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dans les Livres des chofes divines de Varron, où il avoit puifé ce qu'il dit des Sibylles; mais d'autres Auteurs affurent feulement qu'une femme offrit ces Livres à Tarquin, fans dire que ce fut la Sibylle elle-même. Servius qui convient de ce fait, & qui paroît l'avoir examiné, dit qu'il n'eft pas croyable que la Sibylle de Cumes, quelque longue vie qu'on lui ait donné, ayant été du temps d'Enée qui la confulta, ait encore vêcu du temps de Tarquin; c'est-à-dire, cinq ou fix cens ans après. Multe Sibyllæ fuerunt, dit-il, quas omnes Varro in Libris rerum divinarum commemorat, & requirit à qua fint Romana fata confcripta; & multi fequentes Virgilium, ab hac Cumana dicunt, quæ licet longæva dicatur, non tamen valdè congruit, eam ufque ad Tarquinii tempora duraffe, cui libros Sibyl(1) In 6. linos conftat effe oblatos (1). D'autres Anciens qui conviennent du même fait, difent feulement que ce fut une femme qui prefenta à Tarquin les Livres dont il eft queftion.

Eneid.

.13.

Je pourrois citer pour la verité du fond de cette hiftoire, plufieurs autres Auteurs anciens; mais je me contente du feul témoignage de Pline, qui affure qu'elle eft universellement atteftée: Inter omnes verò convenit, Sibyllam ad Tarquinium fuperbum tres libros attuliffe, ex quibus igni duo cremati ab (2) Lib. 13. ipfa, tertius cum Capitolio Syllanis temporibus (2). On voit feulement dans ce paffage, que Pline differe de Lactance, ou si l'on veut, de Varron, fur deux articles : le premier, que ce fut à Tarquin l'ancien, non à Tarquin le Superbe que ces Livres furent prefentés; le fecond, que ce Recueil n'étoit pas compo fé de neuf Livres, mais feulement de trois, en quoi Solin fon copifte eft d'accord avec lui; circonftances qui bien loin de détruire le fait, ne fervent, felon moi, qu'à le confirmer.

1.6.

Quoiqu'il en foit, les Romains conferverent avec foin ce Recueil, depuis Tarquin jufqu'à l'incendie du Capitole, où il fut confumé avec cet édifice. C'étoient dans ce long efpace, le Pontifes qui le confultoient, ainfi que nous l'appre(3) Cap. 8. nons de Solin (1). Cujus Librum ad Cornelium ufque Syllam Pontifices noftri confulebant.

Après cet accident les Romains pour reparer cette perte, (4) Annal. envoyerent, au rapport de Tacite (2), en differens endroits, à Samos, à Troye, en Afrique, en Sicile, & parmi les Co

C

lonies établies en Italie, pour recueillir ce qu'on pourroit rencontrer de vers Sibyllins; & les Députés en rapporterent. un grand nombre. Comme il y en avoit fans doute beaucoup d'apocryphes, on commit des Prêtres pour en faire un choix judicieux: Poft exuftum civili bello Capitolium, quafitis Samo Ilio, Erythris, per Africam etiam, ac Siciliam, & Italtcas colonias carminibus Sibyllæ ; (una feu plures fuere); datoque Sacerdotibus negotio, quantùm humaná ope potuiffent difcernere. Feneftella, dans Lactance, dit feulement que le Senat après que le Capitole fut rebâti, avoit envoyé à Erythrée P. Gabinius, M. Octacilius, & L. Valerius, pour chercher les vers de la Sibylle de ce nom, & qu'ils en avoient trouvé chez des particuliers, environ cent, qu'ils avoient apportés à Rome. Ainfi fut compofé le fecond Recueil des vers Sibyllins; mais je ne crois pas qu'on y eût autant de foi qu'au premier. I Il paroît même que des particuliers en avoient à eux appartenants, aufquels ils ajoutoient ou retranchoient ce qu'ils vou loient. Il n'y avoit, felon Lactance, que les vers de la Sibylle de Cumes qui étoient confervés avec foin par les Romains & qu'on ne montroit à perfonne. Les Quindecimvirs étoient les feuls qui euffent la permiffion de les voir & de les confulter. Pour ceux des autres Sibylles chacun en avoit. Harum omnium Sibyllarum carmina & formantur & habentur, præter quam Cumea, cujus libri à Romanis occuluntur, nec eos ab ullo 品 nifi à Quindecimviris infpici fas habent. Il arrivoit de-là qu'à chaque évenement on faifoit courir dans Rome & dans toute l'Italie, des prédictions; & cet abus alla si loin, que Tibere défendit d'avoir de ces Recueils particuliers, & ordonna que ceux qui en avoient, les portaffent chez le Préteur : Simul commonefecit, (Tiberius) quia multa vana fub nomine celebri vulgabantur, fanxiffe Auguftum, quem intra diem ad Prætorem urbanum deferrentur, neque habere privatim liceret.

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Au refte ces Livres n'étoient pas écrits fur du papier; mais fur du linge, afin qu'ils duraffent plus long-temps: c'est à quoi Claudien fait allusion dans ces vers (1):

Quid meditentur aves? quid carmine pofcat
Fatidico cuftos Romani carbafus avi?

(1) de Bell. Ger. 1. 8.

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de même que Symmaque, quand il dit : Cumanos (Versus) lintea texta fumpferunt.

On avoit formé un College de quinze perfonnes, pour veiller à la confervation de cette Collection, qu'on nommoit les Quindecimvirs des Sibylles(a): c'étoient eux à qui étoit commis ce depôt c'étoient eux qui devoient le confulter ; & on avoit une fi grande foi aux prédictions qu'il contenoit, que dès qu'on avoit une guerre à entreprendre; lorsque la pefte, ou la famine, ou quelque maladie épidemique affligeoit ou la ville ou la campagne, on ne manquoit pas d'y avoir recours. C'étoit une efpece d'Oracle permanent, auffi fouvent confulté par les Romains, que celui de Delphes l'étoit par les Grecs, & par plufieurs autres peuples. Denys d'Halicarnaffe nous apprend encore plus particulierement quelles étoient les occafions où l'on avoit recours aux Livres Sibyllins. » Le Senat, dit-il, ordonne qu'on les confulte, lorfqu'il s'éleve quelque fedition, lorfque l'armée a été défaite, << ou quand on a obfervé quelques prodiges qui menacent d'un grand malheur, comme il y en a eu plufieurs » ; ce que ron confirme pour ce dernier article (1): Ad cujus (Sibylla) libros tot annis poft publicè folemus redire cum defideramus quid faciendum fit nobis ex aliquo portento; & l'Hiftoire Romaine nous fournit plufieurs exemples qui prouvent qu'on les confultoit en pareilles occafions.

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Var

On ne fçait quel fut le fort de cette feconde Collection de vers Sibyllins; car pour celle que nous avons aujourd'hui, qui contient huit Livres, & fur laquelle Gallæus a fait un fçavant Commentaire, quoiqu'elle contienne peut-être quel ques-unes des anciennes prédictions, tous les Critiques la regardent comme un Ouvrage fort apocryphe, & comme le fruit de la pieufe fraude de quelques Chrétiens plus zelés qu'habiles; & qui crurent en la compofant, prêter des armes à la Religion Chrétienne, & mettre ceux qui la défendoient en état de combattre le Paganisme avec plus d'avantage : comme si la verité avoit befoin du menfonge pour triompher de l'erreur. Ce qui rend la chose tout-à-fait hors de doute, c'eft

(a) Il n'y en avoit eu d'abord que deux, puis dix, ainfi que je l'ai dit en parlant des Oracles.

qu'on trouve dans cette Collection, affez mal digerée, des prédictions plus claires fur les myfteres de la Religion Chrétienne, qu'elles ne le font dans Ifaïe & dans les autres Prophetes. Le nom même de Jesus-Chrift, & celui de la Vierge fa mere, s'y rencontrent à chaque page. Il y eft parlé du myftere de la Redemption, des miracles du Sauveur, de fa Paffion, de fa Mort & de fa Refurrection, de la création du Monde, du Paradis terreftre, de la longue vie des Patriarches, du Deluge. Une des Sibylles fe vante même d'avoir été dans l'Arche avec Noé. Il y eft parlé de l'invention des Arts; & ceux qu'on dit y avoir excellé, font les mêmes. que ceux que nomme Moyfe; ainfi que de mille autres particularités qui font évidemment tirées des Livres de l'Ecriture Sainte: en forte qu'il eft étonnant qu'il se foit trouvé des Auteurs affez entêtés pour foutenir que tout ce que contient cette Collection, eft l'Ouvrage des Sibylles. Dieu auroit-il revelé aux Payens les myfteres de notre Religion, d'une maniere plus claire qu'il ne les avoit revelés à fon Peuple par la bouche de fes Prophetes?

J'ai dit qu'il y avoit fans doute dans cette derniere Collection des vers des deux premieres; mais il n'est pas aifé de diftinguer ceux qui en étoient tirés, d'avec ceux que l'Auteur y a inferés de fon chef. Pierre Petit avoit à la verité entrepris de le faire, mais il m'a paru que cet Auteur, habile d'ailleurs, montroit dans cette partie de fon Ouvrage, plus de credulité que de critique. Il paroît même si entêté de fa Sibylle, & il lui accorde une fi grande connoiffance de l'avenir que la Pythie n'étoit en comparaifon qu'une Ecoliere (1). Mais (1) Voyez pour prouver d'une maniere qui ne fouffre point de replique, le troifiéme la difference de cette Collection d'avec l'ancienne, c'eft que Aureur. les vers Sibyllins que l'on confultoit à Rome, ne refpiroient que l'Idolâtrie & le culte des faux Dieux, & ne prefcrivoient le plus fouvent que des facrifices barbares & de Victimes humaines; au lieu que ceux qui nous reftent, enfeignent le culte du vrai Dieu, & font faits la plupart pour porter les hommes à la pieté.

On doit donc diftinguer trois Collections de vers Sibyllins; car je ne parle pas de celles que pouvoient avoir quelques par

Livre de cet

ticuliers. La premiere, étoit celle qui fut prefentée à Tarquin, & qui ne contenoit que trois Livres. La feconde eft celle qui fut compilée après l'incendie du Capitole, de plufieurs lambeaux que les Députés dont nous avons parlé, avoient rapportés de leur voyage; & on ignore combien de Livres elle contenoit. La troifiéme enfin eft celle que nous avons en huit Livres, dans laquelle il n'eft pas douteux que l'Auteur ait inferé plusieurs prédictions de la feconde, foit qu'il en eût une copie, ou qu'il eût recueilli celles de ces prédictions qui étoient devenues publiques, mais qu'il a augmentée d'une infinité d'autres, qui certainement n'étoient pas l'Ouvrage de ces Propheteffes.

Si nous nous en rapportons à Servius, l'ancien Recueil ne contenoit en tout, que cent prédictions. Cet Auteur fur ces vers du fixiéme de l'Enéïde,

Excifum Euboica latus ingens rupis in antrum,
Quò lati ducunt aditus centum, Oftia centum,
Unde ruunt totidem voces, refponfa Sibyllæ,

fait cette remarque: il n'y avoit que cent réponses ou cent prédictions des Sibylles, ni plus ni moins: Sane fciendum omnia refponfa Sibylla, plus minufve centum contineri fermonibus ; (a) mais il y a apparence que ce fçavant Commentateur ne vouloit parler en cet endroit que de la Sibylle de Cumes, de laquelle il est question dans le paffage de Virgile. Lactance qui admettoit dix Sibylles, comme Varron, attribue à cha(1) Div Inft. cune d'elles un Livre de prédictions (1), fans toutefois qu'on pût diftinguer à laquelle chacun de ces Livres appartenoit, excepté celui de la Sibylle Erythrée qui avoit mis fon nom à la tête du Livre qui les contenoit: Et funt finguli Libri, qui quia Sibyllæ nomine infcribuntur, funtque confufi, nec difcerni ac fuum cuique affignari poteft, nifi Erythrea quæ & nomen fuum verum carmini inferuit. Je ne fçais où Lactance avoit pris ce qu'il dit; mais il eft certain que les Romains n'eurent que trois de ces Livres, l'avarice de Tarquin ayant été

lib. 1. c. 6.

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(a) J'ai fuivi la correction de Pierre Petit, qui fupprime la particule non, pour accorder Servius avec lui-même. Petr. Pet. de Sibylla. Lib. 3. c. 14.

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