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ARTICLE VI.

Il y eut la nuit du 15 au 16 de février un grand incendie dans la rue Saint-Martin, au coin de la rue Neuve-Saint-Merry, chez un marchand cirier nommé Ferrand. Il occupoit la maison toute entière, en forte qu'à l'exception des chambres du premier étage qui compofoient un appartement affez bien meublé, toutes les autres étoient pleines de foufre, de poix-réfine, de cire, de mèches, d'efprit-devin, de flambeaux, de bougies, &c.; il n'étoit guère qu'une heure lorfque le feu prit au fecond étage, on ne dit point comment. Tout ce qui fe fait, c'eft que le marchand, croyant pouvoir l'éteindre lui feul, n'appela perfonne; auffi des chiffonniers qui paffèrent par hafard, & des femmes qui portoient des herbes à la halle, furent les premiers qui virent cet embrafement; leurs cris éveillèrent tout le quartier, on fonna le tocfin aux églifes les plus proches; le monde accourut; mais lorsqu'on voulut entrer dans la maifon, le marchand étoit fi troublé qu'il ne put trouver les clefs; il fallut enfoncer la porte. Pendant tout ce retardement, le feu augmentoit toujours; sa violence avoit fait sauter les fenêtres & il dégouttoit une fi grande quantité de matières enflammées que perfonne n'ofoit approcher.

On prit le parti de laiffer brûler les dedans jufqu'à ce que le comble tombât & cependant de tâcher de fauver les marchandises de la boutique, de quoi l'on vint presque à bout.

On fit en même tems un réservoir auffi large que la rue avec les eaux des fontaines & des puits qu'on arrêta par des batardeaux. Les archers du guet, avec plufieurs commiffaires, étant arrivés, fe poftèrent autour de la maison & aux avenues pour empêcher le défordre & obliger tout le monde à travailler. Sur les cinq heures on apporta les feaux de la ville & quelque tems après les pompes de M. du Périer (1). Le réservoir ayant été bientôt épuifé, l'on ne trouva point de plus prompt expédient que de dépaver les rues des environs & de crever les tuyaux des fontaines, ce qui fournit de l'eau pendant vingt-quatre heures qu'on ne ceffa point d'en jeter. Ces fecours & le foin qu'on eut d'abattre les communications arrêtèrent l'incendie qui auroit pu embrafer tout le quartier, furtout s'il avoit fait le moindre vent, car les morceaux de feu qui voloient de toutes parts auroient été portés fur les maisons & s'y feroient attachés. On ignore à combien peut aller la perte que ce malheur a caufée, mais il

(1) Voyez un peu plus loin quelques renfeignemens fur ces pompes & fur les privilèges & charges de leur entre

preneur.

n'eft pas poffible qu'elle ne foit fort confidérable. La maifon du marchand a été entièrement brûlée, à la réserve de la cave où le feu ne pénétra point, heureusement pour lui & pour le voisinage, attendu qu'elle étoit pleine de foufre, de cire & d'huile, toutes matières auffi aifées à s'enflammer que difficiles à éteindre. Il n'eft refté que la moitié des deux maifons d'à côté & les voifines ont été fort endommagées; d'ailleurs l'alarme fut telle qu'elle caufa autant de dommage à proportion que le feu même, par la précipitation qu'eut le voisinage de déménager, chacun jetant ses meubles pêle-mêle par les fenêtres & les emportant fans favoir où les mettre : reffource dans une pareille extrémité prefque auffi ruineufe pour l'ordinaire que la perte qu'on veut éviter.

A cette occafion, on remarquera qu'étant d'une fage police de tenir des fecours tout prêts pour les divers accidens, la Ville a pour les incendies un grand nombre de feaux d'ofier doublés de cuir; ils font faits de cette forte afin d'être jetés de haut fans s'endommager (comme il arrivoit aux feaux anciens qui étoient de bois cerclés de fer). Ces feaux font gardés chez les échevins & chez les bourgeois qui l'ont été & ne fervent que dans les embrafemens. Depuis 1705, il y a auffi des pompes femblables à celles de Hollande, compofées de plufieurs tuyaux de cuir

qui entrent l'un dans l'autre, pour empêcher le progrès du feu en élevant l'eau & en la jetant à la hauteur que l'on veut & où l'on veut. Elles font entretenues préfentement aux dépens du Roi. L'ordonnance, qui fut faite au mois de janvier 1716 (1) pour leur renouvellement, porte en substance que « le "Roi étant informé que ces pompes établies en 1705 par les foins du fieur Dupérier, étoient fort négligées depuis 1708 qu'il a ceffé d'être chargé de leur entretien, lequel Sa Majesté veut affurer à perpétuité, Elle "a affigné un fonds annuel de fix mille livres qui fera pris au tréfor royal & remis au "fieur Dupérier pour fatisfaire à toutes les

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dépenfes convenables de ces pompes; qu'outre des quatre qui font & demeureront à l'Hôtel de ville, il en rétablira juf

qu'à la quantité de feize du nombre des 66 vingt qu'il a fournies précédemment, lef- . "quelles feront dépofées, favoir quatre à “l'ordinaire dans l'Hôtel de ville, quatre "dans le couvent des Auguftins près le Pont"Neuf, quatre dans celui des Carmes de la "place Maubert, quatre au couvent de la

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Mercy près l'hôtel de Soubife & quatre

(1) L'ordonnance rappelée est du 22 février 1716. Le privilège accordé à Dumouriez-Dupérier, le 12 octobre 1699, fut renouvelé plufieurs fois & continué en 1770 au fieur Morat.

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« dans la maifon des Auguftins déchauffés près la place des Victoires, & que, pour les fervir & les faire jouer dans les occafions, il inftruira feize gardiens & feize fousgardiens auxquels il fournira à chacun un bonnet particulier pour le porter dans les incendies, afin d'être plus facilement reconnus & commander parmi les autres ouvriers qu'on y emploie. »

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ARTICLE VII.

Il y a eu cette année une prolongation de la foire de Saint-Germain jufqu'au jeudi de la femaine de la Paffion (1).

Autrefois elle ne finiffoit que le jeudi de la même semaine & les marchands déménageoient

(1) La foire Saint-Germain, établie en 1482, s'ouvroit d'ordinaire le 8 février & duroit trois semaines. Son emplacement occupoit à peu près l'efpace du marché SaintGermain actuel, entre les rues Félibien, Mabillon, Lobineau & Clément. On y vendoit de tout, excepté des armes & des livres. Très fréquentée fous la Régence, elle vit tomber peu à peu fa vogue & ceffa vers 1786. En 1762, la charpente qui couvroit les loges fut détruite par un violent incendie. Gabriel de Saint-Aubin a gravé fix vues de cet incendie fur une même planche, & il en avoit lavé un grand deffin à la plume, mêlé d'aquarelle & de gouache, fignalé par M. E. de Goncourt chez M. de La Béraudière.

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