sexprime 'S. Paul, suivant les paroles mêmes de ce Poëte, A ces verités speculatives, les Auteurs dont je parle , J'avoue, pour moi, que la lecture des Poëtes m'a donné une toute autre idée de leur Theologie. Il est vrai qu'ils parlent quelquefois de la Divinité d'une maniere sublime mais ils ne se soutiennent nullement sur ce sujet ; & après avoir donné à leurs Dieux les épithetes magnifiques d'Immortels, de Tout-puissants, &c. ils les représentent avec des foiblesses , qui ne conviennent, comme nous venons de le dire , qu'aux derniers des hommes, & aux plus corrompus. Enforte que je suis étonné que de sçavans hommes ayent si fort exalté leur Theologie, pendant que Platon, pour cette même Theologie qui lui paroisfoit fi monstrueuse : les ban-nissoit de la République. Ciceron ne pensoit pas ausli favorablement des Poëtes que les Auteurs dont je parle , il les blâme-au-contraire de nous avoir appris les débauches desDieux, leurs querelles, leurs combats, leurs dissentions: Nec multò abfurdiora sunt ea quæ Poëtarum vocibus fufa , ipfâ fuavia tate nocuerunt , qui e irá inflammatos, da libidine furentes in.' duxerunt Deos , feceruntque ut eorum bella ; pugnas , prælia ,, vulnera videremus , odia præterea, dissidia , discordias , ortus ja interius , querelas, &c. (2) Ce même Auteur dir ailleurs, que (2) De Nac... Siis Deor. L. 1. و ces mêmes Poëtes avoient décrit les débauches des Dieux; leurs adulteres, &c. Il est vrai qu'ils les nomment Immortels, ces Dieux fabuleux, mais en même temps il n'y en a pas un dont ils ne nous apprennent la genealogie ; ils nomment leurs peres , leurs meres, le lieu de leur naissance, & toutes les circonstances de leur vie, depuis leur enfance. Ce sont eux qui nous apprennent que Jupiter, le plus grand des Dieux, étoit fils de Saturne, & que Saturne étoit fils d’Uranus , ainsi des autres. Ils parlent même quelquefois de leurs tombeaux. Dans Homere , le plus grand de leurs Poëtes, on voit les Dieux se quereller, se battre, être blessés par des hommes, & pousser des cris & des plaintes en voyant couler leur sang. Ils se disent à tout propos des injures grossieres. Jupiter & Junon y paroissent toujours dans une mesintelligence scandaleuse entre deux époux. Euripide voulant excufer Phedre, qui avoit conçu pour le fils de son mari une violente palsion , en met la faute sur le compte de Venus , qui vouloit se venger du mepris qu’Hyppolite faisoit de son culte & de ses adorateurs. Une autre tradition, celle qu'a suivi Raci(1) Tragedie ne (1), non moins deshonorable pour Venus , portoit qu'elle se vengeoit ainsi de ce que le Soleil , bisayeul de Phedre, avoit découvert son intrigue avec le Dieu Mars ; & c'est par le même motif de vengence, que cette Déesse avoit inspiré à Pasiphaé, mere de Phedre, cette pallion honteufe qui fit tant de bruit. Dans la même piece , Euripide fait intervenir Diane, & cette Déesse pour consoler Hyppolite mourant , lui dit qu'elle ne sçauroit à la verité changer l'ordre du Destin , mais que pour le venger, elle tuera de sa propre main un des Amans de Venus. Voilà donc ces Dieux si puissans , soumis au Deftin, & qui ne pouvant faire tout le mal qu'ils souhaiteroient, font celui qu'ils peuvent faire. Que peut - on penser d'une Theologie , dont le but a été d'élever l'homme jufqu'aux Dieux, & d'abaisser ces mêmes Dieux, je ne dis pas seulement à la condition des hommes, mais jusqu'à leurs plus grandes foiblesses. Peut-on concevoir rien de plus bizarre que l'idée que les de Phedre. Poëtes donnent de leurs Dieux ? Que dire de ce mêlange de puissance & de foiblesse, d'éternité & de mort, de felicité & de douleur, de tranquillité & de trouble? Que penseronsnous des railleries que fait de ces Dieux Aristophane, dans quelques-unes de les Comedies, & des blasphêmes que vos mit contre eux Eschyle, dans son Promethée ? Mais, dit-on, les Poëtes parlent souvent de la providence des Dieux, & du soin qu'ils prennent des hommes ? Quelle providence ! Choisissons un des évenemens de la fable, où elle brille davantage, & celui que les plus grands Poëtes ont décrit avec plus de soin ; je veux dire la guerre de Troye. Cette guerre fit perir une infinité de gens, & ruina un beau Royaume: elle fut suivie de miseres fans nombre, de tempêr tes, d'incendies, & de tout ce qui accompagne les grandes désolations. Tous les Dieux y prirent parti , l'Olympe fe trouva divisé en deux factions : il n'y eut point d'intrigue, de ressorts , de finesses que chacun des Dieux n'employât ; on ne peut pas assurément les accuser de negligence pendant toute cette guerre ; leur providence ne manqua pas d'emploi. Homere décrit tous leurs mouvemens avec des détails infinis ; les autres Poëtes ont suivi son exemple. C'est donc-là un point de vûë très-propre pour nous convaincre de leur sentiment Theologique sur la providence : voyons donc quel fut le motif de cette guerre ; remontons à la source. S'agissoit-il de châtier une nation impie, de venger l'innocent opprimé, ou les Dieux eux-mêmes méprisés ; ou de donner à l'univers un exemple signalé de justice & d'équité? Rien moins que cela. Il s'agissoit de venger une Déesse du mépris qu’on avoit fait de la beauté. Åu mariage de Thetis & de Pelée, la Discorde jette une pomme pour la plus belle de la compagnie. Les Dieux qui n'osent se rendre arbitres du differend qui n'aît à ce sujet entre trois Déesses, les envoyent en Phrygie subir le juges ment d'un jeune Berger qui étoit en réputation d'équité. Le Berger, que , que chacune des trois Déesses veut seduire par des promesses magnifiques, juge en faveur de Venus ; elle étoic effectivement la plus belle, ainsi il n'y avoit rien à dire à ce jugement. Cependant en voilà assez pour irriter les deux autres. Junon, la fage Junon resout dans ce moment la perte, non pas de Paris, ce qui auroit même été une vengeance fort injufte ; mais celle de tout l’Empire de Priam fon pere, & de toute la Phrygie. L'enlevement d'Helene , femme promise à Paris, devint le signal d'une sanglante guerre. La Grece arme de toutes parts, pendant que Junon par toutes sortes de moyens tâche de mettre la troupe celeste dans son parti. Elle use de mille stratagêmes pour gagner les autres Dieux, & leur fait les promesses les plus touchantes; elle parcourt : toutes les Villes de la Grece pour les animer à la guerre. On assiege la Ville de Troye, & pendant dix ans la Reine des Dieux fait le manége d'une femme forcenée, tâche d'endormir son mari pour l'empêcher de voir la deroute des Troyens , & le reste. Minerve donne l'invention du Cheval de bois : Junon paroît armée , & ouvre ellemême les portes de la Ville, appellant les Grecs, trop lents pour sa vengeance: Hic Juno Scæas sævissima portas Prima tenet , sociumque furens à navibus agmen, (1) En. L. 23 Ferro accincta vocat (1), pendant que Neptune son allié abbat les murailles à à coups de Trident. Les Grecs entrent dans la ville, on y commet mille desordres, qu'il n'est pas nécessaire de décrire ; mais il ne faut pas oublier que Virgile a grand soin de nous faire remarquer qu'il faut les attribuer à la colere & à la vengeance des Dieux Verum inclementia Divům 12) Id. Ib. Has evertit opes , Sternitque à culmine Trojam (2)." La ville de Troye est donc réduite en cendres; Paris, Priam & ses autres enfans massacrés ou faits esclaves; ainsi la colere de Junon devoit être appaisée. Mais chez les Poëtes une Déesse outragée au fujet de fa beauté , ne s'appaise pas si facilement. On la représente pourfuivant avec une rage extrême le reste des Troyens fugitifs; elle veut les empêcher de chercher dans l'Italie la retraite que kes Destins leur promettoient. Troas Amate, pour Troas relliquias Danaúm .... arcebat longè Latio, &c. (1) (1) Id. b. Ici elle supplie d'une maniere indigne Eole, Divinité fubalterne, pour le porter à exciter une tempête contre les ordres de Neptune qui avoit changé de parti, & dont la Proyidence s'interessoit alors pour les Troyens. Tantôt elle tâche d'arrêter Enée en Afrique par les charmes de la volupté. Là elle fait paroître Iris sous la figure de Beroé, pour obliger les Dames Troyennes à brûler leur Flotte. Lorsqu'Enée est arrivé en Italie, elle envoye les Furies chez Turnus & les exciter à le chasser de son pays, & allume une guerre sanglante ; & ne pouvant pas absolument empêcher l'execution des ordres du Desin, elle tâche du moins de la retarder par toutes sortes de moyens. Comme l'arrêt du Destin portoit que Lavinie seroit la femme du Heros Troyen, elle veut que le sang d'une infinité de Phrygiens soit la dot avec laquelle ce Prince achette cette alliance. Non dabitur regnis , esto, prohibere Latinis ; (2) Eneid. L. 7. Ne vetus Indigenas nomen mutare Latinos, (3) Eneid. Peut-on concevoir une vengeange plus complette ? & a-t-on jamais poussé plus loin le ressentiment ? Peut-on en avoir un sujet plus frivole? Tome I. T L. 12. |