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les carroffes de M. de Teffé (1), qui étoit allé au-devant de ce prince à Beaumont (2) avec un détachement des gardes du corps. Il defcendit au Louvre & trouva l'appartement de la Reine & plufieurs falles magnifiquement meublées pour lui & pour fa fuite; mais fachant qu'on lui avoit auffi préparé l'hôtel de Lefdiguières (3), il y alla après s'être repofé & y a fait fa demeure pendant fon féjour, fervi par les officiers de Sa Majefté, fous les ordres de M. de Verton, maître d'hôtel du Roi. Un détachement de cinquante gardes françoises & fuiffes, commandé par un lieutenant, a toujours fait la garde à sa porte; un exempt & huit gardes du corps l'accompagnoient quand il fortoit, à moins qu'il ne vou

(1) René de Froulay, maréchal comte de Teffé, né en 1651 dans le Maine, mort le 30 mai 1725 au couvent de Camaldules de Madrid. Ses Mémoires & Lettres, publiés en 1806 par le général de Grimoard, renferment des documens que Lemontey déclare exacts, mais très incomplets. M. Éd. de Barthélemy a publié dans l'Amateur d'autographes de 1874 quelques extraits piquans de la correfpondance du maréchal avec M. de Morville, pendant fon ambaffade près de Philippe V.

(2) Beaumont-sur-Oife.

(3) Bâti par Zamet, puis achevé par François de Bonne, duc de Lefdiguières, & cédé par Françoise de Gondi de Retz, veuve de Jean-François-Paul de Lefdiguières, à Villeroy. Lifter a vanté la beauté des jardins de l'hôtel & celle des treillages, dont l'un, « fort noble ", avoit coûté dix mille livres.

lût point être remarqué; ce qui lui étant ordinaire, a trompé bien des gens qui se font imaginé qu'il étoit incognito. Le Czar n'en ufoit ainfi que parce que fa curiofité le conduifoit fouvent chez d'habiles ouvriers, ou chez des curieux où une nombreuse fuite auroit été auffi embarraffante que peu convenable. Auffi n'a-t-il déguifé fa qualité fous aucun nom qui difpenfàt du cérémonial à la manière des princes qui veulent être incognito. On lui a fait dans toutes les occafions publiques les traitemens qui fe pratiquent à l'égard des fouverains. Le Roi l'a visité le premier, accompagné de M. le maréchal duc de Villeroi, gouverneur de Sa Majesté, & des principaux officiers, fuivi d'un détachement de cinquante gardes du corps, leurs trompettes & timbales à la tête; & lorfque le Czar alla au palais des Tuileries, ce fut dans les carroffes du Roi, étant accompagné du comte Dolgorouky, lieutenant général de fes troupes, du baron Schaffirow, fon vice-chancelier, du prince Kurakin & de M. le maréchal de Teffé; les gardes françoises & fuiffes étoient fous les armes, les tambours battant aux champs & les gardes de la porte à leur pofte ordinaire. Le Roi vint au-devant de ce prince jufqu'au carroffe & le reconduifit avec les mêmes cérémonies & les mêmes honneurs que Sa Majesté avoit reçus dans la vifite qu'Elle lui avoit rendue. Le prévôt des mar

chands, & les échevins en habit de cérémonie l'ont falué & lui ont porté les préfens ordinaires de la ville. Enfin le Czar a toujours été accompagné de M. le duc d'Antin, furintendant des bâtimens, ou de M. le marquis de Bellegarde, fon fecond fils, qui a la furvivance, toutes les fois qu'on a fait voir les maifons royales à Sa Majefté czarienne.

Les nouvelles publiques ont fuivi le Czar dans tous les lieux où il a été; & le Mercure a donné une relation exacte de tout ce que ce prince a fait depuis fon arrivée en France jusqu'à fon départ (1); cependant, comme ce qui s'est passé aux Gobelins, & à la monnoie

(1) Dubois fait allufion à un extraordinaire, fort rare du Mercure intitulé: Abrégé de l'histoire du czar Peter Alexiewitz, avec une relation de l'état préfent de la Moscovie & de ce qui s'eft paffé de plus confidérable depuis fon arrivée en France jufqu'à ce jour. Dédié à Sa Majefté czarienne. A Paris, chez P. Ribou & Grégoire Dupuis, 1717, in-12. La dédicace eft fignée Buchet. L'abbé Jean-François Buchet fut rédacteur du Mercure de France, auquel il donna le titre de Nouveau Mercure, de 1716 à 1721, année de fa mort. La première partie de cet Abrégé renferme un réfumé de l'hiftoire de Ruffie, la feconde le journal du féjour du Czar jufqu'à fon départ pour Petit-Bourg & Fontainebleau. Dubois ne nous a malheureusement rien dit de ce dernier épisode, mais les articles » qu'il a

confacrés à la vifite des Gobelins & à celle de l'Hôtel des Monnoies font beaucoup plus intéreffans que les fèches mentions de Buchet. Sur le féjour du Czar à Petit-Bourg, voyez l'Introduction.

P

des médailles, lorfque ce prince y a été, mérite d'être détaillé, on croit devoir s'y attacher, ce qui conduira d'ailleurs à donner l'histoire de ces deux endroits qui ne paroiffent connus que confufément.

ARTICLE XVIII.

Le douze de mai, le Czar alla à l'hôtel royal des Gobelins. Quoique M. le duc d'Antin n'eût été prévenu que la veille à onze heures du foir, il donna néanmoins des ordres fi précis & fi prompts que tout fut prêt à tems. Ce lieu eft particulièrement renommé pour les belles tapifferies qui s'y font; & il y en a une telle quantité, que non feulement on en tendit toutes les cours, mais qu'on les mit doubles, afin de les pouvoir exposer toutes, ce qui ne fe put faire dans une nuit qu'à force de monde. Il vint de grand matin un détachement de foldats avec quatre fergens pour garder la porte. A sept heures & demie, le Czar arriva. Il fut reçu par M. le duc d'Antin & M. le marquis de Bellegarde, accompagnés de M. de Cotte (1), premier architecte du Roi, intendant général des jar

(1) Robert de Cotte, né à Paris en 1656, mort à Passy le 14 juillet 1735.

dins, arts & manufactures de Sa Majefté, & de M. de Cotte (1), fon fils, contrôleur des bâtimens du Roi & directeur de la manufacture royale des Gobelins. Ce prince fut conduit dans les cours; & à mesure qu'il avançoit, on abaiffoit avec des poulies les tapifferies qu'il avoit vues pour découvrir celles de deffous; en forte qu'en revenant il trouva les cours tendues de nouvelles tapifferies. Enfuite on lui fit voir les grands ateliers où fe font les tapifferies de haute liffe & de baffe liffe. Il s'arrêta longtems, parla aux ouvriers, & les regarda travailler avec beaucoup de fatisfaction; furtout de petits enfans qui n'ont pas plus de fept ans, comme il parut par les careffes qu'il fit à un de ces enfans qu'il embraffa. Le Czar paffa après dans l'endroit où fe teignent les laines dont on fait les tapifferies. On teignit en fa préfence, & il fit plu

(1) Jules-Robert de Cotte, né à Paris en 1683, mort à Paffy le 8 septembre 1767. Son fils, Jules-François, né à. Paris le 19 avril 1721, mort dans la même ville le 22 janvier 1810, étoit un bibliophile & un numifmate distingué. Il avoit commencé à acheter des livres fort jeune (à dixsept ans) à la vente du comte d'Hoym, où fon précepteur l'avoit accompagné. Le catalogue de fes livres, rédigé par De Bure, a paru en 1804. Celui de fes médailles, dont la vente eut lieu le 8 octobre 1810 & jours suivans, eft précédé d'une notice anonyme qu'une note de Dumerfan, fur l'exemplaire du cabinet de France, attribue à La Porte du Theil.

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