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pour la vérité ce qui n'eft qu'une fiction, & on traitera peutêtre de Fable, la feule circonftance qui renferme la vérité. A-t'on quelques régles pour en faire un jufte difcernement? Oui fans doute: il faut d'abord écarter d'une Fable tout ce qui y paroît furnaturel, tout ce pompeux attirail de fictions qui fautent aux yeux. De tous les combats dont parle Homere, par exemple, ôtez-en d'abord les Dieux qu'il y mêle; donnez à la prudence & à la bonne conduite des Chefs, ce qu'il attribue à Minerve; à la valeur d'Hector, ce qu'il met fur le compte de Mars; dites que le hafard, plûtôt que Pallas, fit rencontrer Ulyffe par Nauficaa fille d'Alcinous, & que le nuage mystérieux dont la Déeffe le couvrit, marquoit les ténebres de la nuit, à la faveur defquelles le Roi d'Ithaque entra fans être reconnu dans la Ville des Phéaciens. Ne croyez pas que Mercure conduifit Priam à la tente d'Achille, comme le raconte Homere; mais dites que ce Roi étant parti la nuit pour aller retirer le corps de fon fils des mains des Grecs déclara en arrivant qu'il venoit avec des préfents, fléchir le vainqueur de fon fils. Si vous voyez qu'une Déeffe a enlevé un Heros du combat, figurez-vous que c'eft une enveloppe qui nous cache fa fuite. Si les Poëtes parlent de Géants dont la tête touchoit les cieux, mettez-vous dans

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l'efprit qu'ils étoient plus monftrueux leurs défordres, que par la grandeur énorme de leur taille. Si on dit qu'Hercule Tépara avec fes deux mains deux montagnes, nommées Calpe & Abyla, qui étant fituées entre l'Afrique & l'Espagne arrêtoient l'Océan, & qu'auffi-tôt la mer entra avec violence dans les terres, & fit ce grand Golfe, qu'on appelle la Méditerranée; vous pourrez croire que du temps de quelque Hercule, car il y en a eu plufieurs, l'Océan fe fit un paffage, à l'aide peut-être d'un tremblement de terre, & fe jetta entre l'Europe & l'Afrique ; & alors vous approcherez beaucoup de la vérité, & vous pourrez vous vanter d'avoir la premiere clef des Fables.

Mais, direz-vous, quand on les a mifes fur le pied des chofes naturelles, tout le refte eft-il vrai ? Non ; & avant que d'en juger, il faut fi l'on peut, confulter les anciens Hiftoriens; & à leur défaut, ( car ils ne rapportent pas toûjours

ces fortes d'événemens) il faut avoir recours aux Médailles, aux Infcriptions, & autres Monumens antiques; & lorfque tout cela manque, il faut fe jetter dans les étymologies, & chercher dans les anciennes Langues le dénouëment de la plûpart de ces anciennes fictions. Il faut examiner avec attention ce qui peut y avoir donné lieu quelquefois un mot équivoque d'une langue que le Poëte n'entendoit pas, l'a porté à débiter une Fable, en préférant fuivant fon goût, la fignification qui tenoit du merveilleux, à celle qui n'offroit rien que de naturel. Il eft vrai qu'on diminue beaucoup de la beauté de ces fictions en les expliquant : dès qu'elles viennent à être dépouillées des ornemens qui les accompagnent, elles ne font plus fi éblouiffantes. Les Fables font le même effet qu'une perfpective dans une décoration; il ne faut pas les voir de trop près. On eft fàché d'apprendre que les Dragons qui jettoient du feu par la bouche, les Tauraux aux cornes d'airain qui gardoient la Toifon d'or, n'étoient qu'une fauffe clef que Médée donna à Jafon pour enlever les tréfors de fon pere, qu'une bonne muraille avec des doubles portes, rendoient inacceffibles. Accoutumés à nous former l'idée d'un grand Heros, lorfqu'on entend parler d'Hercule, on eft furpris de voir partager tant de belles actions entre quelques Marchands qui trafiquent en divers pays, où ils conduifent quelques colonies: de ne voir dans Ganimede enlevé par Jupiter, & dans Hyacinthe tué par Apollon, que deux jeunes Princes, l'un enlevé par un Roi de Lydie & l'autre tué par un accident imprévu dans les ailes de Dédale & d'Icare, un Vaiffeau à voile ; dans tous les changemens d'Acheloüs, des inondations fréquentes, & dans le combat d'Hercule avec le Dieu de ce Fleuve, une digue qui fut élevée pour en arrêter les débordemens. Je ferai voir que le Minotaure, avec Pafiphaé & toute la fuite de la Fable, ne renferme autre chofe que les amours de la Reine de Créte avec un Capitaine nommé Taurus ; & l'artifice de Dédale, qu'un confident habile: que Scylla & Charybde, ces deux monftres redoutables qui dévoroient les paffans, n'étoient que deux rochers près de l'Ifle de Sicile, où les vaiffeaux couroient quelque danger: que le monftre affreux

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qui ravageoit les champs de Troye, n'étoit que les inonda tions de la mer ; & qu'on ne lui a expofé la belle Hefione, que parce qu'elle devoit être la récompenfe de celui qui en arrêteroit le cours que Jupiter ne fe changea pas véritablement en pluie d'or, mais que Prétus corrompit la fidélité des Gardes, pour entrer dans la Tour où Danaé étoit enfermée: que la Fable de Bellerophon qui combat la Chimere, nous apprend feulement que ce Prince défit quelques troupes de Lyciens. Au lieu de représenter Hercule combattant l'Hydre de Lerne, on fera voir un homme qui deffeiche des marais: que Jupiter foudroiant les Géants, eft un Prince qui réprime une fédition: Atlas portant le ciel fur fes épaules, un Roi Aftronome avec une fphére à la main : les pommes d'or du Jardin délicieux des Hefpérides & leur Dragon, des Oranges que quelques dogues gardoient. La vérité doit paroître plus aimable, quelque fimple qu'elle foit, & faire plus. de plaifir fans ornemens, que parée de tout le merveilleux qui l'accompagne dans les Poëtes. (a)

(a) Melius eft quodcumque verum, quam omne quod ex arbitrio fingi potest. Aug. de verâ Religione.

CHAPITRE II I.

Divifion des Fables.

E trouve dans les Poëtes fixfortes de Fables (a); des Fables

Mixtes, & inventées à plaifir..

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Les premieres font d'anciennes Hiftoires, mêlées avec plufieurs fictions; telles font celles qui parlent d'Hercule, de Jafon, &c. au lieu de dire fimplement que ce dernier alla redemander les tréfors que Phrixus avoit emportés dans la Colchide, on a débité la Fable de la Toifon d'or.

Les Fables Philofophiques font celles que les Anciens ont inventées, comme des paraboles propres à envelopper les

(a) Le mot de Fable en Grec eft μ, comme qui diroit, difcours par excellence..

myftéres de leur Philofophie; comme quand on dit que
l'Océan eft le
pere des fleuves, que la Lune époufa l'air, &
devint mere de la rofée.

Les Allégoriques étoient auffi des paraboles où ils cachoient quelque fens myftique, comme celle qui eft dans Platon, de Porus ou de Penie, ou des richeffes & de la pauvreté, d'où nâquit le plailir.

Les Fables Morales font celles que l'on a inventées pour débiter quelques préceptes propres à régler les mœurs, comme celle qui dit (1), que Jupiter envoye pendant le jour les (1) Plau étoiles fur la terre, pour s'informer des actions des hommes; Prol. de Rud. ainfi que les Fables d'Efope, & en général tous les Apologues.

Il y a auffi des Fables Mixtes, mêlées d'allégorie & de morale, & qui n'ont rien d'hiftorique. Telle eft celle d'Até, rapportée par Homere. (2) Selon ce Poëte, Até étoit fille (2) Iliade. 19ỷ de Jupiter; fon nom marque fon caractére & fes inclinations. Elle ne penfoit en effet qu'à faire du mal. Odieufe aux Dieux & aux hommes, Jupiter la faifir par les cheveux, la précipita du haut des Cieux, & fit ferment qu'elle n'y rentreroit jamais.

On voit bien en effet que ce Poëte a voulu reprefenter fous cette Fable le penchant que nous avons au mal, ou le mal même, fous une figure allégorique; car après avoir fait le portrait de cette mauvaife fille, qui parcourt, felon lui, toute la terre avec une célérité incroyable, & fait tout le mal qu'elle peut, il ajoûte que fes foeurs, filles de Jupiter comme elle, qu'il nommer, c'est-à-dire les Prieres, vont toûjours après elle, pour corriger autant qu'il eft en leur pouvoir, le mal qu'elle fait; mais qu'étant boiteufes, elles vont beaucoup plus lentement que leur focur; c'eft-à-dire, que le mal eft toûjours plus prompt & plus réel, que la reparation & le repentir.

Les Fables inventées à plaifir, font celles qui n'ont d'autre (1) Voyez but que de divertir, comme celle de Pfyché (1), & celles l'Aine d'or qu'on nommoit Miléfiennes & Sybaritides.

Les Fables Hiftoriques font aifées à diftinguer, parce qu'il y eft parlé de gens qu'on connoît d'ailleurs. Celles qui font

d'Apulée.

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inventées à plaifir, fe découvrent auffi fort aifément par les contes ridicules qu'elles font de perfonnes inconnuës: le fens des Fables Morales & Allégoriques faute aux yeux pour les Philofophiques, elles font remplies de Profopopées qui animent la nature : l'air & la terre y font fouvent enveloppés fous les noms de Jupiter & de Junon.

Généralement parlant, il y a très-peu de Fables dans les anciens Poëtes, qui ne renferment quelques traits d'Hiftoire; ce ne font que ceux qui font venus après, qui y ont ajoûté des circonftances purement inventées. Quand Homere, par (2) Odyff. exemple, dit (2) qu'Eole avoit donné les vents à Ulyffe enfermés dans une peau, d'où fes compagnons les laifferent échapper, c'est un trait d'Hiftoire enveloppé, qui nous apprend que ce Prince avoit prédit à Ulysse le vent qui devoit fouffler pendant quelques jours, & qu'il ne fit naufrage que pour n'avoir pas voulu fuivre fes confeils; mais quand Virgile (3) Eneid. 1. ajoûte (3) que le même Eole, à la priere de Junon, excita une terrible tempête qui jetta la flote d'Enée fur les côtes d'Afrique, c'eft une pure Fable, fondée fur ce qu'Eole étoit regardé comme le Dieu des Vents. Les Fables même que nous avons appellées Philofophiques, étoient d'abord Hiftoriques, & ce n'eft qu'après coup qu'on y a attaché l'idée des chofes naturelles: de là ces Fables mixtes, pour ainfi parler, qui renferment un fait Hiftorique & un trait de Phyfique, comme celle de Myrrha & de Leucothoé changées en l'arbre qui porte l'encens, & celle de Clytie en Tournefol.

Mais avant que d'entreprendre d'expliquer les Fables, il eft à propos d'en découvrir les fources, & d'en rechercher l'origine ; ce qui fera la matiere du chapitre suivant.

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