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quoiqu'on en dife, il eft impoffible d'expliquer autrement tout ce que l'Antiquité nous apprend fur ces reponfes; cependant je fuis très-convaincu que les fourberies des Prêtres y ont eu fouvent, & le plus fouvent, fi on veut, beaucoup de part, & que dès-là on doit croire qu'ils n'avoient rien negligé pour foutenir leurs impoftures. Ce que Daniel fit pour decouvrir celle des Prêtres de Belus, qui alloient la nuit par des chemins fouterrains, enlever les viandes qu'ils difoient que le Dieu lui-même venoit manger, eft une preuve convaincante des fourberies qui fe pratiquoient dans les Temples des Payens; preuve qui ne laiffe pas lieu de douter que dans les Oracles on n'en pratiquât de femblables. Auffi quand la Religion Chrétienne eut une fois triomphé de l'Idolâtrie, & que les Oracles furent tombés avec elle, on découvrit dans les antres & dans les cavernes où il y avoit eu des Oracles, plufieurs marques de la fupercherie & de l'impofture des Miniftres qui en avoient eu foin.

Il ne faut pas croire au refte, que tous les Oracles dont nous venons de parler, & ceux dont l'Antiquité ne nous fournit que les noms, ayent fubfifté dans le même temps : il y en avoit de toutes fortes de dates, depuis celui de Dodone qui étoit regardé comme le plus ancien, jufqu'à celui d'Antinous qu'on peut regarder comme le dernier. Quelquefois même les anciens ne duroient pas toujours. Leur credit fe perdoit, ou par la découverte des impoftures de leurs Miniftres, ou par les guerres qui ravageoient les lieux où ils étoient, ou par d'autres accidens qu'on ignore. On fçait que les immenfes richeffes qui étoient à Delphes, avoient fouvent excité l'envie de les enlever; ce qui arriva plus d'une fois, fans cependant que ces pillages euffent fait ceffer cet Oracle (a).

A la perte de ceux-là en fuccedoient de nouveaux qu'on avoit foin d'établir, & ceux-ci de même faifoient place à d'autres; mais le temps de la décadence de plufieurs de ces Oracles, & de l'inftitution des nouveaux, ne nous eft pas connu.

(a) Il fut pillé par un Brigand, defcendu des Phlegréens, par les Phocéens, par Pyrrhus, par Neron, & enfin par les Chrétiens.

A

ARTICLE VI.

Manieres dont fe rendoient les Oracles.

ENFIN, avant que de terminer ce qui concerne cette matiere, je dois examiner deux chefs, que je n'ai fait qu'indiquer dans quelques endroits de ce Chapitre. Le premier regarde les differentes manieres dont fe rendoient les Oracles: le fecond, les reponfes fingulieres dont l'Antiquité nous a confervé le fouvenir.

il

Nous avons vû de quelle maniere fe rendoient plufieurs Oracles; qu'à Delphes, on interprétoit & on mettoit en vers, ce que la Pythie avoit prononcé dans le temps de fa fureur; qu'à l'Oracle d'Ammon, c'étoient les Prêtres qui annonçoient la reponse de leur Dieu; qu'à Dodone, la reponse fortoit du creux d'un chêne : qu'à l'Antre de Trophonius, on recueilloit l'Oracle fur ce que difoit le confultant, avant qu'il fût rentré dans fon bon fens ; qu'à Memphis, on tiroit un bon ou un mauvais augure, fur ce que fur ce que le boeuf Apis prenoit, ou rejettoit ce qu'on lui prefentoit, & qu'il en étoit de même des poiffons de la fontaine de Limyre. Il faut ajouter maintenant que fouvent la reponfe du Dieu, fortoit du fond de fa Statue, foit que le Demon y rendît fes Oracles, foit que les Prêtres euffent trouvé le moyen de creufer ces Statues, & de s'y introduire par des chemins foûterrains: car, pour le repeter encore, n'étoit pas permis aux confultans d'entrer dans les Sanctuaires où fe rendoient les Oracles, encore moins de paroître trop curieux fur cet article. Auffi en éloignoit-on avec foin les Epicuriens & les Chrétiens, & il n'eft pas difficile d'en deviner la raifon. Dans plufieurs endroits les Oracles fe rendoient par des billets cachetés, comme à celui de Mopfus, & à Malles dans la Cilicie. Celui qui venoit confulter ces Oracles, étoit obligé de remettre fon billet aux Prêtres, ou de le laiffer fur l'Autel, & de coucher dans le Temple; & c'étoit pendant le fommeil qu'il recevoit la reponse à fon billet, foit que les Prêtres euffent le fecret de decacheter ces billets, comme Lucien l'affûre de fon faux Prophete Alexandre (1), qui (1) ia Alex, avoit établi fon Oracle dans le Pont; foit qu'il y eût quelque chofe de furnaturel.

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La maniere dont fe rendoit l'Oracle à Claros étoit encore plus finguliere, puifqu'il fuffifoit de dire fon nom aux Prêtres qui le deffervoient; Tacite eft mon garant. » Germanicus, ditil, alla confulter l'Oracle de Claros. Ce n'eft point une femme qui y rend les reponfes du Dieu, comme à Delphes; mais un homme qu'on choifit dans de certaines familles, & qui eft prefque toujours de Milet: il fuffit de lui dire le nombre, & les noms de ceux qui viennent le confulter. Enfuite il fe retire dans une Grotte, & ayant pris de » l'eau d'une fource qui y eft cachée, il vous repond en vers, à ce que vous avez dans l'efprit, quoique le plus fouvent il foit très-ignorant ».

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Parmi les Oracles qui fe rendoient en fonge, il y en avoit aufquels il falloit fe préparer par des jeûnes, comme nous l'ap(1) Vie d'Ap. prend Philoftrate de celui d'Amphiaraus (1) dans l'Attique; & d'autres où l'on étoit obligé de dormir fur des peaux Victimes.

de Thyane

Liv. 2.

de

Un des Oracles des plus finguliers étoit celui de Mercure, (2) in Achai. dans l'Achaie, duquel parle Paufanias (2). Après beaucoup de ceremonies, dont le détail n'eft pas ici neceffaire, on parloit au Dieu à l'oreille, & on lui demandoit ce qu'on avoit envie de fçavoir : ensuite on se boûchoit les oreilles avec les mains, on fortoit du Temple, & les premieres paroles qu'on entendoit au fortir de là, c'étoit la reponfe de Mercure.

Souvent les Oracles fe rendoient par le Sort, & c'eft ce qu'il faut expliquer. Les Sorts étoient des efpeces de dez, fur lefquels étoient gravés quelques caracteres, ou quelques mots, dont on alloit chercher l'explication dans des tables faites exprès. L'ufage de fe fervir de ces dez pour connoître l'avenir, étoit different, fuivant les lieux où on les employoit. Dans quelques Temples on les jettoit foi-même; dans d'autres on les faifoit fortir d'un cornet, d'où vint cette maniere de proverbe; le Sort est tombé. Ce jeu de dez étoit toujours precedé des Sacrifices & des autres ceremonies ufitées.

Il y avoit de ces Sorts dans plufieurs Oracles, même à Dodone, comme il paroît par la confultation qu'y allerent rapporte Ciceron (3); mais les Sorts les plus celebres étoient à Antium & à Preneste,

(3) de Divin. faire les Lacedemoniens, ainfi que le

Liv. I.

deux

(2) De Div.

lib. I.

deux villes d'Italie. A Prenefte, c'étoit la Fortune, & à Antium les Fortunes ; c'étoient des ftatues qui repréfentoient cette Déeffe. Celles d'Antium avoient cela de remarquable, qu'elles se remuoient d'elles-mêmes, felon le témoignage de Macrobe (1); & leurs mouvemens differents, ou fervoient de réponse, (1) Sat. 1. 1. ou marquoient fi l'on pouvoit confulter les Sorts. Un paffage ch.32. de Ciceron, où il dit (2) que l'on confultoit les Sorts de Preneste par le confentement de la Fortune, pourroit faire croire que la Fortune qui étoit dans cette ville, étoit comme celles d'Antium, une efpece d'automate, qui faifoit quelque figne de la tête, à peu près comme celle de Jupiter Ammon, que nous avons dit avoir ainsi averti les Prêtres qui le portoient en proceffion, du chemin qu'ils devoient tenir. Un évenement raconté par Suetone, mit fans doute les Sorts de Prenefte en grand credit, contre l'intention de Tibere, qui vouloit les détruire; puifqu'ils ne fe trouverent point dans un coffre bien fcellé, lorfque le coffre fut ouvert à Rome, & qu'ils s'y retrouverent lorfqu'on l'eut reporté à Preneste.

Dans la Grece & dans l'Italie, on tiroit fouvent les Sorts, de quelque Poëte celebre, comme d'Homere & d'Euripide; & ce qui fe prefentoit à l'ouverture du Livre, étoit l'Arrêt du Ciel; l'Hiftoire en fournit mille exemples. Rien n'eft plus commun encore que les Sorts Virgiliens, qu'on tiroit des vers de ce Poëte. Lampridius nous apprend qu'Alexandre Severe, étant encore particulier, & dans le temps que l'Empereur Heliogabale ne lui vouloit pas de bien, reçut pour réponse dans le Temple de Preneste, cet endroit de Virgile, dont le fens eft, fi tu peus furmonter les Deftins contraires, tu feras Marcellus (1).

Dans l'Orient les Sorts étoient des fléches, & aujourd'hui les Turcs & les Arabes s'en fervent de la même maniere que les Anciens. Nous apprenons du Prophete Ezechiel que Nabuchodonofor érant forti de Babylone avec une groffe armée, s'arrêta dans un carrefour, pour fçavoir par le moyen des flêches, qu'il mêla, miscuit fagittas, s'il iroit faire la guerre en Egypte, ou contre les Juifs; & le Prophete ajoute, que le fort tomba fur Jerufalem. On peut mettre dans ce genre la confultation des Livres Sibyllins, qui étoient regarTome I.

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(3) En. liv. 6,

Reponfes Angulieres de

Telques Or..

dés à Rome, comme un Oracle continuel; mais j'en parlerai au long dans l'hiftoire de ces Prophéteffes.

Enfin les Sorts pafferent jufques dans le Christianisme, & on les prenoit dans les Livres facrés, dont les premiers mots qui fe rencontroient, étoient la décifion de ce qu'on vouloit fçavoir. Finiffons en rapportant quelques réponses fingulieres des Oracles.

L'ambiguité étoit ordinaire dans les réponses des Oracles, & le double fens qu'elles contenoient, ne pouvoit que leur être favorable, puisqu'en les interprétant d'une certaine maniere, qu'elles pouvoient comporter, l'Oracle avoit prefque toujours raison. Ainsi la réponse donnée à Crefus par la Prêtreffe de Delphes, ne pouvoit manquer de paroître une vraie prédiction. Crefus, avoit dit la Pythie, en paffant l'Halis, renverfera un grand Empire: car fi ce Roi de Lydie avoit vaincu Cyrus, il renverfoit l'Empire des Affyriens; s'il étoit vaincu lui-même, c'étoit le fien qui étoit renversé.

Celle qui avoit été donnée à Pyrrhus, & qu'on a renfermée dans ce vers Latin: Credo equidem Eacidas Romanos vincere poffe, avoit le même avantage : car les deux Accusatifs, par les regles de la Syntaxe, peuvent également regir le verbe, & le vers être expliqué, ou en difant que les Romains pourront vaincre les Eacides, defquels defcendoit Pyrrhus, ou que ceux-ci pourront vaincre les Romains.

Lorfqu'Alexandre tomba malade à Babylone, quelques-uns 'de fes Courtifans qui fe trouverent en Egypte, ou qui y alle rent exprès, pafferent la nuit dans le Temple de Serapis, pour lui demander s'il ne feroit pas à propos de lui faire apporter le Roi, afin qu'il le guerît. Le Dieu répondit qu'il valoit mieux qu'Alexandre demeurât où il étoit. Il avoit raison, quoiqu'il arrivât: fi le Roi recouvroit la fanté, quelle gloire pour Serapis de lui avoir épargné la fatigue du voyage! s'il mouroit, c'est qu'il lui étoit avantageux de mourir après des conquêtes qu'il ne pouvoit ni augmenter ni conferver. C'eft effectivement le fens qu'on donna à cette réponse: au lieu que fi Alexandre fût mort dans le voyage qu'il eût fait, au

(*) Ciceron nie que cette réponse ait jamais été donnée.

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