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'Nov. 123. c. 21.

6.

diftinguer le crime civil & le crime eccléfiaftique. On appelle ici crime civil, celui qui eft commis contre les loix civiles, & ne regarde que le temporel, comme on nomme civils tous les juges féculiers. Ce qu'il eft néceffaire d'obferver; parce que, felon notre ufage, le civil eft toujours oppofé au criminel. Si donc, dit la loi, le crime ett civil, le clerc accufé fera poursuivi ici à Conftantinople devant le juge compétent, & dans les provinces devant le gouverneur, à condition que le procès fera terminé dans deux mois; & que fi l'accufé eft trouvé coupable, le juge le fera dégrader par l'évêque, avant, de le punir felon les loix. Mais fi le crime eft eccléfiaftique, l'évêque en jugera fans que les juges civils s'en mêlent car nous ne voulons point qu'ils prennent aucune connoiffance de ces fortes d'affaires, qui doivent être examinées eccléfiaftiquement, & les peines impofées felon les canons, que nos loix ne dédaignent pas de fuivre. Cette conftitution eft de l'an 535.

le

Dans une autre de l'an 541, Juftinien dit: Si quelqu'un a quelque acHift. liv. XXXIII. 7. tion contre un clerc, qu'il s'adreffe d'abord à l'évêque; & fi les deux parties acquiefcent à fon jugement, nous voulons que le juge du lieu le faffe exécuter. Si quelqu'une des parties réclame dans dix jours juge des lieux examinera la caufe; & s'il confirme le jugement, on ne pourra plus en appeller. Mais fi la fentence du juge eft contraire à celle de l'évêque, alors l'appel aura lieu & fera jugé felon les loix. En matiére criminelle, fi un clerc eft accufé devant fon évêque & qu'il le trouve coupable, il doit le dégrader; après quoi le juge compétent s'en faifira, & lui fera fon procès felon les loix. Que fi l'accufateur s'adreffe d'abord au fiége féculier & prouve le crime, il représentera les actes du procès à l'évêque du lieu, qui dégradera le coupable, 's'il le trouve convaincu, & le juge le punira felon les loix. Mais fi l'évêque ne trouve pas la procédure régulière, il pourra différer la dégradation, en forte néanmoins que l'accufé demeure fous bonne garde; & l'affaire nous fera renvoyée par l'évêque & par le juge, pour en ordonner avec connoiffance de caufe. En matiére civile, fi l'évêque différe le jugement, le demandeur aura la liberté de s'adreffer au juge féculier : mais fi l'affaire eft eccléfiaftique, le juge féculier n'en prendra aucune connoiffance. La fuite du difcours fera voir l'importance de cette conftitution.

Liv. 12. Cod. de sp. aud.

1. 14. cod.

Les empereurs Chrétiens donnérent auffi aux évêques inspection fur la police des mœurs & l'honnêteté publique. Si les peres ou les maîtres vouloient proftituer leurs filles ou leurs efclaves, elles pouvoient implorer la protection de l'évêque pour conferver leur innocence. Il pouvoit auffi empêcher, comme le magiftrat, qu'on n'engageât une femme libre ou efclave à monter fur le théâtre malgré elle. Il devoit, conjoin24. cod. l. 3. de tement avec le magiftrat, conferver la liberté aux enfans expofés. L'évêinf. expof. que intervenoit encore à la création, & la preftation de ferment des curateurs, foit. foit pour les infenfés, foit pour les mineurs. Il étoit ordonné aux évêques de vifiter les prifons une fois la femaine; fçavoir, le mercredi ou le vendredi. S'informer du fujet de la détention des prifonpiers esclaves ou libres, pour dettes ou pour crimes avertir les

1.27, 28, 30. de ep. aud. 1. 22, cod.

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magiftrats d'en faire leur devoir & en cas de négligence en donne avis à l'empereur. Enfin, les évêques avoient infpection fur l'adminiftration & l'emploi des revenus & des deniers communs des villes, & la conftruction ou réparation des ouvrages publics. Tel fut le fecond état de la jurifdiction eccléfiaftique, pendant lequel les empereurs devenus chrétiens, foutenoient de leur autorité celle des évêques, & leur donnoient quelque inspection fur les affaires temporelles, par l'eftime & la confiance qu'ils avoient en eux; & les évêques de leur côté infpiroient au peuple la foumiffion & l'obéiffance aux fouverains, par principe de confcience, comme faifant partie de la religion. Ainfi les deux puiffances, la fpirituelle & la temporelle, s'aidoient & s'appuyoient mutuellement.

La chute de l'empire d'Occident, & la domination des barbares commença, fi je ne me trompe, à altérer cette union. Les Romains n'avoient que du mépris & de l'averfion pour ces nouveaux maîtres, qui, outre leur groffiéreté & leur férocité naturelle, étoient tous païens ou hérétiques. Au contraire le refpect & la confiance des peuples augmenta pour les évêques, qui étoient tous Romains, & fouvent des plus nobles & des plus riches. Mais avec le tems les barbares devenus chrétiens, entrérent dans le clergé & y portérent leurs moeurs en forte que l'on vit des clercs, & des évêques mêmes, chaffeurs & guerriers. Ils devinrent auffi feigneurs, & comme tels, obligés de fe trouver aux affemblées dans lesquelles le régloient les affaires de l'état, & qui étoient en même tems parlemens & conciles nationaux.

V:

Conciles natio

naux,

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Or je regarde ces affemblées comme la principale fource de l'exten fion de la jurifdiction eccléfiaftique hors de fes bornes, & des entreprifes fur la temporelle. Nous en voyons un terrible exemple dès la fin du feptiéme fiécle, au douzième concile de Tolède, qui déclara le roi Vamba déchu de la couronne, & fes fujets déchargés de leur ferment. Cette opinion, que les évêques pouvoient dépofer les rois, fit un tel Hift. liv.xt.n.29; progrès pendant les deux fiécles fuivans, que les rois eux mêmes en convenoient, comme il paroît par la requête de Charles le Chauve, Hift. liv. XLIX. n. présentée au concile de Savoniéres en 859, contre Venilon archevêque 46.

de Sens.

VI.

Liv.XLIV. n. 22.

4. Difc. n. 2.

Les fauffes décrétales d'Ifidore, qui parurent vers la fin du huitiéme fiécle, apportérent un grand changement à la jurifdiction fur trois ar- Droit nouveau. ticles: les conciles, les jugemens des évêques, & les appellations. Les conciles devinrent beaucoup plus rares, depuis que l'on crut que l'on ne pouvoit en tenir fans la permiffion du pape ; & dans le même tems il furvint un obstacle encore plus grand à la tenue des conciles, fçavoir, les guerres civiles & les hoftilités univerfelles, depuis le règne de Louis le Débonnaire & le milieu du neuviéme fiécle. Ces défordres rompoient le commerce d'une ville à l'autre, & par conféquent rendoient impoffibles les affemblées des évêques : vous avez vu les plaintes qu'en faifoit Ives de Chartres. Or la ceffation ou l'interruption des conciles provinciaux étoit une grande plaie à la jurifdiction eccléfiaftique.

Hift. liv. LIX. 28. 3. Difc. n. 14.

Liv. Exv. n. 8. ep!

84

La difficulté de juger les évêques en étoit une autre, introduite auffi Difc. n. 3

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2. 6.

25. q. 1. c. 16.

n. 7.

1.4.1. c. 35, 37. c.

0.51.

II. q. c. I. C. 3,7, 14.

3.

c. 10, 23.

par les fauffes décrétales, en réfervant au pape feul leur jugement, & ajoutant de nouvelles règles fur les qualités des accufateurs & des témoins. Or cette difficulté de corriger ou dépofer les mauvais évêques, a caufé l'impunité de leurs crimes & la chute de la difcipline. Enfin les appellations au pape fans moyen & en tout état de caufe, achevérent d'anéantir la jurifdiction ordinaire. Voyez ce qu'en difoit Hincmar, & enfuite Ives de Chartres & S. Bernard.

Le décret de Gratien affermit & augmenta les changemens introduits dans la jurifdiction, étant reçu pour unique règle dans les tribunaux eccléfiaftiques : ce qui a duré près de quatre cens ans. Car les conftitutions des papes, poftérieures à cette compilation, roulent fur les maximes 70, 83. Hift. liv. L. qu'elle contient. Or Gratien a enchéri fur les fauffes décrétales en deux articles importans, l'autorité du pape, & l'immunité des clercs. Car il foutient que le pape n'est point foumis aux canons; & que les clercs ne peuvent être jugés par les laïques en aucun cas. Le pape Nicolas I avoit déja avancé cette maxime dans fa réponse aux Bulgares, en difant: Vous ne devez point juger les prêtres ou les clercs, vous autres laïques ni examiner leur vie vous devez tout laiffer au jugement des évêques. Pour prouver l'immunité des clercs, Gratien rapporte quatre fauffes décrétales; premiérement la prétendue lettre du pape Caïus à l'évêque Hift.liv. XLVI.n. Felix puis la feconde du pape Marcellin, la première de faint Alexandre, faint Silveftre dans le concile Romain. Enfin il rapporte la fauffe loi de Constantin adoptée par Charlemagne, qui, fans parler des clercs en particulier, renvoie aux évêques toutes les caufes de ceux qui les auront choifis pour juges, même malgré leurs parties adverses. Par tous ces différens moyens, la jurifdiction eccléfiaftique se trouva Extenfion de la fort changée dès le douzième fiécle; tant par le mêlange du temporel jurifdiction du pa- avec le fpirituel, que par l'extenfion de l'autorité du pape au préjudice des évêques. Car outre les appellations, fouvent le pape évoquoit lui les caufes en premiére inftance, ou les renvoyoit à fes légats ou à d'autres juges par lui délégués; & il accordoit des citations générales ou particuliéres pour comparoître à fon tribunal. Les exemptions & les autres priviléges ôtoient encore un grand nombre de caufes aux juges ordinaires. Mais quel en étoit le fondement, finon l'opinion vague que le pape pouvoit tout ce qu'il vouloit, & n'étoit point foumis aux canons? Autrement, comment pouvoit il fouftraire à la jurifdiction des évê ques, fans leur confentement, des églifes particuliéres, ou des ordres entiers de religieux ? Vous avez vu les reproches que faifoit faint Bernard aux abbés de fon tems, de rechercher ces exemptions; & au pape Eugène de les accorder trop facilement, contre le bien général de l'églife. Il est vrai qu'il ne lui en contefte pas le pouvoir, faute d'être affez inftruit de l'ancienne difcipline oubliée de fon tems.

pe.

VII.

Hift.liv. LXVII. n. 57. Opuf. 2. c. 35. Liv. LXIX. 7. 59.

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Mais elle étoit encore connue cent ans auparavant, comme il parut au concile d'Anfe, près de Lyon, tenu en 1025. L'évêque de Mâcon s'y plaignit que des moines de Clugni qui étoient dans fon diocèle, avoient été ordonnés fans fa permiffion par l'archevêque de Vienne. Odilon, abbé de Clugni, produifit un privilége du pape pour l'exemption de fon

monaf

monaftére: mais le concile y oppofa les canons du concile de Calcédoine & des autres, en conféquence defquels les évêques déclarérent nul le privilége, & l'archevêque de Vienne reconnut fa faute. Tant ces évê. ques étoient perfuadés que le pape n'étoit pas au-deffus des canons. I eft vrai qu'au concile de Châlon tenu trente-huit ans après, où préfi doit S. Pierre Damien comme légat, on confirma les priviléges de Clu gni: ce qui montre que l'opinion avoit déja changé touchant la puiffance du pape.

Hift liv. LXI. n. 7. . 9. Conc. p. 11774

La jurifdiction des ordinaires fe trouvoit encore notablement reftreinte par celle des légats, fi fréquens depuis l'onziéme fiécle : tant les légats v.4. Difc. n. 11! à latere, que ceux qui réfidoient fur les lieux, & avoient la légation par le privilége de leur fiége ou par commiffion particuliére. Tous, comme représentant le pape, avoient jurifdiction privativement à tous les évêques, de quelque dignité qu'ils fuffent, même les patriarches; & pou voient déléguer d'autres juges.

VIII. Entreprises fur

C. 3. de imm. in 6. Rain. 1296. n. 25.

Hift, lib, LXXIX, fig

43.

Les évêques ainfi refferrés cherchérent à étendre leur jurifdiction aux dépens des juges laïques, par trois moyens : la qualité des perfonnes, la qualité des caufes, & la multiplication des juges. Les perfonnes les laïques, étoient les clercs, dont, comme vous venez de voir, on avoit déja bien élargi les priviléges, en les fouftrayant entiérement à la jurifdiction féculiére. En forte que Boniface VIII, dans la fameuse décrétale Clericis laïcos, dit nettement que les laïques n'ont aucune puiffance fur les perfonnes ni fur les biens eccléfiaftiques. On étendit encore ce privilége, en aug. mentant à l'infini le nombre des clercs. Car depuis qu'on eut méprifé la fage difpoftion du concile de Calcédoine contre les ordinations fans titre, les evêques firent autant de clercs qu'ils voulurent, fans choix & fans mefure: quelquefois par ce feul motif d'étendre leur jurifdiction. Plufieurs n'étoient point tonfurés, plufieurs recevoient les ordres mineurs ; & comme ils font compatibles avec le mariage, tout étoit plein de clercs mariés, qui, fans rendre aucun fervice à l'églife, s'occupoient du trafic & des métiers même les plus indécens: jufques-là que le concile de Vienne fe crut obligé de leur défendre d'être bouchers & de tenir cabaret, & auparavant on leur avoit défendu d'être jongleurs ou bouffons de profeffion. Enfin on étendit le privilége clérical aux domeftiques des eccléfiaftiques & à leurs familiers, comme on les nomme: ce qui dure encore en Espagne. Or joignant enfemble l'exemp. tion des clercs & leur nombre exceffif, il feroit à la fin resté peu de Laïques: & il n'auroit tenu qu'aux évêques de fouftraire autant de fujets qu'ils auroient voulu à la puiffance féculiére.

La protection charitable que les évêques des premiers fiécles don noient aux veuves, aux orphelins & aux autres perfonnes foibles, devint un prétexte de révendiquer toutes leurs caufes: quoique ces perfonnes ne fuffent ni fans bien, ni fans pouvoir, comme des reines veuves & des rois en bas âge. On étendit ce prétendu droit fur les pélerins, & par conféquent fur les croifés, dont les biens furent mis fous la protec tion du faint fiége. Il n'y avoit pas jufqu'aux lépreux qui ne fuffent du Tome XIV

Clement I.Devit,& honeft. Cleric.

hon, in 6,

C. un, de vita &

Hift. liv. LXVII. n. 6. Difc. n. 13. 17. Conc. Nougar

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Hift. liv. LXXXIX. reffort de la jurifdiction de l'églife, comme féparés du refte des hommes par fon autorité. Et voilà pour les perfonnes.

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Conc. d'Avign.

1282.c. 10. Hift. liv. LXXVII. n. 63. Conc. de Bour ges. 1286. c. 30. Hift. liv. LXXXVII.

B34

Hift. liv. LxxxI. n. 27. LXXXV. n. 13,

23.

IX.

Multiplication des juges. Conc. Chaft, Gont.

Quant aux caufes, ce fut un moyen d'étendre la jurifdiction ecclé. fiaftique fur les laïques mêmes : & ils ne s'y oppofoient que foiblement. On le voit par les loix du roi Alphonfe de Caftille, compofées vers le milieu du treiziéme fiécle, où il attribue au juge eccléfiaftique des matiéres qu'il auroit pu révendiquer, comme l'état des perfonnes, le patronage, l'ufure, l'adultére, le facrilége. Saint Louis en ufa plus fagement: car dans les loix qu'il donna en même tems fous le nom d'établissemens, il ne traite que des matiéres profanes; enforte qu'il ne donne aux eccléfiaftiques aucun fujet de plainte, fans toutefois autorifer leurs entreprises.

Or la qualité des caufes leur en fournit divers prétextes: comme le ferment appofé à la plupart des contrats, & la connexité avec les matiéres fpirituelles. Ainfi, à l'occafion du facrement de mariage, ils prenoient connoiffance de la dot, du douaire & des autres conventions matrimoniales: de l'adultére, de l'état des enfans, pour juger lefquels étoient légitimes. Et comme on fuppofoit qu'il ne devoit point y avoir de teftament fans legs pieux, plufieurs conciles ordonnérent que les teftamens fe feroient en préfence du curé, & que l'évêque fe feroit rendre compte de l'exécution. Or la connoiffance des teftamens attiroit les fcellés & les inventaires.

Un autre prétexte d'étendre la jurifdiction fur les laïques, furent les crimes eccléfiaftiques : c'est-à-dire ceux qui attaquent directement la religion, comme l'héréfie & le fchifme; ou qui n'étoient point défendus par les loix civiles, comme l'ufure & le concubinage. Car les eccléfiaftiques ont prétendu qu'il n'appartenoit qu'à eux d'en connoître : fauf aux juges laïques de leur prêter fecours pour la capture des coupables & l'exécution des jugemens; & d'ajouter les peines temporelles aux fpirituelles. Et parce que, fuivant les nouvelles maximes, le crime d'héréfie emportoit perte de biens, droits, feigneuries, même à l'égard des fouverains: on en accufoit toujours ceux qu'on vouloit perdre, comme l'empereur Fridéric II, Mainfroi & tant d'autres. Sur quoi on ne manquoit pas de prétextes. Car après avoir excommunié un prince, & mis fon état en interdit : s'il méprifoit les cenfures, comme il faifoit le plus fouvent, on l'accufoit de ne pas croire la puiffance des clefs & dès-lors on le tenoit pour hérétique. On jugeoit de même de tout particulier qui fouffroit un an l'excommunication, fans fe mettre en devoir de fe faire abfoudre.

La multiplication des juges fut encore un grand moyen d'étendre la jurifdiction eccléfiaftique: car en général, plus il y a de juges & d'officiers de juftice, plus il y a de procès. Les évêques des grands diocèfes établiffoient des officiaux en divers lieux, outre la ville épifcopale: les archidiacres eurent auffi les leurs, & les chapitres exemts avec Hifi.liv. Lxxx, n.4. jurifdiction & territoire. Tous ces officiaux avoient ou pouvoient avoir des vicegérens, pour tenir leur fiége en cas de maladie ou d'autres em

1231. c. 2, 12.

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