commune. S'il a fallu Aatter ou consoler quelque Prince de pour être le favori de ce Dieu ; & parcequ'il fut tué d'un coup de palet que le vent détourna malheureusement, on feignit que Borée, jaloux de cette amitié, avoit causé cet accident. Le succès justifia l'heureuse témérité des Poëtes; on lut leurs Ouvrages avec plaisir , & rien n'y plut tant que la fiction : aussi prirent-ils pour une régle de la poëtique de ne jamais rien dire naturellement. Les Bergeres furent des Nymphes ou des Naïades ; les Vaisseaux devinrent tantôt un Cheval ailé, comme dans l'Histoire de Bellerophon; & tantôt des Dragons, comme dans celle de Medée: les Bergers, des Satyres ou des Faunes : les hommes à Cheval, des Centaures : ceux qui aimoient la Musique , des Apollons: les Medecins, des Esculapes : les belles voix, des Muses: les belles femmes, des Venus; les débauchées , des Sirenes ou des Harpyes : celles qui aimoient la chasse , des Dianes: les Oranges, des Pommes d'or : les fléches & les dards, des foudres & des carreaux. Ils firent plus ; car se voyant les Maîtres des peintures & des caracteres qu'ils donnoient aux personnes & aux choses qu'ils représentoient , pour faire voir que leur Art consistoit principalement dans la fi&tion', (1) Juge-ils s'attacherent (1) particulièrement à contredire la vérité, maent des sça- & de peur de se rencontrer avec les Historiens , ils change vants, . 4 rent les caracteres des personnes dont ils parloient. Homere mi-Dieu. Le même Poëte n'a point fait de difficulté de des(2) Didon. honorer une Princesse très-vertueuse (2), & de lui ôter la ca ractére de la chasteté & de fon courage , pour lui donner 1 P. I. (a) Accesserunt autcm Poetæ, ut compositis ad voluptatem carminibus, ad coelum eos, id eft Heroas , fuftulerunt ; ficut faciunt qui apud Reges non malos panegyricis mendacibus adulantur. Inf.l. à و celui d'une passion honteuse, & d'une lâcheté capable de desespoir. Ils ont tous conspiré à faire passer Tantale pour un avare, & l'ont mis de leur chef au milieu du Tartare, où il souffre une peine cruelle proportionnée à son avarice ; lui qui a été un Prince très - religieux & fort honnête homme, comme le dit Pindare. Mais ce n'est pas seulement l'envie de plaire & de flatter, qui mit les Poëtes dans la nécessité de feindre & d'inventer, ils y furent souvent obligés par la médiocrité de leurs sujets. Ce qu'ils avoient à dire auroit été souvent très-commun, fans le surnaturel & la fiction qu'ils ont eu l'adresse d'y mêler. Si on vouloit faire l'analyse de leurs Poëmes , on les reduiroit peu de choses : il y a une infinité de Marchands & de Soldats qui ont essuyé plus de dangers , & fait paroître plus de courage dans les occasions , qu'Enée , Ulysse & Achille. Que seroient, je vous prie , l'Eneïde, l'Iliade & l'Odyssée , sans le secours éternel des Dieux , sans le mêlange perpétuel de vérités peu intéressantes , avec des fictions qui attachent ? Un homme (1) échappé à la ruine de la Patrie, construit avec ( 1 ) Enéti d'autres fugitifs quelques vaisseaux , s'embarque , arrive en Thrace, en Macedoine , & dans quelques Illes de l'Archipel ; il s'arrête dans l'Ile de Créte, va en Sicile, d'où après avoir passé le Phare de Mesline , il arrive enfin par l'embouchure du Tibre en Italie , où il se maria après avoir tué son Rival. Un autre (2) est absent de chez lui pendant plusieurs ( z ) Ulyffes années; cependant tout est en desordre dans sa famille,son bien est dissipé, sa femme & son fils sont persécutés; il revient enfin après avoir essuyé quelques dangers, il reconnoît quelques-uns des siens qui lui étoient demeurés fideles, & avec leur secours il rétablit toutes choses en perdant ses ennemis. Celui-ci (3) s'étant brouillé avec Agamemnon, se retire dans (3) Achille. fa Tente : les Troyens profitent de la mesintelligence des chefs , deviennent supérieurs , battent les Grecs forcent leurs retranchemens , mettent le feu dans leurs Vaisseaux; Patrocle emprunte les armes d'Achille les armes d'Achille , & tuë Sarpedon: Hector venge la mort de son ami, & ôte la vie à Patrocle; alors Achille fort de sa Tente, pousse les Troyens jusques sous leurs murailles ; & les ayant obligés d'entrer dans leur Ville, و Ещ 1. 16. 1.1. trouve Hector seul qu'il tuë , & traîne son cadavre autour du dire, par exemple, qu'Ulysse arriva incognito chez Alcinoüs, (1) Odyst . (1) Homere le fait conduire par Minerve qui le couvre d'un nuage. Virgile fidele imitateur du Poëte Grec, fait arriver de la même maniere Enée chez Didon , sous la conduite de (2) Eneid. Venus (2). Si les délices du pays des Lotophages retiennent trop les compagnons d'Ulysse, on dit que les fruits de (3) Odyff. cette Ine font oublier leur pays à ceux qui en mangent. (3) 1.2. S'arrêtent-ils là a Cour de Circé pour s'y livrer à la débau- porte des armes de la fabrique de Vulcain , elle nerve prend la figure de Deïphobe , pour tromper Hector (4) Iliad. par le prétendu secours de son frere. Jupiter ( 4 ) prend des balances , pese les destins de ces deux Héros ; & voyant mere lui 1. az.. و (s) Defpreaux , Art Poctique. (5) Là pour nous enchanter tout est mis en usage des Matelots, ܪ 1.21. Echo n'est plus un fon qui dans l'air retentisse, C'est une Nymphe en pleurs qui se plaint de Narcisse. C'est ainsi que les Poëtes ornent leurs sujets, & les remplifsent de figures vives & ingénieuses. N'apprehendez pas qu'ils disent simplement que les troupes des deux Aloïdes, ces fiers Géants qui faisoient la guerre à Jupiter , augmentoient leurs forces par la jondion de quelque secours ; ils diront que ces (1) Home Géants eux-mêmes croissoient chaque jour d'une coudée ( 1). Odysl. 1. 11. Homere, au lieu de raconter qu'après le sanglant combat qui fut donné fur les rives du Xante , le lit de ce Fleuve s'étant trouvé rempli de corps morts, l'eau se déborda & inonda toute la campagne, jusqu'à ce que ces corps étant retirés de l'eau, on alluma un bûcher dont la flame les reduisit en cendres; le (2) Iliad. Poëte feint (2) que ce fleuve se sentant oppressé dans son lit, en fit ses plaintes à Achille, & que ce Heros ne l'ayant pas satisfait, il se déborda contre lui, & le poursuivant avec rapidité, il l'auroit noyé dans ses eaux , si Neptune & Minerve envoyés par Jupiter, ne lui eussent promis une prompte satisfaction. Le même Poëte ayant à nous apprendre que les inondations de la mer , ruinerent quelque temps après la retraite des Grecs, cette fameuse muraille qu'ils avoient élevée pen, dant le siége de Troye, pour se mettre à couvert des insultes (3) Iliade de leurs ennemis , dit ( 3 ) que Neptune irrité de l'entreprise des Grecs, étoit allé prier Jupiter de lui permettre de l'abattre avec son trident ; & qu'ayant interesfé Apollon dans fa vengeance , ils avoient travaillé de concert à renverser cet ouvrage. Si le Navire des Phéaciens qui avoit conduit Ulysse à Itaque , fait naufrage à son retour , on ne manque pas dire que Neptune irrité de ce qu'il avoit servi à porter Ulysse, (4) Odyf, l'avoit changé en rocher (4). Si Turnus fait brûler la Flotte 1. 14. d'Enée, Virgile fait paroître Cybele qui change ces Vaisseaux en Nymphes de la mer. Quand on voyoit un bel Ouvrage, comme les murailles de Troye, les Tours d'Argos, & quelques autres , c'étoient toûjours les Dieux qui en avoient été les Architectes ; 1.9: de : . Cerno Cyclopum facras On ne dit pas simplement qu'Ulysse étoir prudent, on a Au lieu de raconter comment Enée s'étant trouvé au commencement du Printemps sur la mer de Sicile , il s'éleva une tempête qui l'écarta de cette Ille, on fait venir sur la scéne Junon irritée , Eole , les Vents, Neptune , &c. Un Historien raconteroit sans figure, que Beroé excita les Dames Troyennes à brûler leur Flotte , de peur de se voir exposées à de nouveaux dangers : un Poëte fera jouer la fcéne par la Déesse Iris , sous la figure de cette Dame Phry(1) Eneid. gienne (1). Si un Prince dans l'Histoire est habile & poLs. litique, chez les Poëtes on lui donne plusieurs têtes ; s'il est brave , on lui donne plusieurs bras ; s'il est fin & rusé, reur du Dieu qui les agite. (a) beaucoup de Fables : c'est sur la Scéne que triomphe la liberté 1 (a) Non enim res geste versibus comprehendendæ funt , quod longè melius Historici faciunt ; fed per ambages , Deorumque ministeria, e fabulofum fenientiarum tormentum præcipitandus eft liber Spiritus, ut porius furentis animi- vaticinatio appareat , quam rem ligiof& orationis fub reftibus fides. Petr. Sat, vivement |