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même fes Oracles en vers; dans la fuite, on fe contentoit de les rendre en profe aux Confultans; ce que Plutarque regarde comme une caufe de la décadence de l'Oracle. Il y avoit pour cet Oracle plufieurs autres Miniftres, dont on peut voir les noms & les fonctions dans la troifiéme Differtation de M. Hardion; enforte, comme le dit M. de Fontenelle, que toute la ville de Delphes vivoit opulemment de l'Oracle. Comme le Sanctuaire où étoit la Pythie, étoit caché par des branches de laurier; que la Prêtreffe étoit environnée des Prophetes & des Poëtes, & qu'il y avoit encore deux rangs de femmes qui empêchoient les profanes d'en approcher, il étoit difficile de fçavoir précisément ce qui s'y paffoit; & fans quelques curieux qui avoient pénétré plus avant dans le fecret des Prêtres, nous n'aurions pas pu parler fi pofitivement que nous l'avons fait, de la maniere dont cet Oracle se rendoit. ARTICLE

I V.

L'Oracle de Trophonius.

QUOIQUE Trophonius n'ait eté qu'un Heros, & même fuivant quelques Auteurs, un brigand & un fcelerat, il eut pourtant un Oracle qui devint très-fameux dans la Béotie, & auquel on pratiquoit de grandes céremonies, avant que d'en obtenir la réponse. Comme personne n'en a parlé avec plus de connoiffance & plus de détail que Paufanias, qui l'avoit confulté, & en avoit effuyé les fatigantes pratiques, (1) In Beot. on nefçauroit mieux faire que de rapporter ce qu'il dit (1) de ce perfonnage, & de fon Oracle. Erginus, dit-il, fils de Clymenes Roi d'Orchomene, étant parvenu à un âge fort avancé, & voulant se marier, alla confulter l'Oracle d'Apollon, pour fçavoir s'il auroit des enfans. La Pythie embarraffée, lui répondit en termes énigmatiques, que quoiqu'il s'en avisât bien tard, il pouvoit cependant beaucoup efperer d'une jeune femme. Conformement à cette réponse il époufa une jeune perfonne, & en eur deux fils, Trophonius & Agamede, qui devinrent l'un & l'autre dans la fuite de grands Architectes. Ce furent eux qui bâtirent le Temple d'Apollon à Delphes, & un Edifice pour les trésors d'Hyrieus. En conftruifant ce der

nier bâtiment, il y avoient pratiqué un fecret, dont eux feuls avoient connoiffance : une pierre qu'ils fçavoient ôter & remettre fans qu'il y parût, leur donnoit moyen de voler chaque nuit l'argent d'Hyrieus, lequel le voyant diminuer fans qu'on eût ouvert les portes, s'avifa de tendre un piege autour des vafes qui renfermoient fon tréfor, & Agamede y fut pris.Trophonius ne fçachant comment le dégager,& craignant que s'il étoit mis le lendemain à la queftion, il ne découvrît le myftere, lui coupa la tête.

Sans entrer dans la critique de cette hiftoire, qui semble être une copie de celle qu'Herodote raconte au long d'un Roi d'Egypte, & de deux freres qui lui voloient fon tréfor par un femblable ftratagéme, je dois faire obferver que Paufanias ne nous apprend rien de la vie de Trophonius, & qu'il dit feulement que la terre s'étant entr'ouverte fous fes pieds, il fut englouti tout vivant dans cette foffe, que l'on nomme encore aujourd'hui la foffe d'Agamede, & qui fe voit dans un Bois facré de Lébadée, avec une colonne que l'on a élevée au-dessus.

La mort de ces deux freres eft racontée autrement par Plutarque, qui cite Pindare. Après la conftruction du Temple de Delphes, dont Apollon avoit jetté lui-même les fondemens, au rapport d'Homere, ils demanderent leur récompenfe à ce Dieu, lequel leur ordonna d'attendre huit jours, & cependant de faire bonne chere; mais au bout de ce terme ils furent trouvés morts.

Lébadée, continue Paufanias, eft une ville auffi ornée qu'il y en ait dans toute la Grece le Bois facré de Trophonius, n'en eft que fort peu éloigné, & c'eft dans ce Bois qu'eft le Temple de Trophonius avec fa Statue, qui eft un Ouvrage de Praxitele. Lorfqu'on vient confulter fon Oracle, il faut pratiquer certaines ceremonies. Avant que de defcendre dans l'antre où l'on reçoit la réponse, il faut paffer quelques jours dans une Chapelle dediée au bon Genie & à la Fortune. Ce temps eft employé à fe purifier, par l'abftinence de toutes les chofes illicites, & à faire ufage du bain froid, car les bains chauds font défendus ; ainfi on ne peut fe laver que dans l'eau du fleuve Hercine. On facrifie à Trophonius

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& à toute fa famille, à Jupiter furnommé Roi, à Saturne, à une Cerès Europe, qu'on croyoit avoir été nourrice de Trophonius; & on ne vit que de chairs facrifiées. Il falloit auffi confulter les entrailles de toutes les Victimes, pour sçavoir fi Trophonius trouvoit bon qu'on defcendît dans fon antre; fur-tout celles d'un belier, qu'on immoloit en dernier lieu. Si les aufpices étoient favorables, on menoit le Confultant la nuit au fleuve Hercine, où deux enfans de douze ou treize ans lui frottoient tout le corps d'huile. Enfuite on le conduifoit jufqu'à la fource du fleuve, & on l'y faifoit boire de deux fortes d'eau ; celle de Lethé, qui effaçoit de l'efprit toutes. les pensées profanes, & celle de Mnemofyne qui avoit la vertu de faire retenir tout ce qu'on devoit voir dans l'antre facré. Après tous ces préparatifs, on faifoit voir la Statue de Trophonius, à qui il falloit faire une priere: on étoit revétu d'une tunique de lin, & orné de bandelettes facrées; enfuite de quoi on étoit conduit à l'Oracle.

Čet Oracle étoit fur une montagne, dans une enceinte faite de pierres blanches, fur laquelle s'élevoient des Obelisques d'airain. Dans cette enceinte étoit une caverne de la figure d'un four, taillée de main d'homme. Là, s'ouvroit un trou assez étroit, où l'on ne defcendoit point par des degrés, mais avec de petites échelles. Lorfqu'on y étoit defcendu, on trouvoit encore une petite caverne, dont l'entrée étoit affez étroite: on fe couchoit à terre; on prenoit dans chaque main certaines compofitions de miel, qu'il falloit neceffairement porter; on paffoit les pieds dans l'ouverture de cette feconde caverne, & auffi-tôt on fe fentoit emporté au-dedans avec beaucoup de force & de vîteffe.

C'étoit là que l'avenir fe declaroit, mais non pas à tous de la même maniere : les uns voyoient, les autres entendoient. On fortoit de l'antre couché à terre, comme on y étoit entré, & les pieds les premiers. Auffi-tôt on étoit mis dans la chaife de Mnemofyne, où l'on demandoit au Confultant ce qu'il avoit vû ou entendu de-là on le ramenoit, encore tout étourdi, dans la Chapelle du bon Genie, & on lui laiffoit le temps de reprendre fes fens; après quoi il étoit obligé d'écrire fur un Tableau, tout ce qu'il avoit vû ou entendu; ce

que les Prêtres apparemment interprétoient à leur maniere. Paufanias ajoute qu'il n'y avoit jamais eu qu'un homme qui fût entré dans l'antre de Trophonius, & qui n'en fût pas forti. C'étoit un efpion que Demetrius y avoit envoyé, pour voir s'il n'y avoit pas dans ce lieu faint quelque chofe qui fût bon à piller. Son corps fut trouvé loin de-là, & il y a apparence que fon deffein étant découvert, les Prêtres le maffacrerent dans l'antre même, & le firent fortir par quelque iffue, par laquelle ils entroient eux-mêmes dans la caverne, fans qu'on s'en apperçût. Ce même Auteur dit à la fin: Ce que j'écris ici, n'eft pas fondé fur un oui-dire ; je rapporte ce que j'ai vû arriver aux autres, & ce qui m'est arrivé à moi-même : car pour m'afsurer de la verité, j'ai voulu defcendre dans l'antre, & confulter l'Oracle.

Plutarque qui dit que de fon temps tous les Oracles de la Beotie avoient ceffé, à la referve de celui de Trophonius parle dans fon Traité du Genie de Socrate, d'un certain Timarque, qui raconte ce qu'il prétendoit avoir vû dans l'antre de Trophonius; mais c'étoit apparemment un impofteur, qui en rapporte des chofes fort extraordinaires, & qui merite beaucoup moins d'être cru que Paufanias.

On ignore en quel temps l'Oracle de Trophonius fut établi: on fçait feulement par Paufanias, qu'il étoit ignoré dans la Beotie même, lorfqu'une grande fechereffe affligeant cette contrée, on eut recours à Apollon de Delphes, pour apprendre de ce Dieu le moyen de faire ceffer la fterilité. La Pythie répondit que c'étoit à Trophonius qu'il falloit avoir recours, & qu'on devoit l'aller chercher à Lébadée. Les Députés obéirent; mais comme ils ne pouvoient trouver d'Oracle en cette ville, Saon le plus âgé d'eux, apperçût un effain d'abeilles, & obferva de quel côté il tournoit. Il vit que ces abeilles voloient vers un antre; il les fuivit, & découvrit ainfi l'Oracle. On dit, c'est toujours Paufanias qui parle, que Trophonius l'inftruifit lui-même de toutes les ceremonies de fon culte, & & de la maniere dont il vouloit être honoré & confulté ; ce qui me fait croire que c'eft ce Saon qui eft lui-même le fondateur de cet Oracle, qui fut fans doute établi à l'occafion de la fterilité dont on vient de parler.

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APRE's avoir parlé affez au long des principaux Oracles, il eft bon de dire quelque chofe de ceux qui étoient moins célebres. Apollon étoit celui des Dieux, qui en avoit le plus grand nombre. Celui de Claros, ville d'Ionie, près de Colophon, quoique moins ancien que plufieurs autres, étoit cependant très-fameux, & très fouvent confulté. On croit que la ville de Claros fut fondée par Manto, fille de Tiresias, après la feconde guerre de Thebes, quelques années avant l'époque de la prife de Troye. Cette fille, dont l'Antiquité conte plufieurs merveilles fur le don qu'elle avoit de prédire l'avenir, déplorant les malheurs de fa Patrie, fondit en larmes, & fes pleurs formerent une fontaine & un lac, dont l'eau, lorsqu'on en bûvoit, communiquoit le don de Prophetie: mais comme cette eau n'étoit pas faine, elle causoit aussi (1) Liv. 2. des maladies & abregeoit la vie. Pline qui en parle (1) s'exprime ainfi Colophone in Apollinis Clarii fpecu lacus eft, cujus potu mira redduntur oracula, bibentium breviore vitâ.

ch. 103.

Ethn. dur.

tu. p. 159.

Le même Dieu en avoit grand nombre d'autres, dont je (2) De Orac. vais, après Van-Dale (1), nommer les principaux. Il y en avoit atque interi- un, & qui fut très célebre, dans le fauxbourg de Daphné Antioche. Selon Lucain, un dans l'Ifle de Delos, où l'on croyoit qu'il étoit né. Selon Herodote, un à Didyme chez les Branchides. Un à Argos, comme nous l'apprend Paufanias. Dans la Troade, & dans l'Æolide, fuivant Stephanus; à Bayes en Italie, ainfi qu'on l'apprend de Capitolin; dans la Cilicie, en Egypte, dans les Alpes, dans la Thrace, à Corinthe, dans l'Arcadie, dans la Laconie; enfin, dans une infinité d'autres endroits, comme on peut le voir dans l'endroit de l'Auteur moderne que je viens de citer.

Quoique les autres Dieux fuffent moins bien partagés qu'Apollon, le Dieu de la divination, ils avoient pourtant pref que tous des Oracles. Jupiter, outre celui de Dodone, & quelques autres dont il partageoit l'honneur avec Apollon, en avoit un dans la Beotie, fous le nom de Jupiter le foudroyant,

&

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