonnes de qui ils puffent espérer des aumônes ; & d'ailleurs leur vie errante, & la néceffité de préparer ce qu'ils devoient dire au peuple, ne leur paroiffoient pas compatibles avec le travail des mains. Enfin la mendicité leur fembloit plus humiliante comme étant le dernier état de la fociété humaine, au- deffous des ouvriers, des gagne-deniers & des porte-faix. D'autant plus que jufques-là elle avoit été méprisée & rejettée par les plus faints religieux. Le vé-. nérable Guigues, dans les conftitutions des Chartreux, traite d'odieufe la néceffité de quêter ; & le concile de Paris en 1212 veut que l'on donne aux religieux qui voyagent, de quoi fubfifter, pour ne les pas réduire à mendier à la honte de leur ordre.

Il est vrai que S. François avoit ordonné le travail à fes difciples, ne leur permettant de mendier que comme la derniére reffource. Je veux travailler, dit-il, dans fon teftament, & je veux fermement que tous les autres freres s'appliquent à quelque travail honnête ; & que ceux qui ne fçavent pas travailler, l'apprennent que fi on ne nous paye pas, ayons recours à la table de Notre-Seigneur, demandant l'aumône de porte en porte. Il conclud fon teftament par une défenfe expreffe de demander au pape aucun privilége, ni de donner aucune explication à fa règle. Mais Fefprit de chicane & de difpute qui régnoit alors, ne permettoit pas cette fimplicité.

Il n'y avoit pas quatre ans que le faint homme étoit mort, quand les freres Mineurs, aflemblés au chapitre de 1230, obtinrent du pape Grégoire IX une bulle qui déclare qu'ils ne font point obligés à l'observation de fon teftament, & qui explique la règle en plufieurs articles. Ainfi le travail des mains, fi recommandé dans l'écriture, & fi eftimé par les anciens moines, eft devenu odieux ; & la mendicité, odieufe auparavant, eft devenue honorable.

J'avoue que le mérite perfonnel des freres Mendians y a bien con

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tribué. Ayant pris pour objet de leur inftitut la converfion des pécheurs, & en général l'instruction des fidèles, ils regardérent l'étude comme un devoir capital, & y réuffirent mieux que la plupart des étudians de leur tems, parce qu'ils agiffoient par des intentions plus pures, ne cherchant que la gloire de Dieu & le falut du prochain: au lieu que les autres clercs ou moines étudicient fouvent pour parvenir aux bénéfices & aux dignités eccléfiaftiques. C'eft ainfi que les freres Prêcheurs & les freres Mineurs dès l'enfance de leurs ordres fe rendirent fi confidérables dans les Univerfités naiffantes de Paris & de Boulogne, où l'on regarda comme des lumiéres de leur fiécle, Albert le Grand, Alexandre de' 5. Difc. n. 8. Alès, & enfuite S. Thomas & S. Bonaventure. Je n'examine point ici quelles étoient ces études dans le fond, je l'ai fait ailleurs; il fuffit que ces faints religieux y réuffiffoient mieux que les autres.

Hift.lib. LxxxvLn.
G. de Bello loco,

6.

C. 12.

Hift. liv. Lxxviti.

n. 54.

Hift. eccl. c. 27. Hift. liv Lxxvi. n. 28. LXXVIII.2.5.

R. 34.

IX.

:

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Leurs vertus en même tems les faifoient aimer & refpecter de tout le monde la modeftie, l'amour de la pauvreté & de l'abjection, le zèle de la propagation de la foi, qui les faifoit aller chez les infidèles chercher le martyre. De-là vient qu'ils furent fi-tôt chéris & favorisés par les papes, qui leur donnérent tant de priviléges, par les princes & les rois: jufques là que faint Louis difoit, que s'il pouvoit fe partager en deux, il donneroit aux freres Prêcheurs la moitié de fa perfonne, & l'autre aux freres Mineurs. Dès les commencemens on fit plufieurs évêques de l'un & de l'autre de ces ordres, & on en vit bientôt de cardinaux.

Les freres Prêcheurs au commencement n'étoient pas tant un nouvel ordre, qu'une nouvelle congrégation de chanoines réguliers. Auffi Jacques de Vitri, auteur du tems, les appelle chanoides de Boulogne. Saint Dominique, avant que de quitter l'Espagne, & penfer à la fondation de fon ordre, étoit chanoine régulier dans la cathédrale d'Ofma; & la premiére approbation de fon inftitut, le qualifie prieur de faint Romain à Touloufe, & confirme à cette églife la poffeffion de tous fes biens. Ce ne fut qu'au premier chapitre général tenu en 1220, que lui & fes confreres embrafférent la pauvreté entiére, renonçant aux fonds de terre & aux revenus affurés, à l'exemple des freres Mineurs; ce qui les réduifit à être mendians comme eux. Mais ils pratiquérent la pauvreté plus fimplement & plus noblement ; & je ne vois point chez eux de ces difputes frivoles fur la propriété & le fimple ufage de fait, qui diviférent fi cruellement les freres Mineurs, & produifirent enfin l'héréfie des Fraticelles.

Ce feroit ici le lieu de traiter à fond la matiére de la pauvreté évanPauvreté évangélique, & nous ne pourrions en cette recherche fuivre de meilleur gélique Combf auft, bibl. guide que faint Clément Alexandrin, inftruit par les difciples des apô• PP. p. 163. tres. Il a fait un traité fur cette question: Quel est le riche qui fera fauvé où il raifonne ainfi. La richeffe eft de foi indifférente, comme la force & la beauté du corps; ce font des inftrumens dont on peut ufer bien ou mal, & des elpèces de biens. Les biens temporels, dont l'abondance fait la richeffe, font la matiére néceffaire de plufieurs bonnes œuvres commandées par JESUS CHRIST; s'il ordonnoit à tous les

fidèles de les quitter, il fe contrediroit; & en effet il ne l'ordonna pås à Zachée, il trouva bon qu'il en gardât la moitié. Au contraire l'extrême pauvreté eft un mal en foi, plutôt qu'un bien: c'eft un obftacle à la vertu, & une fource de plufieurs tentations violentes, d'injuftice, de corruption, d'impudence, de lâcheté, de découragement, de défefpoir; c'est pourquoi l'écriture dit: Ne me donnez ni les richefles, ni la pauvreté.

Il ne faut donc pas prendre groffiérement le précepte de vendre tous fes biens, non plus que celui de hair fon pere. Comment JESUS-Christ pourroit-il nous ordonner de le hair pofitivement, lui qui nous commande d'aimer même nos ennemis? Il veut feulement nous faire entendre par cette expreffion fi forte, que nous ne devons pas préférer à Dieu les perfonnes qui nous font les plus chéres; mais les abandonner, s'il eft befoin, pour nous attacher à lui. Ainfi, en nous ordonnant de renoncer aux richeffes, il nous oblige feulement à combattre les paffions qu'elles excitent naturellement, l'orgueil, le mépris des pauvres, l'amour des plaifirs fenfuels, le defir de s'enrichir à l'infini, & les autres femblables. Un riche ufant bien de fes richeffes, & toujours prêt à les perdre, comme Job, fans murmurer, eft un véritable pauvre d'efprit. Telles font les maximes de ce grand docteur du fecond fiécle de l'églife, bien au-deffus des fophifmes de la scolastique moderne.

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Luc. XIX. 8.
Prov.xxx. 9.

X. Relâchement

dians.

Hift. liv. LXXXII,

Hit liv. LXXXIX.

Laiffons les raifonnemens, & nous en tenons à l'expérience. Trente ans après la mort de faint François, on remarquoit déja un relâchement confidérable dans les ordres mendians. Je ne rapporterai pas les des religieux menplaintes de Matthieu Paris, ni de Pierre des Vignes au nom du clergé féculier: c'étoit les parties intéreffées. Je me contenterai du témoignage de faint Bonaventure, qui ne peut être fufpect. C'eft dans la lettre qu'il écrivit en 1257, étant général de l'ordre, à tous les provinciaux & les cuftodes. Il fe plaint de la multitude des affaires pour lesquelles ils demandoient de l'argent, de l'oifiveté de quelques freres, de leur vie vagabonde, l'importunité à demander, les grands bâtimens, l'avidité des fépultures & des teftamens; chacun de ces articles mérite quelques

réflexions.

43.

Opufc. tom. 2. p.

352.

Les freres mendians, fous prétexte de charité, fe mêloient de toutes fortes d'affaires publiques & particulières. Ils entroient dans le fecret des familles, & fe chargeoient de l'exécution des teftamens. Ils acceptoient des députations pour négocier la paix entre les villes & les princes: les papes fur tout leur donnoient volontiers des commiffions, comme à des gens fans conféquence, qui leur étoient entiérement dévoués & qui voyageoient à peu de frais. Ils les employoient quelquefois à des levées de deniers. L'affaire qui les détournoit le plus, étoit l'inqui- Hift. lib. LxxxII. n. fition. Car quoiqu'elle ait pour but la confervation de la foi, l'exercice 45. en eft femblable à celui des justices criminelles; informations, captures de criminels, prifons, tortures, condamnations, confifcations, peines infamantes ou pécuniaires, & fouvent corporelles par le miniftére du bras féculier. Il devoit paroître étrange, au moins dans les commencemens, de voir des religieux faifant profeffion de l'humilité la plus pro

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fonde, & de la pauvreté la plus exacte, tout d'un coup transformés en magiftrats, ayant des appariteurs & des familiers armés, c'est-à-dire des gardes, & des tréfors à leur difpofition, fe rendant terribles à tout. le monde.

Le mépris du travail des mains a attiré l'oifiveté chez les mendians comme chez les autres religieux. Il n'eft pas aifé de connoître fi le tems destiné à l'oraifon mentale, ou à l'étude, eft fidellement employé ; on peut à genoux, & en pofture du plus grand recueillement, penfer à tout ce que l'on veut. Un religieux enfermé dans fa cellule, peut, fous prétexte d'étude, faire des lectures, je ne dirai pas mauvailes, mais inutiles & de fimple curiofité; enfin il peut baailler & s'endormir. Il n'en eft pas de même du travail, il eft fenfible, & l'ouvrage qui refte en fait. foi. De plus, les efprits propres à l'étude ne font pas communs; la plupart des hommes s'exercent peu à raifonner, & à penfer de fuite, & font peu curieux, fi ce n'eft de nouvelles & de petits faits particuliers, matiére des jugemens téméraires & des médifances. Les anciens. fçavoient étudier & mieux que les modernes, leurs écrits en font foi; & toutefois faint Bafile & faint Grégoire de Nazianze, dans leur reHift. liv. XIV. n. 2. traite, ne dédaignoient pas les travaux les plus bas. On peut tirer vanité d'avoir fait un bon livre; mais on n'en tira jamais d'avoir fait des nattes ou des corbeilles on peut toute la journée s'appliquer à ces ouvrages; il ne faut ni belle humeur, ni tête repofée.

. epift. 37.

Le troifiéme défaut que faint Bonaventure reproche à fes freres, eft la vie vagabonde de plufieurs, qui, pour donner, dit-il, du foulagement à leurs corps, font à charge à leurs hôtes, & fcandalifent aulieu d'édifier. C'est l'inconvénient des voyages trop fréquens, qui donnent occafion d'excéder dans la nourriture & le fommeil, fous prétexte de fe remettre de la fatigue, & dérangent l'uniformité de la vie. régulière. Le quatrième décret eft l'importunité à demander; qui fait » craindre, dit faint Bonaventure, la rencontre de nos freres, comme celle des voleurs. En effet, cette importunité est une efpèce de violence. à laquelle peu de gens fçavent réfifler, fur-tout à l'égard de ceux dent l'habit & la profeffion ont attiré du refpect; & d'ailleurs c'eft une fuite naturelle de la mendicité. Car enfin il faut vivre: d'abord la faim & les autres befoins preffans font vaincre la pudeur d'une éducation honnête; & ayant une fois franchi cette barriére, on fe fait un mérite & un honneur d'avoir plus d'induftrie qu'un autre à attirer des aumônes.

La grandeur & la curiofité des bâtimens, continue le faint docteur, trouble notre paix, incommode nos amis, & nous expofe aux mauvais jugemens des hommes. Les bâtimens troublent la paix des religieux, par les foins & les mouvemens que les fupérieurs & ceux qui agiffent lous leurs ordres font obligés de fe donner, pour examiner les deffeins, les plans, & veiller à l'exécution; mais fur-tout pour fournir à la dépenfe, n'ayant aucun fonds affuré: & c'eft ce qui incommode les amis. Mais tant que l'ouvrage dure, la paix de toute la communauté eft trou blée par l'embarras des matériaux & des ouvriers. Quant aux mauvais jugemens des hommes au fujet de ces bâtimens, Pierre des Vignes les

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