CHAPITRE I V. Conječtures sur Porigine des Fables. LA té. A vanité a été sans doute la premiere source des Fables : Premiere la vérité n'ayant pas toujours paru assez belle ni assez source des Faamusante , les hommes ont crû qu'elle avoit besoin bles. La Vanig pour paroître, d'être parée d'ornemens étrangers (a) ; ainsi ceux qui ont raconté les premiers les actions de leurs Heros, y ont mêlé mille fictions, soit qu'ils ayent voulu les rendre par là plus recommandables, ou porter à la vertu ceux qui les écoutoient, en leur proposant de grands exemples. Mais ils fçavoient bien peu ce que c'étoit que la vérisable vertu, puisque pour la rendre aimable , il faut la faire paroître dans des modéles qu'on puisse imiter , & que ceux qu'ils proposoient , étoient inimitables. J'ajoûterai qu'il s'entendoient bien mal en belle gloire , puisqu'ils mêlent , sans y penser , dans l'Histoire de ces prétenduës belles actions, des circonstances de rabais qui ôtent à leurs Heros tout le mérite qui pourroit rejaillir sur eux. Si Persée tuë Meduse, il la surprend dans le sommeil : s'il délivre Andromede, il a les ailes de Mercure. Si Bellerophon devient le vainqueur de la Chimere, il est monté fur le cheval Pégase. Achille est couvert des armes que Vulcain lui avoit faites , & il est invulnérable. Jafon ne tuë le Dragon, que lorsque Medée lui a donné un breuvage pour endormir ce monstre ; & Thesée a besoin du fil d'Ariadne, pour sortir du labyrinthe. Concluons avec M. Despreaux, que Rien n'est beau que le vrai , le vrai seul est aimable ; Venons à la feconde source. (a) Voyez le Projet du Livre sur ce sujet, publié par le P. Tournomine dane les Journaux de Trevoux, en 1702. Seconde tres les racon événemens & les belles actions n'avoient d'autres monumens hieroglyfes obscurs, & dont le sens toûjours ambigu , pou- peres fource. après leur mort & les jours de leurs Fêtes, dans des Panés quence des gyriques érudiés , où de jeunes Rhéteurs, dont on vouloit Orateurs la vanité des (a) Il y avoit encore quelques autres moyens de conserver l'Histoite ; comme Historiens, les Fétes établies pour perpétuer le souvenir de quelque grand événement. On en éprouver fource. La fausse élo & éprouver le génie par ces coups d'essai, se donnoient une entiére liberté de feindre & d'inventer, croyant par là se donner la réputation de bel esprit. Ainsi ils s'étudioient à faire voir les Heros , non tels qu'ils avoient été, mais tels qu'ils auroient dû être, suivant l'idée chimérique de grandeur qu'ils s'étoient formée. Ils ne manquoient pas sur-tout de les élever jusqu'au ciel & de leur donner de la divinité sans aucun ménagement; c'étoit le titre de noblesse le plus recherché dans les premiers temps. Bien loin de blâmer ces Orateurs , on les loüoit d'avoir l'esprit inventif ; on gardoit leurs meilleures Piéces, on les apprenoit souvent par caur ; & si c'étoient des Vers ou des Cantiques, on les chantoit publiquement. Dans la suite on a travaillé sur ces Mémoires : l'Historien lui-même n'étoit pas fâché d'avoir de belles choses à débiter , dont il n'étoit garant que sur la foy de ces Relations. Diodore (1) (1) Liv. Il raconte quelque chose de semblable des Egyptiens, à l'égard de leurs Rois morts : il dit que tout le Royaume étoit en deuil, & qu'on chantoit en vers les louanges du défunt ; sans doute que les Prêtres gardoient ces Piéces funébres, & s'en servoient pour écrire l'Histoire de ces Princes. Les Grecs, grands imitateurs des Egyptiens , uférent de cette méthode, à l'égard, non-seulement de leurs Rois, mais de ceux ausli qui avoient ou conduit chez eux des Colonies, ou perfectionné quelques Arts. Il n'est pas difficile de comprendre que cet usage a servi à introduire dans l'Histoire un grand nombre de Fables; car dequoi n'est pas capable une imagination vive & péculante , à qui on donne la permission de s'égarer à son choix dans le Pays des belles idées ? Si on entreprenoit encore aujourd'hui de composer l’hiftoire de nos Heros sur la plûpart de leurs panegyriques , ou de leurs Oraisons funébres, elle seroit du moins aussi fabuleuse , à la divinité près , que celles des Heros de l'antiquité. Je ne suis pas surpris que l'ancienne Histoire soit si remplie de Fables , puisqu'elle a été écrite sur des Mémoires si peu sûrs ; mais ce qui m'étonne, c'est la sotte vanité des Historiens Romains , qui ont donné si souvent dans le fabuleux, soit pour fatter leurs Empereurs, soit pour ne pas céder en merveilleux aux Grecs , soit pour faire voir la protection sensible des Dieux Tome 1. E و sur leurs grands hommes. De-là ces fréquentes apothéoses; traordinaires ? toûjours menteurs ; ainsi il leur a été facile de tromper les au- و que par l'opinion qui se répandoit , qu'on y avoit vû des choses étonnantes ; & trompés par les habitans du Pays où ils étoient allé,qui pour faire honneur à leur Patrie,ne manquoient jamais d'en embellir l'Histoire , ils trompoient ensuite les autres par des narrations fabuleuses. Quand on sçait qu'on sera crû , il est bien difficile de résister au charme de dire des choses extraordinaires. Les Egyptiens sur tout , dont la Théologie étoit fort mystérieuse & la Langue équivoque , trompoient souvent ceux qui voyageoient chez eux. C'est un usage reça dans tous les Pays: il n'y a qu'à voir combien de Fables ont débité les peuples de l'Amerique & des Indes, à ceux qui les ont découverts. Les Marchands menoient avec eux des gens pour les escorter & pour les défendre dans les lieux où ils alloient établir ou des colonies, ou des correspondances; ils avoient besoin sur-tout de leur secours contre les bêtes feroces , dont les bois étoient remplis : ceuxci se distinguoient souvent par leur bravoure , & c'est fans doute de-là que sont venus les Hercules , venus les Hercules , & les autres dompteurs de monstres & redresseurs de torts, dont l'Histoire fabuleuse est remplie. C'est sans doute sur ces rélations de Marchands & de Voyageurs , que les Poëtes établirent les Champs - Elisées dans le charmant Pays de la Betique, ou dans les Ifes Canaries ; c'est delà aussi que nous sont venuës ces Fables qui placent des monstres dans certains Pays , des Harpyes dans d'autres ; qui portent qu'il y avoit des Peuples couverts d’éternelles ténébres, qu'il y en avoit d'autres qui habitoient sous terre, d'autres qui n'avoient qu'un cil, ou qui étoient semblables à des Géants ; que le Soleil & les autres Astres , alloient tous les soirs se coucher dans l'Ocean, & tantd'autres fictions fondées sur des Relations amplifiées.(a) Passons à la cinquiéme source. Cinquiéme Les Poëtes & les Peintres font sans contredit ceux qui ont fource. Les , le plus produit de Fables dans le monde: Peintres , & le (1) Hor. Art, Comme ils ont toûjours cherché à plaire , plûtôt qu'à inftruire , ils ont préferé une ingénieufe fausseté, à une vérité (a) Consultez ce que dit Strabon à ce sujet. L. 15.p.1033.& 1038. و Théatre. Poët. |