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bouë detrempée dans de l'eau; mais quel étoit ce Promethée qu'il donne pour l'auteur d'un fi bel ouvrage ? c'eft ce qu'on ne fçauroit deviner. Jufques-là le Poëte attribue l'arrangement de l'univers ou à Dieu ou à la nature; & lorsqu'il s'agit de former l'homme, il fait paroître un Promethée, fans qu'il en ait rien dit auparavant. (a) Heliode parle à la verité de Promethée, mais il ne lui donne pas, comme Ovide, la gloire d'avoir formé l'homme. Cet efprit de vie, au refte, que les Poëtes difent que Minerve infpira à l'ouvrage de Promethée, eft visiblement imité des paroles de Moyfe, qui dit que Dieu ayant formé l'homme avec de la bouë, lui fouffla un efprit de vie (1); infpiravit in faciem ejus fpiraculum vita.

(a) Voyez ce qu'on dira de ce Promethée, dans l'Hiftoire de Jupiter.

L

CHAPITRE VII.

La Theogonie des Chinois & des Indiens.

ES Chinois ont commencé à cultiver les Lettres dès les

premiers temps de leur Monarchie, du moins depuis les regnes d'Yao & de Chum, qui vivoient plus de deux mille deux cens ans avant Jefus-Chrift. C'eft une opinion commune & univerfellement reçue par ceux qui ont cherché à approfondir l'origine d'un Peuple fi inconteftablement ancien, que les fils de Noé fe repandirent dans l'Afie Orientale, & qu'il y en eut parmi eux qui penetrerent dans la Chine, peu de fiécles après le Deluge, & y jetterent les premiers fondemens de la plus ancienne Monarchie qu'on connoiffe dans le monde. On ne fçauroit difconvenir que ces premiers Fondateurs, inftruits par une tradition peu éloignée de fa fource, de la grandeur & de la puiffance du premier Etre, n'ayent appris à leurs defcendans à honorer ce fouverain Maître de l'Univers, & à vivre fuivant les principes de la loi naturelle qu'il avoit gravée dans leurs cœurs. Leurs Livres claffiques, dont quelques-uns font du temps même des deux Empereurs que j'ai nommés, ne laiffent auçun lieu d'en douter. Tome I. ୧

(1) Gen. 2

7. 7.

Les Chinois ont cinq de ces Livres, qu'ils nomment les Kink, pour lefquels ils ont une extrême veneration. Quoique ces Livres qui contiennent les Loix fondamentales de l'Etat, ne foient pas des Traités de Religion, & que le but que leurs Auteurs s'étoient propofé, fût de maintenir la paix & la tranquillité de l'Empire; ils font cependant très propres à nous apprendre quelle étoit la Religion de cet ancien Peuple, puifqu'on y trouve à chaque page, que pour parvenir à cette tranquillité & à cette paix, il y avoit deux chofes neceffaires à obferver, les devoirs de la Religion, & les regles d'un bon gouvernement. Il paroît partout que leur culte avoit pour premier objet un Etre Suprême, Seigneur & fouverain Principe de toutes chofes, qu'ils honoroient fous le nom de Changti, c'est-à-dire, Suprême Empereur, ou de Tien, qui dans leur Langue fignifie la même chofe. Tien, difent les Interpretes de ces Livres, c'eft l'Esprit qui prefide au ciel. Il eft vrai que fouvent chez les Chinois, ce mot fignifie auffi le ciel materiel, & que depuis quelques fiecles que l'atheisme s'eft introduit parmi les Lettrés de la Chine, il ne fignifie que cela; mais dans leurs anciens Livres, on entendoit par ce mot, le Maître du ciel, le Souverain du monde. On: y parle à tour propos de la providence du Tien, des châtimens qu'il exerce fur les mauvais Empereurs, des recompenfes qu'il envoye aux bons. Il y eft marqué qu'il fe laiffe flechir aux voeux & aux prieres, que par les facrifices on l'appaife, & qu'on detourne les fleaux dont l'Empire eft menacé, & mille autres chofes qui ne fçauroient convenir qu'à un Etre intelligent. On n'a pour s'en convaincre, qu'à lire les extraits que le Pere du Halde a faits de ces anciens Livres, dans le fecond volume de fa grande Hiftoire de la Chine, & ce qu'il en dit encore au commencement du troifiéme..

La crainte d'être trop long & de m'écarter de mon but, doit me difpenfer de le copier ; mais on ne fçauroit après le long détail où il entre, ne pas conclure avec lui, qu'il papar la doctrine des Livres claffiques des Chinois, que depuis la fondation de l'Empire par Fo-hi, & pendant une longue fuite de fiecles, l'Etre fuprême connu chez eux fous

roît

le nom de Changti ou de Tien, étoit l'objet du culte public, & qu'on le regardoir comme l'ame & le premier mobile du gouvernement de la Nation ; que ce premier Etre étoit craint, honoré, respecté; & que non feulement les Empereurs, qui de tout temps ont été les Chefs & les Pontifes de la Religion, mais les Grands de l'Empire & le peuple connoiffoient qu'ils avoient au-deffus d'euxlun Maître & un Juge, qui fçait recompenfer ceux qui lui obeiffent, & punir ceux qui l'offencent. Il eft certain que fi l'on trouve dans ces anciens Livres, des preuves de la connoiffance que les premiers Chinois ont eu de l'Etre fuprême, & du culte religieux qu'ils lui ont rendu pendant une longue fuite de fiecles, il n'eft pas moins für qu'on n'y voit nul veftige d'un culte idolatrique. Mais cela paroîtra moins furprenant, lorfqu'on fera attention, 1o. que l'Idolatrie ne s'eft repandue dans le monde, que lentement, & de proche en proche ; & qu'ayant vraisemblablement commencé ou dans l'Affyrie, comme le prétend Eufebe, où il ne parut même des Idoles que long-temps après Belus; ou dans la Phenicie, ou dans l'Egypte, comme d'autres le prétendent, elle n'a pas dû penetrer fi-tôt jufqu'à la Chine, Peuple de tout temps fequeftré des autres, & feparé par ·les grandes Indes du centre de l'Idolatrie.

nal des Rites.

2°. Qu'il y a toujours eu à la Chine un Tribunal fuprême (1), (1) Le Tribupour avoir foin des affaires de la Religion, & qu'il a toujours veillé avec la derniere exactitude à fon objet principal. Ainfi il a été bien difficile d'introduire de nouvelles loix & de nouvelles ceremonies chez un Peuple si attaché à ses anciennes traditions. D'ailleurs comme les Chinois ont toujours écrit leur Hiftoire avec un grand foin, & qu'ils ont des Hiftoriens contemporains de tous les faits qu'ils rapportent, on n'auroient pas manqué d'avertir des changemens qui feroient arrivés en matiere de Religion, comme ils l'ont fait dans un grand détail, lorfque l'Idole de Fo & fon culte y ont été introduits.

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Telle fut la Religion dominante de la Chine dans les miers temps de leur Empire: je dis la Religion dominante, parce que le peuple ne laiffoit pas de reconnoître des Esprits fubalternes qui veilloient fur les villes & fur les campagnes,

& il les honoroit d'un culte fuperftitieux, pour leur deman der la fanté, la réuffite dans les affaires, & d'abondantes recoltes. Il s'étoit mêlé dans ce culte plufieurs pratiques fuperftitieufes qui tenoient de la magie, à laquelle ce Peuple a été toujours fort addonné; mais ce n'étoit pas la Religion de Etat; & le Tribunal des Rites a toujours condamné ces fortes de pratiques, quoique fouvent quelques-uns des Mandarins qui le compofoient, les euffent eux-mêmes goûtées.

Ainfi, à parler exactement, les Chinois n'ont point ce que nous appellons Theogonie ou Cofmogonie. Leurs Philofophes, uniquement attachés à la morale, à la politique & à l'hiftoire, ont toujours negligé la physique, & on ne trouve point dans leurs Ecrits, je parle des anciens, ces fyftêmes fi connus en Europe, en Egypte, & dans quelques parties de l'Afie, fur la formation du monde & des corps qui le compofent, & fur les Dieux, dont on a fait tant de Genealogies (a). J'ai dit, leurs Philofophes anciens, parce que les modernes, qui ont voulu donner des efpeces de Cofmogonies, font tombés dans un athéifme femblable à celui de Stra ton & de Spinofa.

On ne trouve pas non plus qu'ils ayent parlé nettement de l'ame, & il paroît qu'ils n'en avoient pas une idée exacte. Neanmoins on ne peut douter qu'ils ne cruffent qu'elle fubfiftoit après la mort, non feulement par les hiftoires d'apparitions, qu'on trouve même dans les Livres de Confucius, le plus fage & le plus éclairé de leurs Philofophes, mais par l'opinion de la Metempsycofe, qu'ils ont reçue depuis plufieurs fiecles.

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Cependant comme l'homme privé de la revelation, & livré aux penchans de fon cœur, a toujours été en proye T'erreur, je fuis bien éloigné de croire que les Chinois en ayent été exempts ; & c'eft avoir une idée bien favorable d'eux, que de penfer qu'ils fe livrerent peut-être un peu plus tard que les autres peuples, aux pratiques idolatres. Regardons les, fi on veut, comme les Philofophes dont parle l'Apôtre,

(a) On peut lire les Extraits que le P. du Halde a faits de ces anciens Livres, fur-tout des Kink, qui font les plus anciens, dans le II. Volume de fon Hiftoire.de

Chine.

qui par les lumieres naturelles s'éleverent jusqu'à la connoif fance du premier Etre ; ne font ils pas auffi coupables qu'eux de l'avoir connu, fans l'avoir glorifié ? Enfin la Secte des Tao-sé parut dans la Chine, près de fix cens ans avant Jesus ́Chrift. Lao-Kiun eft le Philofophe qui en fut l'Auteur. La naissance de cet homme, à en croire fes Difciples, fut des plus extraordinaires: porté quatre-vingts ans dans les flancs de fa mere, il s'ouvrit un paffage par le côté gauche, & caufa la mort à celle qui l'avoit conçu.

La morale de ce Philofophe, approche fort de celle d'Epicure, & il couvrit fa phylique d'une obfcurité impenetrable: je n'en prends que ce qui regarde la Cofmogonie. Le Tao, difoit-il, ou la Raifon a produit Un, Un a produit Deux, Deux ont produit Trois, & Trois ont produit toutes chofes. Toute la felicité de l'homme, felon ce Philofophe, confiftoit dans cet état de l'ame, que les Grecs appelloient Apathie, état où l'homme fans crainte & fans chagrin, doit être exempt de toute inquietude; & comme il eft bien difficile de fe deli vrer de celle de la mort & de l'avenir, ceux qui faifoient profeffion de cette Secte, s'addonnoient à la Magie & à la Chimie, pour trouver le fecret de devenir immortels; se perfuadant que par le miniftere des Efprits qu'ils invoquoient, ils pourroient enfin le trouver. Il y en a eu quelques-uns qui fe font flattés de cette decouverte, par le moyen de certains breuvages qu'ils compofoient, & plus d'un Empereur en a

fait inutilement l'effai.

Lorfqu'on connoît l'efprit de l'homme, on juge bien qu'une Secte qui donnoit de fi flatteuses esperances, fit bien-tôt fortune; & en effet il y eut plufieurs Mandarins qui l'embrasserent, & qui s'addonnerent entierement aux pratiques magiques qu'elle prefcrivoit; mais elle fit de plus grands progrès encore parmi les femmes, naturellement curieuses & extrêmement attachées à la vie. Enfin l'Auteur de la Secte fut mis lui-même au rang des Dieux; on lui éleva un Temple fuperbe, & l'Empereur Hium-Tfong fit porter dans fon Palais la Statue de ce nouveau Dieu. On donna à fes Difciples le nom de Docteurs celeftes, & fes defcendans font encore honorés de la dignité de Mandarins. Ce font eux qui ont

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