V-LS LA MYTHOLOGIE ET LES FABLES EXPLIQUE'ES PAR L'HISTOIRE. LIVRÉ PREMIER, Qui contient les Questions préliminaires, dont l'intelligence est nécessaire pour l'étude de la Mythologie. VANT que d'entrer dans le détail de la Mythologie, & dans l'explication des Fables qui la composent, j'ai cru qu'il étoit nécessaire d'examiner auparavant plusieurs questions generales, dont l'in telligence sera très-utile à ceux qui liront cet Ouvrage. L CHAPITRE I. Reflexions generales sur la Mythologie. A connoissance de la Mythologie n'est pas fans doute si nécessaire, qu'elle le parut aux premiers Peres de l'Eglise, qui avoient entrepris d'établir la Religion Chrétienne sur la ruine de l'Idolatrie, ou de venger par de Tome 1. * A 4 sçavantes apologies cette même Religion des calomnies qu'on publioit contre elle. Ils devoient pénetrer les mysteres les plus cachés du Paganisme, pour en faire connoître toutes les horreurs ; & ils avoient à répondre à des Philosophes fubtils, qui pour diminuer l'absurdité du culte qu'on leur reprochoit, avoient recours à des explications allégoriques, qui fembloient donner un sens raisonnable aux pratiques les plus impies. De là les Ouvrages de Porphyre, de Jamblique, de Proclus, de Photin, & de plusieurs autres Philosophes Platoniciens. De là les Apologies des Peres des premiers fiécles, S. Justin, Arnobe, Theodoret, Lactance, Clement d'Alexandrie, Tertullien, S. Augustin, &c. La verité a enfin triomphe de l'erreur ; & s'il se trouve encore parmi des Nations grossieres & ignorantes quelques reftes des anciennes superstitions, ce n'est pas la Religion. qui les autorise, elles ont même disparu à mesure que le monde est devenu plus éclairé. J'ose cependant affürer que la connoissance de cette même Mythologie est encore très-utile. Elle fait une partie des Belles-Lettres, & elle sert infiniment à l'intelligence des Poëtes & de quelques Historiens qui racontent les anciennes Fables ou qui y font d'éternelles allusions. On les trouve partout, ees Fables, & elles font encore le sujet de la plupart de nos. Piéces dramatiques ou lyriques, & de nos peintures. Or, on doit convenir. 1°. Que lors qu'on lit les Poëtes, & qu'on trouve ces anciennes fictions qu'ils ont sçû employer avec tant d'art, on a une vive curiofité d'en vouloir pénetrer le fens. 2°. Que des explications heureuses & dégagées de ce fatras d'allégories & de mortalités, qui faisoient tout le fond de nos premiers Mythologues, jettent une grande lumiere sur ces anciens Auteurs, & fervent à les entendre avec plus de facilité. Voilà les justes bornes dans lesquelles je renferme l'utilité de la Mythologie. Je n'ignore pas que nous poffedons fur cette matiere un grand nombre d'ouvrages tant anciens que modernes ; j'ai cru cependant qu'il étoit encore nécessfaire d'en donner un qui fût & plus méthodique & plus complet que ceux que nous avons. Ce que je vais dire de ceux que je connois, prouvera ce ce que je viens d'avancer; après que j'aurai exhorté de bonne foi ceux qui ont quelque talent pour cette matiere, à y travailler ferieusement. Car on se tromperoit si on s'imaginoit que je croye l'avoir épuisée, & on me connoîtroit mal, si on me jugeoit capable de cette basse jalousie qu'on a contre ceux qui portent la faulx dans une moiffon qu'on semble s'être réservée : le champ que je cultive depuis tant d'années est assez vaste pour recevoir plusieurs ouvriers. Comme ces réflexions pourroient être trop étenduës, je me bornerai à examiner dans ce chapitre quelques chefs principaux. Le premier, quelles doivent être les connoissances d'un Mythologue, & quels livres il doit avoir lûs. Le second, quelle utilité il peut tirer des systemes déja imaginés pour l'explication des Fables. Le troisiéme enfin, comment il doit se conduire dans l'explication qu'il veut en donner lui-même. ARTICLE PREMIER. Quelles doivent être les connoissances d'un Mythologue. J'ENTENDS par la Mythologie la connoissance de la Fable, & en même tems de la Religion Payenne, de ses mystéres, de ses cérémonies & du culte dont elle honoroit ses fausses Divinités. On conçoit aifément que pour bien sçavoir la Fable, il faut avoir lû avec soin les Poëtes, Homere & Hefiode, fur tout les Tragiques qui en ont tiré les sujets de leurs Poëmes, & ceux qui en ont fait des Recueils, en vers, comme Ovide; en prose, comme Antoninus Liberalis, Diodore de Sicile, Apollodore, Hygin, & quelques autres, Sçavoir à fond la Fable, n'est à proprement parler, que la premiere démarche du Mythologue. Comme les Fables renferment plusieurs sens, & qu'elles sont comme autant d'enveloppes sous lesquelles les Anciens ont caché plusieurs vérités; ceux qui se sont mis en état de les expliquer, se sont jettés dans differens partis, & chacun a cru y découvrir ce que le tour de son esprit, ou le plan de ses études l'ont porté à y vouloir trouver. Le Physicien y a apperçu les mystéres de la nature; le Politique, des régles pour la conduite des Etats; le Philosophe, la morale; le Chimiste, les secrets de fon art; ainsi des autres. De là tant de systêmes differens, dont il n'y en a pas un seul qui puisse satisfaire à toutes les difficultés qui se rencontrent fur cette matiere, comme on le verra dans la fuite de ces Réfléxions. Les Fables sont de plusieurs fortes. Il y en a d'Historiques, de Physiques, d'Allégoriques, de Morales, & d'autres qui ne sont que de simples Apologues. Les premieres font d'anciennes histoires mêlées de plusieurs fictions: felon moi, elles font le plus grand nombre. Les Fables Physiques, font celles que quelques Poëtes Philosophes inventérent, comme quand on a dit que l'Océan étoit le pere des Fleuves; que la Lune épousa l'air & devint mere de la rosée, & presque toutes les Cosmogonies des anciens Peuples, que je rapporterai dans la fuite. Les Allégoriques étoient une espéce de parabole qui cachoit quelque sens mystique, comme celle qui se trouve dans Platon, de Porus & de Penie, ou des richesses & de la pauvreté, d'où nâquit l'Amour. Les Fables morales font celles qu'on a inventées pour envelopper quelques vérités propres à régler les mœurs; comme celle de Narciffe, dont le but est de rendre ridicule l'amour propre, quand il est pouffé trop loin. Je mets dans le genre des Fables morales tous les apologues, où l'on fait presque toûjours parler les bêtes, pour apprendre aux hommes leurs devoirs, ou pour critiquer leurs défauts. Il y a des Fables inventées à plaifir, qui paroissent n'avoir d'autre fin que de divertir, comme les Fables Milésiennes & les Sybaritides. Enfin il y en a de mixtes, qui avec un fond historique, font cependant des allusions manifestes ou à la morale, ou à la Physique. Le Mythologue doit avoir une extréme attention à démêler & à pénétrer tous ces fens, & ne pas croire qu'une Fable est purement physique ou morale, parce qu'elle fait allusion ou à la morale ou à la physique; ou qu'elle est entierement historique, parce qu'on y découvre quelque évenement; & c'est un écueil que n'ont pas évité la plupart de ceux qui ont voulu expliquer les Fables. Pour ce qui regarde l'intelligence de la Religion payenne & de ses mysteres, dont les Fables faisoient le fond principal, quelles connoissances ne doit pas avoir acquises un Mythologue? Outre tous les Poëtes & les Historiens, il doit avoir lû principalement les Ouvrages des Philofophes qui vêcurent au commencement du Christianisme; & ceux des Peres & des Apologistes de la Religion Chrétienne, qui les attaquoient, ou qui se défendoient de leurs calomnies : j'entends, S. Justin Martyr, Eufebe, Clement d'Alexandrie Lactance, Theodoret, Arnobe, sur-tout les Livres de la Cité de Dieu de S. Augustin. , Pour n'avoir indiqué au Mythologue que ces anciens Auteurs, je ne le dispense pas pour cela, de la lecture d'une infinité d'autres Ouvrages: car, comme une bonne Mythologie, telle que je conçois qu'elle devroit être, doit contenir tout ce qui regarde, outre les dogmes de la Religion payenne & les cerémonies religieuses, toutes les autres branches de cette Théologie; les Prêtres & leurs vêtemens, les Temples, les marques symboliques de leurs Dieux, les Sacrifices, les Victimes differentes, les Mysteres, les Augures & Arufpices, les Oracles, les Sorts, les Jeux, les Fêtes, les Autels, &c. je dois lui indiquer les Auteurs qu'il doit confulter, sans prétendre néanmoins lui en donner une lifte complette. Sur les Temples, les Devins & les Oracles, il doit lire Van - Dale, & le Traité de Jules-Cefar Boulenger; sur les Fêtes, Fasoldus, Castellanus, Jean Jonfton, & Meursius; pour les Jeux, parmi lesquels la Religion étoit mêlée, le même Meurfius; pour les Autels, le Traité qu'en a fait le Père Berthold; pour les Mysteres de Cerès & de Bacchus, Jean-Henri Eggelin, & pour les Bacchanales en particulier, Jean-Nicolas; pour ceux de Cérès ou Eléufiniens, Meurfius, & M. le Clerc qui l'a rendu plus méthodique & plus net; pour ceux de Mithras, M. della Torre Evêqe d'Hadria; pour ceux d'Atys & de Cybele, Laurent Pignorius; pour ceux d'Ifis & d'Ofiris, le Traité de Plutarque fur ce sujet, & le même Pignorius; pour l'Oracle de Dodone en particulier, Herodote, le Fragment d'Etienne de Bizanne le Grammairien, avec les Notes de Tome I. * A iij |