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le même foin que les Oracles de la Pythie? D'ailleurs, quoiqu'il foit vrai que les Livres Sibyllins que nous avons aujourd'hui foient en langue & en vers grecs, eft-il certain qu'ils l'ayent toujours été ? La Pythie rendoit fes réponses en profe, & c'étoient des gens prépofés qui les mettoient en vers, ainsi que nous l'avons dit dans le Chapitre précédent. Je suppose donc, & la fuppofition eft très-vraisemblable, que des Curieux recueilloient toutes les prédictions des Sibylles, du moins autant qu'ils pouvoient en trouver, & qu'ayant fait traduire celles qui étoient dans des langues étrangeres, ils les mirent en vers : c'eft ainfi apparemment que furent faits les Recueils differens de ces prédictions.

vet. Perfarum

P. 392.

Thomas Hyde (1), dans fon Traité de la Religion des anciens (1) De Rel. Perfes, a fur les Sibylles un fentiment encore plus fingulier que celui de Pierre Petit, puifqu'il nie qu'il y en ait jamais eu aucune. Cette fable qui a eu tant de cours dans la Grece & dans l'Italie, tire, felon lui, son origine de la Perse & de la Chaldée ; & ce qui y a donné lieu, c'eft le figne de la Vierge, dont l'étoile la plus brillante s'appelloit, & fe nomme encore aujourd'hui l'Epi, sißuma, ou zißßuda, Spica. Or ce mot vient du Perfan Sambula, ou Sumbula, & fignifie dans cette langue un Epi de bled. Auffi les Perfes avoient-ils accoûtumé de reprefenter dans leurs Planifpheres, cette étoile fous la figure d'une jeune fille qui tenoit à la main une poignée d'Epis. Comme les Perfes & les Chaldéens, dit ce Sçavant font les inventeurs de l'Aftrologie, & qu'ils tiroient leurs prédictions de l'infpection des Aftres, ils avoient une attention particuliere à ce Signe, comme reprefentant une Vierge.

Les Grecs, dit encore le même Auteur, qui apprirent des Peuples de l'Orient les Sciences & les Arts, & qui fur la moindre équivoque inventoient des fables, ayant trouvé dans l'hiftoire de l'Aftrologie Perfanne le mot de Sambula, imaginerent la Sibylle Sambethe,& puis les autres : mais comme dans les fictions on n'efface pas entierement la tradition qui y a donné lieu, les mêmes Grecs regarderent toujours la Sibylle de Per fe, comme la plus ancienne de toutes.

Quelqu'ingenieufe que foit la conje&ture du fçavant Anglois, elle ne fçauroit détruire le temoignage conftant de toute l'An

tiquité, qui admet en differens temps & en differens pays de ces perfonnes extraordinaires qui ont paffé pour avoir une connoiffance particuliere de l'avenir, & dont les prédictions recueillies avec foin, étoient confultées dans les occafions importantes; car combien de fuppofitions ne faudroit-il pas faire pour détruire une tradition fi fuivie? Tout ce qu'on peut accorder à cet Auteur, c'eft que la Sibylle de Perfe, nommée Sambethe, doit fon origine à l'équivoque du mot Sambula; mais cela ne prouve pas qu'il n'y ait point eu d'autres Sibylles. Ce feroit ici le lieu de rechercher en quel temps ont vêcu les Sibylles; quels font les parens qu'on leur donne ; quel fut le lieu de leur naiffance, & dans quel ordre on doit les placer; mais on trouve dans les Anciens comme dans les Modernes, tant d'opinions differentes fur ces quatre articles, qu'après bien des recherches on ne fçait à quoi se determiner. J'ai cru devoir les nommer dans le même ordre que Lactance après Varron les avoit nommées, quoique je n'ignore pas que plufieurs Sçavans ont renverfé cet ordre, comme fi la chofe valoit la peine de s'en inquiéter. Qu'importe en effet que celle de Perfe foit la premiere & la plus ancienne de toutes, comme le prétendoit Varron, ou la cinquième, ainsi que le dit Boiffard, ou la huitiéme feulement, felon Onufrius Panvinus. Gallæus s'eft donné la peine de raffembler tout ce qui a été dit sur ce fujet; les Sçavans pourront le consulter.

ARTICLE III.

Sur quel fondement on a cru que les Sibylles avoient
le don de prédire l'avenir.

LES Anciens ont raifonné profondement fur le commerce & fur l'union que la créature pouvoit avoir avec la Divinité, & ils ont cru que cette union & ce commerce pouvoient être fi intimes, que quand l'homme étoit parvenu à un certain point de perfection, il n'y avoit plus rien dans l'avenir qui lui fût caché. C'eft à ce point que tâchoient d'arriver, & qu'on croyoit qu'arrivoient effectivement quelques perfonnes, le moyen de cette forte de Magie, qu'on nommoit Theurgie, comme nous le dirons dans un des Chapitres fuivans.

par

Ainfi fuppofant pour le prefent cet article comme un des
points fondamentaux de la Theologie payenne, nous pouvons
dire que fi on a cru que les Sibylles poffedoient le don de
prédire l'avenir, c'eft qu'on étoit perfuadé qu'elles avoient
cette union intime avec les Dieux, fur-tout avec Apollon, le
maître de la Divination. Ce fut encore pour cela qu'on ac-
corda le même privilege à la Pythie de Delphes & aux Prê-
treffes de Dodone, qu'on croyoit intimement unies à la Di-
vinité qui les infpiroit. Ainsi raisonnoient les Platoniciens fur
l'union que l'homme
peut avoir avec les Dieux : mais d'autres
Philofophes penfoient autrement fur l'efprit Prophetique des
Sibylles, & l'attribuoient à leur humeur fombre & melan-
cholique, ou à quelque autre maladie. D'autres ont cru que
la fureur à laquelle elles fe livroient, les mettoit en état de
connoître & de prédire l'avenir, comme le prétendent Jam-
blique (1) & Agathias (2). A cette fureur Ciceron ajoutoit les
fonges, qui nous apprenoient quelquefois les chofes futures. Il
y a, dit-il, (3) deux manieres de connoître l'avenir, ou par Lib
la fureur, ou par les fonges: cùm duobus modis animi, fine ra-
tione & fcientia, motu ipfi fuo foluto & libero incitarentur ; uno
furente, altero fomniante. Furoris divinationem Sibyllinis maximè
verfibus contineri arbitrati, &c. Ce fçavant homme dit dans un
autre endroit; il y a des perfonnes qui fans aucune fcience.,
fans aucune obfervation, prédifent l'avenir, par je ne fçais
quelle fureur: Carent arte ii qui non ratione aut conjecturâ, ob-
fervatis ac notatis fignis, fed concitatione quadam animi ...
ut Sibylla Erythraa.

On trouve des Auteurs anciens qui ont rapporté cette vertu divinatrice des Sibylles aux vapeurs & aux exhalaisons des cavernes qu'elles habitoient, ainfi que nous l'avons dit de l'antre de Delphes.

Enfin S. Jerome a foutenu que ce don étoit en elles la recompenfe de leur chafteté: voici comme ce Pere de l'Eglife, en faifant l'éloge de cette vertu, s'exprime au fujet des Sibylles. Quid referam Sibyllas, Erythraam atque Cumanam & octo reliquas, nam Varro decem effe autumat, quarum infigne Virginitas,& Virginitatis præmium divinatio (4). Il est vrai que la chafteté a toujours été regardée, même par les Payens,

(1) Ad Porp. (2) Hift. L. 1.

(3) de Div.

(4) Adv. Jovin.

comme une vertu neceffaire à ceux qui approchoient des Autels ; que les Prêtres avant que d'offrir les Sacrifices, devoient s'y être préparés par la continence, & qu'il y en avoit même parmi eux, qui employoient des remedes pour fe la procurer. Il eft vrai auffi que pour être plus affûré de la chafteté de la Pythie de Delphes, on la choififfoit anciennement parmi les gens de la campagne, où cette vertu eft moins expofée que dans les villes. Cependant je ne fçais fur quel fondement S. Jerome avoit une idée fi avantageuse de la chafteté des Sibylles, puifqu'il y en a une d'elles qui fe vante d'avoir eu un grand nombre d'Amans, fans avoir été mariée, dans ce vers (1) Lib. 6. que je mets ici de la traduction faite en latin (1).

Mille mihi lecti, Connubia nulla fuere.

Celle de Perfe même, parle de fon mari qui étoit avec elle dans l'Arche de Noé, comme on le verra dans la fuite.

Difons donc que les Sibylles, d'une humeur fombre & melancholique, vivant dans la retraite, & fe livrant à une fureur phrenetique, ainsi que Virgile le dit de celle de Cumes, annonçoient à l'avanture ce qui leur venoit dans l'efprit, & qu'à force de prédire, elles rencontroient quelquefois ; ou plûtôt, qu'à l'aide d'un Commentaire favorable, on se persuada qu’elles avoient deviné. Que ne purent pas en effet ajouter ou retrancher, fouvent même après l'évenement, ceux qui recueillirent leurs prédictions, & qui les mirent en vers, comme on le pratiquoit à l'égard de celles de la Prêtreffe de Delphes? On eft quelquefois Prophete malgré foi, & le Public fe charge fouvent du foin d'ajufter des paroles dites au hafard, à des faits aufquels celui qui les a proferées, n'a nullement pensé. N'en fait-on pas tous les jours autant pour un de (2) Nofrada- nos prétendus Prophetes (2)? & quoique fon Ouvrage foit un chef d'œuvre d'obscurité, n'y a-t'on pas trouvé une partie des évenemens qui font arrivés après fa mort? Le bon Ronfard du moins, étoit bien perfuadé que cet homme extraordinaire avoit connu & prédit l'avenir, puifqu'après avoir recherché, ce qui pouvoit lui avoir rendu prefent ce même avenir, il

mus.

conclut ainfi :

Bref,

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Bref, il eft ce qu'il eft: fi eft-ce toutefois
Que par les mots douteux de fa prophete voix,
Comme un Oracle antique il a de mainte année
Predit la plus grand' part de notre destinée.

ARTICLE I V.

Du Recueil des Vers Sibyllins.

ON ignore de quelle maniere fut compofé le Recueil des Vers des Sibylles. Il n'y a pas d'apparence qu'elles aient prophetisé en vers, encore moins qu'elles aient gardé elles-mêmes & redigé leurs prédictions. D'ailleurs elles ont vêcu dans des temps differents, & dans des Pays éloignés les uns des autres. Comment s'eft-il donc trouvé une Collection de ces prédictions, mise en vers Hexametres? Dans quel temps a-t'elle paru? Qui en fut l'Auteur ? C'eft un fait que l'Antiquité ne nous a point tranfmis. Tout ce qu'on fçait, c'eft qu'une femme vint offrir à Tarquin le Superbe, un Recueil de ces vers, en neuf Livres, & qu'elle lui en demanda trois cens pieces donner cette fomme pas d'or; que ce Prince n'en voulant elle avoit jetté au feu trois de ces Livres, & avoit exigé la même ayant été refufée, fomme pour les fix qui reftoient; laquelle lui elle en fit brûler encore trois autres, & perfifta toujours à vouloir les trois cens pieces d'or pour ce qui reftoit ; & qu'enfin ce Prince craignant qu'elle ne fit brûler les autres trois, lui donna la fomme qu'elle demandoit.

Cette Hiftoire a tout l'air d'un Roman; cependant elle est attestée par un grand nombre d'Auteurs, & peut-être n'est-elle fauffe que dans fes circonftances: car il eft sûr que les Romains poffedoient un Recueil des Vers Sibyllins, & qu'ils le conferverent depuis le regne de Tarquin, jufqu'au temps de Sylla, qu'il perit dans l'incendie du Capitole, où il avoit été depofé. Ainfi pour mettre le Lecteur en état de juger de ce fait, je vais l'éclaircir. Lactance qui le rapporte dans le détail qu'on vient de voir, dit que ce fut la Sibylle de Cumes par Pline, qui prefenta ce Recueil à Tarquin, & il a été fuivi par Solin & par Ifidore. Peut-être Lactance l'avoit-il trouvé Xx

Tome I.

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