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Parlement, de qui M. Colbert l'acheta pour le Roi avec plufieurs maifons adjacentes. Ce miniftre, qui connoiffoit l'utilité des manufactures, y en établit une qui a toujours été fort renommée pour la teinture des laines & pour la fabrique des tapifleries de haute & de baffe liffe. Dans cette vue il choifit & y logea des peintres & des fculpteurs eftimés, des orfèvres, des ébéniftes & autres ouvriers habiles en toutes fortes d'arts & métiers. Il ne restoit pour affurer cet établiffement, que de lui donner une forme conftante & perpétuelle par un règlement convenable à cet effet: c'eft à quoi pourvut l'édit du mois de novembre 1667 (1). Il porte : « Que la manufacture des tapifferies & autres ouvrages demeurera établie dans l'hôtel appelé des "Gobelins, maifons & lieux en dépendans, & qu'il fera pofé un marbre fur la principale porte, au-deffous des armes de France, "dans lequel fera infcrit: Manufacture royale “des meubles de la couronne; que les manufac"tures feront régies par les ordres du furin

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(1) Cet édit a été reproduit pour la première fois intégralement par M. Jules Coufin au tome VI des Archives de Art françois, d'après un exemplaire relié dans la collection d'arrêts & d'ordonnances formant 202 volumes in-4o, détruits en 1871 par l'incendie de la bibliothèque de la Cour de caffation. Les extraits qu'en avoit donnés Dubois de Saint-Gelais avoient échappé au favant bibliothécaire de la ville de Paris.

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tendant des bâtimens, arts & manufactures de France; que la conduite particulière des manufactures appartiendra à une perfonne capable, fous le titre de directeur; que le furintendant, & le directeur fous “lui, tiendront la manufacture remplie de "bons peintres, maîtres tapiffiers de haute liffe, orfèvres, fondeurs, graveurs, lapi66 daires, menuifiers en ébène & en bois, teinturiers & autres bons ouvriers en toutes "fortes d'arts & métiers; qu'il en fera entre"tenu dans les dites manufactures foixante enfans pendant cinq ans, aux dépens de Sa Majefté, lefquels pourront, après fix ans d'apprentiffage & quatre années de fer"vice, lever & tenir boutique des marchandifes, arts & métiers auxquels ils auront été inftruits, tant à Paris que dans les autres villes du Royaume, fans faire expérience; que les ouvriers qui auront travaillé fans difcontinuation dans les manufactures pendant fix ans pourront être reçus maîtres en la matière accoutumée fur le certificat du furintendant des bâtimens; que douze des maifons les plus proches de l'hôtel des "Gobelins dans lefquelles feront demeurans

les ouvriers employés dans ces manufactures, feront exemptés de tous logemens "des officiers & foldats des gardes françoifes & fuiffes, & de tous autres logemens de gens de guerre; que, pour traiter favora

blement les ouvriers étrangers employés dans les manufactures, ceux qui viendront à décéder travaillant actuellement, feront cenfés & réputés regnicoles & leurs fucceffions recueillies par leurs enfans & héri"tiers, comme s'ils étoient fujets naturels de Sa Majesté; enfin que les ouvriers de ces manufactures jouiront de plufieurs autres privilèges & exemptions. "

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M. Le Brun, premier peintre du Roi, a été le premier directeur de cette manufacture. Ce grand homme qui avoit le génie fi beau, fi élevé, l'accoutuma à l'excellent, en forte qu'elle a toujours produit des ouvrages parfaits; mais ceux qui ont foutenu davantage dans tous les tems fa grande réputation, ce font ces belles tapifleries de haute & baffe liffe qu'on ne ceffe point d'y faire. Les premières furent faites par un habile tapiffier de Bruges, nommé Jans, qui étoit établi à l'hôtel des Gobelins plufieurs années avant que le Roi l'achetât, & qui travailloit pour des particuliers. M. Colbert, qui connoiffoit fon mérite, l'y retint; fa famille y eft restée & a toujours excellé dans cet art. La belle teinture des Gobelins, & furtout pour l'écarlate, eft renommée par tout le monde. Enfin il fe fait depuis quelque tems dans le même endroit un vernis qui en tire auffi fon nom, étant connu fous celui de vernis des Gobelins il paffe pour être le vrai vernis de la

Chine. M. Dagly, Liégeois, qui en est l'inventeur, a été quarante ans à le trouver (1). Cependant, comme l'un & l'autre vernis eft un fecret, on ne fauroit juger que par les effets fi ce nouveau vernis eft véritablement celui de la Chine ce qui au fond importe peu, pourvu qu'il en ait les qualités. Il paroît les

(1) La Biographie liégeoife de M. de Becdelièvre-Hamal fait naître Dagly à Spa vers 1620 & fuppofe qu'il revint mourir dans fon pays natal. Le reste du court article qui lui eft confacré eft un réfumé de ce que dit ici Dubois. M. Jules Guiffrey a bien voulu rechercher pour moi & a retrouvé dans les regiftres de la correfpondance générale de la maifon du Roi (O1 57, fol. 272) la mention fuivante qui fupplée à l'arrêt du Confeil dont l'original a échappé à nos investigations :

Versailles, 28 novembre 1713.- Lettres fur un arrêt du Confeil en faveur de Pierre de Neufmaison, Claude Audran & Jacques d'Agly, portant permiffion d'établir dans tels lieux du Royaume qu'ils jugeront à propos une manufacture de vernis pour être appliqué fur toutes fortes de toiles & étoffes de laine, de foie, de cuir & autres matières ployables & de toutes couleurs, propres à faire des meubles, & ce pendant l'efpace de vingt années à compter du jour dudit arrest.,,

Ch.-Th. de Murr, dans fa Bibliothèque de peinture & de fculpture (Francfort & Leipzig, 1770, in-8°), fignale un opufcule de Dagly dont le titre a été évidemment reproduit d'une façon incomplète : Recueil des mémoires & des diverfes expériences faites au fujet de la confervation de tableaux avec un difcours fur l'incorruptible (?). Berlin, 1706, in-8°. Le Kunftcatalog de R. Weigel & l'Univerfal Catalogue of books on art publié à Londres en 1869 ne m'ont pas mis à même de rectifier cette lacune.

avoir & a de plus celle de s'employer fur des matières ployables telles que des étoffes, de la toile, du cuir (1). C'est même cette nouvelle propriété qui lui a donné fa dénomination dans le privilège exclufif accordé par lettres patentes du mois de novembre 1713 à l'inventeur & à M. de Neufmaifon, fon affocié, d'appliquer leur vernis, même d'en établir des manufactures en tels lieux du Royaume que bon leur femblera. Ils entendent fort bien les deffins chinois, de manière qu'il fort de leurs mains des morceaux tout à fait dans le goût de la Chine. Ce vernis ployable est d'un ufage général; on en fait toutes fortes de meubles, il fe foutient auprès de celui de la Chine, & quelque tache qui s'y faffe, on l'ôte avec une éponge, même au bout d'un tems confidérable.

Comme la différence qu'il y a entre la tapifferie de haute liffe & celle de baffe liffe eft affez ignorée, ainfi que la manière dont l'une & l'autre fe travaillent, on croit faire plaifir

(1) Un paffage du journal du marquis de Calvières, dont MM. de Goncourt (Portraits intimes du XVIII® fiècle) ont publié quelques fragmens, nous fait connoître un autre emploi de cette préparation :

(2 avril 1722.) Le foir, le Roi, avant ténèbre aux Capucins, joua avec des timbales au volant & rompit les dites timbales, faites de parchemin avec un vernis deffus, façon de la Chine, d'une fabrique nouvelle des Gobelins. "

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