CHAPITRE I. rapporter des Theogonies de divers Peuples , fuffiroit pour connoître l'origine de l'Idolâtrie; & certainement cette origine s'y trouve renfermée. Mais il y a tant d'autres choses à dire sur cette matiere, que j'ai cru la devoir traiter separément. S. Epiphane (1) distingue les anciennes Religions en quatre. (1) Adv. hz. Le Barbarisme, qui dure depuis Adam jusqu'à Noé; le Scythisme, depuis Noé jusquà Sarug ; l'Hellenisme, & le Judaisme, qui commença fous Abraham. D'autres Auteurs divisent seulement les Religions de ces premiers temps, en Sabisme & Hellenisme : la division de Saint Epiphane eft plus juste , & elle a pour elle l'Histoire du monde. En effet, d'Adam á Noé tout est inconnu , si on excepte ce qu'en rapporte Moyfe ; ainsi S. Epiphane a pu nommer ce temps, le Barbarisme. Les Nations Scythes ont eu une Religion particuliere , & differente de celle des Grecs & des autres Peuples ; d'ailleurs la dispersion de ces Peuples est très-ancienne : on a donc du mettre leur Religion avant l'Hellenisme, puisqu'une partie des Grecs & leur Religion venoient de Phenicie. L'Hellenisme a dû être mis ausli avant le Judaisme , puisque cette sainte Religion dont Abraham fut le pere & le fondateur, est la reforme des autres, & la barriere la plus ferme contre l'Idolâtrie, qui inondoit la terre du temps de ce faint Patriarche. Cependant la division de S. Epiphane n'a pas été reçue de tous les Sçavans. Le P. Petau dit, qu'elle n'a aucun fondement; & à dire vrai, elle est imparfaite , puisqu'elle ne dit rien du Sabifme , Religion des anciens Perses , qui adoroient le feu, ainsi qu'on peut le voir dans le sçavant Ouvrage de (2) De Reli Thomas Hide (2), & dans Owen (3); dailleurs elle ne renferme (3). De ortui pas totalement l'Egyptianisme, dont parle l'Ecriture Sainte. & progr. Idol. vet. Pers. p. 193 Si l'Idolatrie Au commencement, les hommes ne connoissoient & ne a commencé avant le De- servoient qu'un seul Dieu, Createur , Eternel, Tout-puifluge. sant. Adam forti immediatement des mains de Dieu, en conserva dans sa famille l'idée la plus pure, & on ne sçau- d'un Etre très-parfait , commença insensiblement Le sçavant Maimonides, dans son Traité sur l'origine de l'Idolâtrie, qu'on trouve traduit en Latin dans l'ouvrage que Vosius a fait sur le même sujet , s'explique ainsi. La premiere in origine de l'Idolâtrie doit être rapportée au temps d'Enos, quand les hommes commencerent à étudier le mouvement » des étoiles, & des spheres celestes, & reconnurent, que » Dieu les avoit créées pour gouverner le monde. Ils imagi» nerent que Dieu les avoit placées dans le ciel pour les u faire entrer en partage de la gloire , & pour lui fervir on comme de ininistres; & conclurent que dès-là il étoit de » leur devoir de les honorer. Sur ce fondement, ils com» mençerent à bâtir des Temples aux Etoiles , à leur offrir و a des 9) 5 des sacrifices, & à fe profterner devant elles , pour obtenir des faveurs de celui qui les avoit créées; & ce fut là la premiere origine de l'Idolâtrie. Ce n'est pas qu'ils crussent qu'il n'y avoit point d'autre Dieu que les Altres ; mais ils » étoient persuadés qu'en les adorant, ils accomplissoient la volonté du Createur. Avec le temps certains faux Prophétes s'éleverent, prétendant être envoyés de Dieu, & disant qu'ils avoient des revelations pour faire adorer tel » ou tel Astre, même pour faire offrir des sacrifices à toute » l'armée des cieux; & ils en firent des figures , qu'ils expo» serent au culte public. Là-dessus on commença à placer » leurs représentations dans les Temples, sous les arbres , » & sur le sommet des montagnes. On s'assembla en foule pour venir les adorer, & on rapportoit la prosperité dont on jouissoit , au culte qu'on leur rendoit ..... De-là vint, conclud Maimonides, que le nom de Dieu fut entierement banni de la bouche & du caur des hommes. » Tertullien, sans parler des autres , qui a cru aussi que l'Idolâtrie avoit commencé avant le Deluge, (1) appuyoit son opinion (1) Liv.do fur le Livre d'Henoc ; mais on a fait voir que cet ouvrage, quoique très-ancien , portoit toutes les marques d'un livre apocriphe. C'est aussi le sentiment de la plûpart des plus sçavans Rabbins; 2) Voyez (2) ils se fondent sur un passage de la Genese (3), où il est dit Idolo. R. Jarly, d'Enos, Ifte cæpit invocare nomen Domini ; ce qu'une autre &c. version exprime ainsi : Tunc profanatum est in invocando nomine „l(3) C. 4. V. Domini ; & cette difference vient du mot chalal, qui veut dire également , commencer , & profaner. L'idée que les Livres saints, ainsi que les auteurs profanes, nous donnent des anciens Geants, qu'ils représentent comme des hommes d'une insolence outrée & d'une corruption infinie , confirme assez le sentiment de ces Rabbins : l'entreprise de ces hommes temeraires contre le ciel, ne designe-t'elle pas qu'ils vouloient lui disputer la Souveraineté ? Mais il ne faut pas appuïer davantage sur le temps qui preceda le Deluge ; temps sur lequel Moyse s'est peu étendu, & de ce qu'il en dit, on ne peut rien conclure touchant l'Idolâtrie. Car enfin le passage fur lequel seul on se fonde, eft très difficile à entendre, & Tone 1, V Idol. c. 3• ܪ demanderoit des discussions qui m'éloigneroient trop de mon sujet. On peut consulter la sçavante Dissertation du P. Souciet , & les Reflexions de M. Fourmont , lequel , quoiqu'il convienne qu'on n'en peut rien conclure rien conclure pour l'Idolâtrie d'avant le Deluge, ne laisse pas pour cela de croire qu'elle commença dans ce temps-là, & en assigne cinq causes , qui ont fubfifté également après Noé : l'admiration ; de-là le culte des Aftres, sur tour du Soleil & de la Lune , objets si frappans, fi utiles, & dès-là si propres à attirer le culte des hommes. La tendresse ; une mere n'a qu'un fils qu'elle cherit, elle le perd, en fait faire une Statue , & cette image devient la Divinité tutelaire de la famille; ainsi qu'on le voit dans le Livre de la Sagesse: cet exemple rapporté dans l'Ecriture, n'est pas le seul qu'on puisse citer. La crainte ; tout le monde fçait cet ancien vers , Primus in orbe Deos fecit timor ; & personne n'a jamais mieux connu cette foiblesse des hommes que nos Missionnaires de l'Amerique, qui entendoient dire à tout propos ; si Dieu est bon, il n'a pas besoin de notre culte, les Demons seuls, ou les Genies malfaisants , le meritent, pour les empêcher de nous nuire. De la même source font sans doute fortis parmi les Romains les Dieux Averrunci, c'est-à-dire, qui éloignoient le mal : de-là encore la Déesse Angerona ; la fiévre, les maladies déifiées , & la crainte ellemême, qui devint chez ce Peuple une Divinité. L'esperance; c'est à elle qu'on doit l'origine des Dieux Salutaires, tels qu'Apollon , Esculape, & tant d'autres, sur le fecours defquels on fondoit l'esperance de la guerison. Enfin la fatterie, & il n'est pas necessaire de citer des exemples des Dieux qui lui doivent leur origine. A ces cinq causes on doit en ajouter une fixiéme, la corruption du cour: un coeur corrompu adore les defauts & fes excès ; ses crimes sont ses premieres Divinités. Un Auteur moderne, perfuadé que l'Idolâtrie ne commença qu'après le Deluge, rapporte une cause bien singuliere de fon origine ; felon lui, l'athéisme s'étoit répandu dans le monde. » Cette disposition d'esprit à l'égard de Dieu, dit 2 il, eft le souverain crime; car les Athées sont beaucoup plus odieux à la Divinité que les Idolâtres. De plus ce • sentiment est plus propre à porter les hommes à cette * excessive corruption, dans laquelle le monde tomba avant le Deluge. La connoissance d'un Dieu , continue-t'il, de quelque nature qu'on le conçoive , & le culte de la Di. vinité est de foi propre à servir de bride aux hommes; 2 c'est pourquoi l'Idolâtrie n'a pas été inutile au monde pour o en arrêter la corruption. Il y a donc apparence que les • vices horribles, où tomboient les hommes avant le De luge, ne venoient que de ce qu'ils ne connoissoient point Dieu, & ne le servoient pas. Je crois même que l'Idolav trie & le Polythéisme, après le Deluge, tira son origine de l'impieté & de l'athéisme qui avoit regné avant. C'est là l'esprit des hommes: quand ils ont été severement punis » pour quelque crime , ils se jettent dans un autre extremité. » C'est en effet , dit-il, ce qui arriva aux Juifs : comme ils » furent châtiés très-vigoureusement pour s'être abandonnés à l'Idolâtrie, & avoir négligé la célébration du Sabbat, dereo tour de la Captivité de Babylone ils concurent tant d'hor reur pour les Idoles, qu'ils se porterent plus d'une fois à la revolte, plûtôt que de souffrir que leurs Gouverneurs por• tassent les Enseignes où étoient peintes les Aigles Romaiin nes; & qu'ils se laisserent battre dans différentes occasions, * pour ne pas violer la celebration du Sabbat. Je conjecture, conclut le même Auteur , qu'il est arrivé quelque chose de semblable aux hommes après le Deluge. Comme ils jugerent que cet horrible châtiment, qui portoit des marques si évidentes de la colere de Dieu , étoit arrivé pour punir l’Atheïsme, ils se jetterent dans l'extrémité oppo sée; ils adorerent tout ce qui parut meriter leur culte. On convient aisément avec cet Auteur que l'Atheisme est le plus grand de tous les crimes , & que l'Idolâtrie, malgré tout ce que M. Bayle a dit pour détruire cette prétention , peut fournir contre le déreglement des moeurs, un frein que l'Atheisme ne donne pas ; mais où a-t-il pris que les hommes d'avant le Deluge se fussent portés à cet excès d'impieté ? Il devoit du moins en excepter la race choisie, les descens |