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l'enceinte, on s'arrêtoit de temps en temps pour renouveller les
facrifices, & on marquoit les lieux où ils étoient offerts, par un
tas de pierres, qu'on nommoit Cippes. On invoquoit dans ces
facrifices, les Dieux fous la protection defquels on mettoit
la nouvelle Ville, ainfi que les Dieux du pays, nommés Dii
patrii Indigetes; ce qui fe faifoit fecretement, parce que les
Dieux tutelaires de chaque ville devoient être inconnus au
vulgaire. Ovide, dans fes Faftes, nous a confervé la formule
de priere que Romulus adreffa aux Dieux qu'il vouloit rendre
favorables à fon entreprise.

Vox fuit hæc Regis: Condenti Jupiter Urbem
Et genitor Mavors, Veftaque mater ades.
Quofque pium eft adhibere Deos, advertite cuncti,
Aufpicibus vobis hoc mihi furget opus, &c.

Enfin, le jour de la fondation d'une Ville étoit fi refpectable, qu'on en renouvelloit le fouvenir dans une Fête annuelle, & cette fête étoit à Rome celle qu'on nommoit les Palilies, ainfi que nous l'avons dit. M. Blanchard, dans une Dissertation, dont l'extrait eft imprimé dans le troifiéme Tome des Memoires de l'Académie des Belles Lettres (1), rend raison (1) Page 61. de cette céremonie, & de quelques autres qui n'ont pas un rapport effentiel avec la Religion payenne. Ovide a heureufement renfermé toutes ces céremonies dans les vers fuivans (2). (2) Faft. 1. 4. Apta dies legitur, quâ mænia fignet aratro. Sacra Palis fuberant : inde movetur opus, Foffa fit ad folidum, fruges jaciuntur in imâ, Et de vicino terra petita folo.

Foa repletur humo, plenæque imponitur are;
Et novus accenfo finditur igne focus.
Inde premens ftivam defignatmania fulco,

Alba jugum niveo cum bove vacca tulit.

On a vû dans ce Livre l'Hiftoire de l'origine & du progrès de l'Idolâtrie. J'ai parlé de ce qui concernoit le culte rendu aux Dieux; des Temples, des Autels, des Sacrifices, des Prêtres, des Fêtes qu'on célebroit en leur honneur, &c. il refte encore à examiner plufieurs articles importans qui regardent l'Idolâtrie, dont je vais parler dans le Livre fuivant.

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V.LS

LIVRE QUA TRI E' M É, Où l'on traite des Superftitions que l'Idolatrie authorifoit.

E mets au nombre de ces Superftitions, le refpect qu'on avoit pour les Oracles en general, & en particulier pour les Livres des Sibylles, qui étoient à l'égard des Romains, un Oracle permanent qu'ils confultoient dans toutes les occafions; les Préfages, les Prodiges, les Expiations, la Magie, l'Aftrologie judiciaire, la Divination, les Sorts, les Preftiges, les Augures, les Aufpices, & quelques autres.

C

CHAPITRE I

Des Oracles.

OM ME les Oracles, que Seneque définit, la volonté des Dieux annoncée par la bouche des hommes, & que Ciceron nomme simplement le difcours des Dieux, Deorum oratio, tenoient à la Religion payenne, & en faifoient une partie confiderable, leur hiftoire doit entrer dans cette Mythologie.

Rien n'étoit fi fameux que ces Oracles: on les confultoit nonfeulement pour les grandes entreprises, mais même pour de fimples affaires particulieres. Falloit-il faire la guerre ou la paix, établir des Loix, réformer les Etats, en changer la conftitution; on avoit recours à l'Oracle; c'étoit alors l'autorité publique qui agiffoit. Un particulier vouloit-il fe marier, entreprendre un voyage, ou enfin avoit quelqu'autre affaire, ou une maladie dangereufe; il alloit confulter l'Oracle. L'envie de connoître l'avenir, d'affûrer le fuccès de fes projets; la curiofité, fi naturelle à l'homme; tout le portoit à confulter les Dieux qui avoient la réputation de prédire l'avenir; car tous les Dieux n'avoient pas ce crédit. De-là l'établissement des Oracles, l'empreffement à les confulter, & les dons immenfes dont on rempliffoit leurs Temples; car rien ne coûte à l'inquiétude & à la curiofité.

Sur ce principe, on ne peut pas douter que tous les Peuples parmi lesquels a regné l'Idolâtrie, n'aient eu leurs Oracles, ou quelqu'autre moyen de chercher à connoître l'avenir. Aucune Nation n'a jamais manqué d'impofteurs, & de gens avides de gain, qui fe font donné la réputation de connoître & de prédire ce myfterieux avenir. On en a trouvé parmi les peuples les plus barbares & les plus groffiers, tels que les Iroquois, & les autres Sauvages de l'Amerique. Les anciens Gaulois avoient leurs Druides, qui étoient leurs Prophetes: parmi les Pheniciens & les Egyptiens, c'étoient les Prêtres qui avoient cet emploi, & il en a été fans doute de même parmi les autres Nations. Mais comme des recherches particulieres fur les Oracles de tous les Peuples idolâtres, nous meneroient trop loin, & que nous manquons de monumens pour en faire l'histoire, nous nous contenterons de parler des Oracles des Egyptiens, & fur - tout de ceux des Grecs, qui ont été en même temps fi celebres & en fi grand nombre.

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Avant d'entrer dans l'Hiftoire de ces Orales, il eft neceffaire d'examiner en peu de mots deux queftions importantes. Toutes les prédictions qu'on en rapporte, & dont les Auteurs Payens font remplis, étoient-elles le fruit de l'impofture des Prêtres, ou venoient-elles du Demon? Les Orales ont-ils ceflé

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à la venue de Jefus-Chrift? Van-Dale dans un Traité où l'érudition n'eft pas épargnée, a entrepris de prouver que toutes ces prédictions ne venoient que des fourberies de ceux qui avoient foin des Oracles; & qu'ils n'ont pas ceffé quand Jefus-Chrift eft venu au monde. M. de Fontenelle, l'homme le plus propre à enlever d'un Traité heriffé de Grec & de Latin, & qui n'étoit que pour les Sçavans, toute la séchereffe qui le rendoit de peu d'ufage, pour y repandre des or nemens que le miffent à portée de tout le monde, en a formé un Ouvrage, qui a fait affez de bruit pour me dispenser d'en parler plus au long.

Comme l'opinion de Van-Dale parut contredire le fentiment unanime de tous les Peres, & la Tradition conftante de l'Eglife, qui attribuoit du moins une grande partie des reponfes des Oracles au Demon, qui n'étoit pas encore enchaîné, avant la venue de Jefus-Chrift, le Pere Balthus, Jefuite, entreprit dans un fçavant Traité, de venger la Tradition & les Peres ; & fans nier l'impofture des Prêtres, qui fut fouvent mêlée dans les Oracles, il prouve d'une manière également claire & folide, l'intervention du Demon dans des prédictions, que tous les efforts de l'incredulité ne fçauroient attribuer aux feules fourberies des Prêtres. Et. pour le temps de la ceffation de ces Oracles, il prouve avec la même érudition, que s'ils ne cefferent pas entierement à la venue de Jefus-Christ, il eft für qu'ils commencerent à décheoir; que leur reputation ne fut plus fi brillante; qu'on ne les confultoit plus avec tant d'appareil : quoiqu'il foit inconteftable qu'ils ne cefferent entierement que lorfque le Chriftianisme triompha de l'Idolâtrie.

Il eft inutile pour mon deffein, de m'étendre davantage fur ces deux queftions, les piéces du procès étant entre les mains de tout le monde. Cependant je ne fçaurois m'empêcher de faire fur la premiere de ces deux queftions, quelques reflexions très-propres à renverfer le fyftême de Van-Dale. En effet croira-t'on de bonne foi, que fi les Oracles n'étoient que le fruit des fourberies des Prêtres, quelque manége qu'on puiffe leur prêter pour s'inftruire adroitement du fujet qui amenoit ceux qui venoient les confulter de leurs affaires,

de

de leurs projets; croira-t'on dis-je que ces Oracles euffent duré fi long-temps, & fe fuffent foutenus avec tant d'éclat & de reputation, s'ils n'avoient été que l'effet de la fourberie des Prêtres? l'impofture fe dement, le menfonge ne fe foutient pas. D'ailleurs il y avoit trop de temoins, trop de curieux, trop de gens intereffés à ne point fe laiffer feduire. On trompe pendant un temps des particuliers trop credules, mais nullement des Peuples entiers pendant plufieurs fiécles. Quelques Princes amufés par des équivoques, quelque rufe decouverte, quelque libertin trop curieux, cela fuffifoit de refte pour decouvrir le myftere, & faire tomber tout d'un coup le credit de l'Oracle. Combien de gens trompés par des reponses odieuses, avoient interêt de penetrer fi c'étoient les Prêtres eux-mêmes qui les feduifoient. Mais quoi! aucun de ces mêmes Prêtres, attirés par les promeffes & les liberalités effectives de ceux qui n'oublierent rien pour s'éclaircir à fond fur un fujet fi intereffant, ne trahit la cause de ses confreres? Mais il n'y avoit donc point de gens mercenaires en ce tempslà: l'or & les dignités n'étoient donc plus des appas feduifans. Les Prêtres d'un Oracle moins accredité ou entierement déchu, ne reveloient donc pas, ou par defefpoir, ou par vengeance, les impoftures de ceux qui leur enlevoient tout leur gain: eux qui en pratiquant de femblables fourberies, pouvoient bien fe douter du moins de celles des autres. Quel est donc ce concert, inconnu jufqu'à prefent, qui tient contre l'interêt, contre la reputation : qui réunit tant de fourbes dans un fecret fi religieufement obfervé? A ces reflexions le Pere Balthus en ajoute une autre, tirée des Sacrifices humains que les Oracles demandoient; puifque l'homme, dit-il, quelque maîtrisé qu'il foit par fes paffions, n'auroit jamais exigé de femblables victimes.

J'ai dit que tous les Dieux n'étoient pas des Dieux à Oracles; car anciennement il n'y avoit gueres que Themis, Jupiter, & Apollon qui en rendiffent; mais dans la fuite ce privilege fut accordé à presque tous les Dieux, & à un grand nombre de Heros, comme on le verra dans la fuite.

Pour confulter l'Oracle, il falloit choifir le temps où l'on croyoit que les Dieux en rendoient; car tous les jours n'étoient Tome I.

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